Intervention de Éric Besson

Réunion du 10 juin 2008 à 16h15
Fonctionnement des assemblées parlementaires — Adoption d'une proposition de loi

Éric Besson, secrétaire d'État chargé de la prospective, de l'évaluation des politiques publiques et du développement de l'économie numérique :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est à la demande de Roger Karoutchi, qui ne peut être parmi vous aujourd’hui, que je vous présente cette proposition de loi, initialement déposée par le président de l’Assemblée nationale, M. Bernard Accoyer.

Une telle initiative est rare pour le président d’une assemblée. Elle correspond à une nécessité : renforcer l’action des commissions d’enquête parlementaires en assurant une plus grande protection aux personnes amenées à témoigner devant ces commissions.

Pourquoi les témoins qui déposent devant ces commissions doivent-ils bénéficier d’une protection renforcée ?

L’initiative du président Accoyer est née d’un constat. Comme l’indique M. Garrec dans son rapport, on observe depuis quelque temps que les témoins de certaines commissions d’enquête subissent des pressions, se matérialisant par des poursuites en diffamation destinées à les déstabiliser et à peser sur leur témoignage.

Il est important, essentiel même, de protéger ces témoins contre de telles pressions. Pour autant, il ne peut être question de les faire bénéficier d’une immunité identique à celle des parlementaires. Il faut donc trouver un équilibre.

À quelques jours de l’examen par la Haute Assemblée du projet de loi constitutionnel de modernisation des institutions de la ve République, le Gouvernement considère qu’il n’est pas inutile de conforter, par cette mesure de portée, il est vrai, circonscrite, le rôle de ces commissions d’enquête, qui demeurent un instrument efficace du contrôle parlementaire.

Le poids et l’influence des commissions d’enquête n’ont d’ailleurs pas cessé de croître au cours des dernières années, grâce à l’élargissement de leurs moyens d’investigation et à la publicité de leur audition depuis 1991. Cette publicité a d’ailleurs été une évolution forte dans le fonctionnement des commissions d’enquête, dont les travaux étaient, jusque-là, marqués par le secret.

Cette transparence nouvelle n’a pas été sans conséquences sur le sort des témoins entendus dans le cadre de ces commissions. Ils sont tenus de venir témoigner et leur témoignage est, sauf exception décidée par la commission elle-même, public. Ces modalités de témoignage devant les commissions d’enquête parlementaires se rapprochent ainsi de plus en plus des pratiques judiciaires, où les témoins s’expriment, là aussi, par principe, de manière publique. On se souvient évidemment de la médiatisation des travaux de la commission consacrée aux suites de l’affaire dite « d’Outreau ».

Actuellement, en vertu de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative aux fonctionnements des assemblées parlementaires, toute personne convoquée par une commission d’enquête parlementaire est tenue de comparaître et de déposer sous serment. Son refus ou son faux témoignage peuvent faire l’objet de poursuites pénales.

En revanche, ces personnes ne bénéficient d’aucune protection légale pour les propos qu’elles tiennent devant la commission. En effet, les immunités politiques prévues par l’article 26 de la Constitution et par l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, tout comme les immunités judiciaires, prévues par ce même article de la loi de 1881, ne s’appliquent pas dans cette hypothèse. Les témoins peuvent donc être poursuivis pour les propos qu’ils ont tenus lors de leur audition devant une commission, notamment pour diffamation, injure ou outrage.

La proposition du président de l’Assemblée nationale apporte une solution équilibrée à ce problème. Elle permet à la fois d’éviter que des pressions injustifiées soient subies par les témoins tout en veillant à ce que lesdits témoins ne bénéficient pas d’une immunité totale, qui pourrait, si nous n’y prenions garde, conduire à des abus inverses. Il ne faut pas, en effet, que les commissions d’enquête deviennent des lieux de règlements de compte et que des personnes soient mises en cause injustement par des témoins sans pouvoir faire respecter leurs droits.

Afin de parer à cet écueil, la proposition de loi institue une immunité partielle pour ces personnes, qui ne pourront plus être poursuivies pour diffamation, injure ou outrage à raison des propos qu’elles auront tenus ou des écrits qu’elles auront produits devant une commission d’enquête.

Cette immunité sera encadrée.

D’une part, une personne qui présenterait devant la commission d’enquête un faux témoignage continuerait à encourir des poursuites devant les juridictions pénales.

D’autre part, il appartiendra au président de la commission d’enquête, qui est en charge de la police des travaux de la commission, de faire cesser tout débordement, voire d’organiser l’audition à huis clos si cela se révèle nécessaire.

Finalement, ce régime s’apparente à ce que la loi de 1881 prévoit pour les témoins appelés à s’exprimer devant la justice.

La commission des lois du Sénat a souhaité modifier le texte de la proposition de loi en mentionnant la règle explicitement dans la loi de 1881 plutôt que dans l’ordonnance de 1958 et en introduisant un simple renvoi à cette règle dans ladite ordonnance.

Ce choix a sa justification et sa logique, et le Gouvernement émettra un avis favorable sur les amendements de la commission.

La proposition prévoit aussi que ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, les comptes rendus fidèles des réunions publiques des commissions d’enquête faits de bonne foi. Votre commission a aligné cette rédaction sur celle du troisième alinéa de l’article 41 de la loi de 1881, relatif aux instances judiciaires. Le Gouvernement souscrira à cet amendement.

Au terme de cette intervention, je tiens à féliciter vivement M. René Garrec pour la grande qualité de son rapport et celle du travail qu’il a réalisé au nom de la commission des lois du Sénat, présidée par M. Jean-Jacques Hyest.

À un moment où nous entendons renforcer les pouvoirs de contrôle du Parlement, cette proposition de loi, qui protège mieux les témoins des commissions d’enquête, est évidemment opportune. C’est donc tout naturellement que je vous inviterai, au nom du Gouvernement, à l’adopter.

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