La discussion relative au prélèvement opéré sur les recettes de l'Etat au titre de la participation de la France au budget des Communautés européennes pour 2005 revêt cette année une dimension toute particulière.
Cet exercice budgétaire intervient alors que l'Europe semble désormais à la croisée des chemins. Après l'élargissement historique, le 1er mai dernier, à dix nouveaux membres, la signature de la Constitution européenne à Rome, le 29 octobre 2004, et l'éventuelle ouverture de négociations d'adhésion avec la Turquie - nous y reviendrons lors de la discussion de l'amendement déposé par M. Retailleau -, l'Union européenne est plus que jamais sur le devant de la scène politique.
En dépit de ces étapes, historiques pour la construction européenne, le projet de budget pour 2005 s'inscrit dans la continuité des précédents. En effet, la contribution de la France au budget des Communautés européennes s'élève à 16, 6 milliards d'euros pour 2005, contre 16, 4 milliards d'euros en 2004 et 16, 388 milliards d'euros en 2003.
Il faut aussi rappeler l'imprécision du prélèvement, qu'a d'ailleurs souligné M. Denis Badré, rapporteur spécial de la commission des finances, le débat formel imposé à notre Parlement et le peu de pouvoir dont il dispose pour intervenir sur le choix et sur l'avenir de l'Union européenne.
Comme les années précédentes, les deux principaux postes de dépenses sont la politique agricole commune et la politique régionale.
Quant à l'action extérieure de l'Union, qui consiste, pour l'essentiel, dans des programmes d'aide humanitaire, d'aide alimentaire, d'assistance technique et d'aide au développement, elle a été revue à la baisse par le Conseil dans un souci de rigueur budgétaire.
La diminution de l'engagement financier européen est alarmante, madame la ministre, car elle est en contradiction avec le rôle que l'Europe doit jouer sur la scène internationale. Elle soulève une question de fond : le projet européen n'a de sens que s'il propose une alternative à la politique unilatérale, dominatrice et dangereuse des dirigeants des Etats-Unis. A cet égard, l'Europe doit relever un défi historique.
Ce projet de budget exprime, par ailleurs, la volonté de « maîtriser » les dépenses liées à l'élargissement, alors qu'il conviendrait, au contraire, d'affirmer notre solidarité envers les dix nouveaux Etats membres de l'Union qui sont tous, nous le savons, beaucoup moins riches que les quinze anciens.
En fait, le projet de budget pour 2005 atteste que la Commission et le Conseil font peu de cas de la situation exceptionnelle que nous vivons. Ce budget ne comporte aucune trace d'une quelconque politique de relance digne de ce nom. Il consacre une vision du monde que nous ne pouvons accepter. L'esprit qui l'anime est celui de la priorité donnée à la loi du marché et à une offensive contre les services publics, autrement dit, à une Europe où les normes sociales sont a minima.
Loin de dessiner un projet de société fondé sur la solidarité et sur la justice sociale, le budget que vous défendez, madame la ministre, s'inscrit dans la continuité du projet de société libérale que l'on nous propose.
A cet égard, avec le Traité établissant une Constitution pour l'Europe, que l'on nous demande d'adopter, ce n'est pas seulement la légitimation du Traité de Rome qui nous est proposée : c'est le Traité de Rome aggravé par l'Acte unique, par les traités de Maastricht et d'Amsterdam ; c'est l'Europe libérale et antidémocratique avec la libéralisation totale des mouvements de capitaux, l'ouverture obligatoire de tous les services publics et de toutes les entreprises publiques à la concurrence, une Banque centrale européenne indépendante du pouvoir politique et ayant pour seule mission de rendre crédible la « zone euro » aux marchés financiers, la marchandisation de toutes les activités humaines, des critères de convergence visant à réduire les dépenses sociales et publiques.
Or, nous ne connaissons que trop bien les conséquences sociales de cette logique libérale : développement du chômage - 15 millions de chômeurs aujourd'hui -, de la précarité, de la flexibilité, des délocalisations.
Au moment où nous discutons, le comité central de l'entreprise Nestlé France est réuni à son siège social, dans la Seine-et-Marne, pour débattre de la situation de l'usine de Saint-Menet, près de Marseille, usine des plus performantes dont les activités devraient être délocalisées en Russie en 2005. Les logiques financières dominent au détriment de l'emploi et des intérêts des économies locales et nationales.
Madame la ministre, cette Europe libérale, que l'on nous propose de graver dans le marbre, constitue une véritable consécration de l'injustice sociale.
Pour le groupe communiste républicain et citoyen, il faut un autre projet pour l'Europe, un projet fondé sur les valeurs de la démocratie, sur des politiques publiques actives, sur le développement durable, sur l'établissement de nouveaux rapports avec les pays du Sud, sur le progrès social, la coopération et la paix.
Malheureusement, le souci premier de la Commission et du Conseil demeure inlassablement le marché et la généralisation de la concurrence, ce qui apparaît en totale inadéquation avec l'actuel enjeu historique.
Madame la ministre, mes chers collègues, l'Europe a les moyens de défendre un autre modèle social et politique. L'Europe a besoin de transparence pour résorber son déficit démocratique. Cela suppose notamment que la Commission soit en mesure de fournir la liste détaillée des dépenses administratives engagées afin qu'il soit possible de contrôler leur évolution.
Le groupe communiste républicain et citoyen récuse donc l'esprit qui anime ce projet de budget et souhaite affirmer sa volonté de construire une autre Europe.
Madame la ministre, mes chers collègues, en refusant ce projet de budget, nous refusons aussi un simulacre de démocratie. Car, si notre assemblée votait contre, comme elle en a théoriquement le droit, nous serions purement et simplement condamnés par la Cour européenne de justice à verser le montant des sommes fixées, ce qui montre les limites du présent exercice.