Intervention de Denis Badré

Réunion du 1er décembre 2004 à 10h00
Loi de finances pour 2005 — Article 43

Photo de Denis BadréDenis Badré, rapporteur spécial :

M. Retailleau a exposé sa thèse avec beaucoup de passion. Néanmoins, nous ne pouvons accepter cet amendement, car nous sortirions alors de nos compétences et du cadre de notre débat.

Nous sommes un peu dans la même situation que lorsque nous sommes appelés à ratifier un traité. En effet, nous n'avons pas la possibilité d'amender un tel texte. Nous ne pouvons qu'exprimer notre accord ou notre désaccord et donner raison ou tort à ceux qui, en notre nom, l'ont négocié.

Par ailleurs, et le dépôt de cet amendement me fournit l'occasion de le répéter, la structure du budget européen n'est pas satisfaisante, puisque nous votons des recettes sans avoir de droit de regard sur les dépenses, lesquelles sont votées par le Parlement européen, en codécision avec le Conseil. Bien que nous soyons représentés dans ces deux instances, ce système n'est pas bon.

Cependant, pour le moment, c'est ainsi que le système fonctionne, et, jusqu'à présent, tout au long de la construction européenne, nous l'avons accepté.

Si le système ne nous paraît pas bon, il faut proposer sa modification. Tant que nous ne l'avons pas modifié, il faut l'accepter. Nous ne pouvons donc retenir cet amendement, quels que soient nos sentiments sur la candidature de la Turquie.

Je n'ai pas évoqué la Turquie dans mon exposé liminaire, car je savais bien que nous allions aborder le sujet par le biais de cet amendement. Au demeurant, je resterai dans mon rôle de rapporteur spécial, et je ne m'exprimerai donc pas au nom de mon groupe ni à titre personnel.

La commission est unanime pour dire qu'il faut réussir l'Europe, et donc l'élargissement en cours, qui est l'un des enjeux fondamentaux du moment. A ce propos, je regrette que les discussions sur la bonne réponse à trouver en la matière soient quelque peu obscurcies par le débat sur la candidature de la Turquie.

Ce débat est, certes, important, et tout le monde souhaite y participer, sans, d'ailleurs, en avoir toujours mesuré tous les enjeux. Il suscite une passion formidable et, du coup, le débat général est parfois instrumentalisé à partir de cette question particulière, qui, si elle est majeure, ne doit pas nous amener à obscurcir l'ensemble.

Si nous considérons, à l'instar de M. Retailleau, que la question de l'adhésion de la Turquie est si essentielle qu'il est plus important de ne pas donner une caution à la poursuite de la négociation avec la Turquie que de confirmer notre adhésion à la démarche générale de la construction européenne, votons contre l'article 43, mais précisions bien que c'est pour cette raison que nous sommes conduits à le faire. Mesurons bien ce que nous sommes en train de faire et ce à quoi nous risquons de renoncer, en provoquant, de surcroît, une crise européenne.

Aujourd'hui, d'autres voies existent. Je préconise de les emprunter pour traiter cette affaire au fond, comme nous devons le faire pour d'autres affaires qui sont, je le répète, beaucoup plus importantes encore. En fait, les enjeux du dossier européen sont tous considérables. Nous devons donc traiter cette affaire avec nos partenaires, là où elle doit l'être, en privilégiant l'écoute de chacun.

Peut-être pourrions-nous, simplement, faire une petite recommandation sur le plan sémantique, qui ne serait pas inutile. Dans la nomenclature des articles et des chapitres du budget européen, au lieu des termes « crédits de pré-adhésion », nous ferions mieux d'utiliser les termes « crédits de partenariat privilégié » avec certains membres, qui sont d'ailleurs également candidats à l'adhésion, sans préjuger de l'avenir de cette candidature, le jour où elle sera examinée, ni de l'avenir des négociations d'adhésion le jour où elles arriveront à leur terme.

Monsieur Retailleau, procéder de cette manière serait, me semble-t-il, moins provoquant pour les parlementaires qui, comme vous, souhaitent réagir vivement sur ce point particulier. De plus, cela permettrait de conserver au débat la sérénité qui doit être la sienne.

Il faut bien mesurer les enjeux géostratégiques : la Turquie est située entre le monde slave, les républiques turcophones, le Caucase, le Proche-Orient, le monde méditerranéen et, bien sûr, l'Union européenne, qui occupe une position privilégiée pouvant nous conduire à faire le pire ou le meilleur.

Il s'avère difficile d'expliquer aux Français les tenants et aboutissants du dossier. Or le pire serait d'organiser aujourd'hui un référendum en France, car, à l'évidence, le « non » l'emporterait. Cela serait alors perçu comme une gifle par le peuple turc, qui considérerait que le peuple de France lui dit non sur tout, alors qu'il s'est engagé sur une voie difficile.

Mes chers collègues, je vous demande de faire preuve, les uns et les autres, d'une grande responsabilité, pour arriver à progresser et à construire cet espace de paix et de démocratie qui est au centre de notre débat ce matin.

Aussi, monsieur Retailleau, fermement, clairement et solennellement, en m'appuyant non seulement sur des raisons juridiques de compétence, mais également sur le fond du problème, je souhaite que notre débat ne soit ni dévoyé ni obscurci par une question particulière qui a, certes, toute son importance, mais qui ne devrait pas être traité de cette manière.

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