Intervention de René Garrec

Réunion du 10 juin 2008 à 16h15
Fonctionnement des assemblées parlementaires — Adoption d'une proposition de loi

Photo de René GarrecRené Garrec, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les actions en diffamation engagées contre des personnes entendues par la commission créée en 2006 pour enquêter sur l’influence des mouvements à caractère sectaire ont conduit l’Assemblée nationale à adopter, le 3 avril dernier, sur la proposition de son président, un texte instituant une immunité relative au profit des témoins des commissions d’enquête.

Avant d’aborder le contenu de cette proposition de loi, je voudrais d’abord rappeler que cet instrument majeur du contrôle parlementaire dispose aujourd’hui de pouvoirs d’investigation lui permettant de conduire sa mission, particulièrement des moyens de contrainte, d’essence judiciaire, pour le recueil des témoignages.

Les témoins sont soumis à des obligations impératives. La personne convoquée par une commission d’enquête doit, d’une part, déférer à cette demande et, d’autre part, déposer sous serment, sous peine d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 7 500 euros. S’ajoute à ces sanctions la faculté, pour le tribunal, de prononcer l’interdiction de tout ou partie de l’exercice des droits civiques.

Si la personne est convaincue de faux témoignage ou de subornation de témoins, elle s’expose, selon les cas, à des peines allant jusqu’à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende.

Le témoin se trouve donc très contraint, sous la réserve toutefois, dans certains cas, de l’opposition du secret professionnel, qui est prévu par la loi.

Ces dispositions ont été bouleversées par l’adoption, en 1991, du principe de la publicité des auditions. À partir de cette date, la règle du secret est devenue l’exception.

Les circonstances de l’audition déterminent aujourd’hui les conséquences judiciaires qui peuvent éventuellement en résulter pour le témoin, créant ainsi une situation inégalitaire.

La jurisprudence a, précisément, posé le statut des personnes convoquées par les commissions d’enquête en leur refusant expressément le bénéfice de l’immunité parlementaire, prévue par la Constitution pour garantir le libre exercice du mandat électif. Reprise par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, cette irresponsabilité traditionnelle protège de toutes poursuites « les discours tenus dans le sein de l’Assemblée nationale ou du Sénat ainsi que les rapports ou toute autre pièce imprimée par ordre de l’une de ces deux assemblées » et le compte rendu des séances publiques des assemblées fait de bonne foi.

Cette protection ne bénéficie aux témoins que par ricochet, du fait de la règle du secret. Dans le cas particulier de la diffamation publique, le juge considère en effet que la publication des propos incriminés dans le rapport de la commission résulte d’une décision souveraine et ultérieure de l’assemblée concernée. En conséquence, la faute personnelle du témoin qui n’a pas maîtrisé ses propos est couverte par le huis clos dans lequel s’est déroulée son audition et l’action en diffamation publique est donc irrecevable.

Ainsi, la protection dont peuvent bénéficier les témoins des commissions d’enquête qui, rappelons-le, déposent sous serment, a été grandement entamée par l’établissement, en 1991, du principe de la publicité des auditions.

Il va de soi que, si l’information des parlementaires doit être la plus complète possible et qu’il importe donc, à cette fin, d’entourer les témoins de garanties propres à encourager une expression libre pour ne pas entraver les investigations des commissions d’enquête, cette protection ne saurait s’organiser au détriment des tiers.

L’Assemblée nationale a donc adopté un système qui s’attache à concilier les différents intérêts en cause : d’une part, les garanties dues aux personnes déposant sous la contrainte et, d’autre part, la préservation des droits des tiers qui s’estimeraient lésés par les propos tenus.

Le dispositif retenu par les députés s’inspire de l’immunité prévue par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui interdit toute action en diffamation, injure ou outrage pour « les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux ». La même exemption s’étend aux comptes rendus fidèles – c’est le qualificatif que l’on trouve dans la jurisprudence, non dans la loi – faits de bonne foi des débats. En revanche, elle ne s’applique pas aux faits diffamatoires étrangers à la cause.

Le texte aujourd’hui soumis au Sénat crée donc, pour les personnes convoquées par les commissions d’enquête parlementaires, une immunité couvrant l’ensemble des éléments, oraux ou écrits, portés à la connaissance des commissions dans la mesure où ils correspondent à l’objet de l’enquête. La protection est étendue aux comptes rendus de bonne foi des réunions publiques des commissions, qui apparaît comme le corollaire de la publicité voulue par le législateur de 1991.

Le champ d’intervention de cette protection est strictement circonscrit à trois types d’infraction : la diffamation, l’outrage et l’injure.

La commission des lois comprend les préoccupations exprimées par l’Assemblée nationale concernant les conséquences de l’ouverture des auditions sur la responsabilité des témoins. Cette inquiétude avait d’ailleurs déjà traversé l’esprit du législateur de 1991.

Remarquons cependant que, après plus de quinze années d’application des nouvelles règles régissant ces auditions, les risques encourus par les personnes entendues doivent être relativisés si l’on considère le nombre de poursuites engagées contre elles au regard des centaines de témoins convoqués par les commissions d’enquête de chacune des assemblées.

La commission des lois souhaite également souligner que les personnes convoquées ne sont pas démunies de toute protection : les commissions peuvent toujours décider le huis clos. Il est donc loisible au témoin d’en demander le bénéfice. C’est ce qui s’est passé lors des auditions de la commission d’enquête sur la conduite de la politique de l’État en Corse, sujet sensible justifiant l’application du secret. C’était, à nos yeux, une condition de l’efficacité des travaux de la commission d’enquête en question

Plusieurs arguments, cependant, conduisent la commission des lois à proposer de retenir le principe d’une immunité spécifique aux commissions d’enquête.

Premièrement, le même régime doit s’appliquer quelles que soient les conditions du témoignage : la publicité ou le huis clos.

Deuxièmement, la garantie ainsi offerte aux témoins doit être de nature à sauvegarder la sincérité des témoignages, et, partant, à renforcer les pouvoirs d’investigation des commissions.

Troisièmement, les tiers ne sont pas non plus dépouillés de toute protection puisque, d’une part, l’immunité ne couvre pas les propos et écrits étrangers à l’objet de l’enquête et que, d’autre part, elle n’affaiblit pas les infractions de faux témoignage ou de subornation de témoins, qui continueraient à être pénalement sanctionnés.

La commission s’est attachée à limiter strictement le dispositif et présentera, à cette fin, deux amendements.

Avant de conclure, je tiens à souligner la responsabilité supplémentaire que cette nouvelle immunité va imposer aux présidents des futures commissions d’enquête pour assurer la modération et la sérénité des auditions, qualités indispensables pour que soient respectés les divers intérêts en présence. Ce ne sera pas simple et je souhaite d’avance bien du plaisir à ceux d’entre nous qui auront à remplir cette mission !

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