Intervention de Pierre-Yves Collombat

Réunion du 10 juin 2008 à 16h15
Fonctionnement des assemblées parlementaires — Adoption d'une proposition de loi

Photo de Pierre-Yves CollombatPierre-Yves Collombat :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la question que nous examinons ayant été largement et brillamment exposée par ceux qui m’ont précédé à cette tribune, je m’efforcerai d’aller à l’essentiel.

Deux évolutions de sens opposés expliquent le dépôt de cette proposition de loi : d’une part, le rôle de plus en plus important des commissions d’enquête parlementaires dans le débat démocratique et, d’autre part, la fragilisation de leurs acteurs essentiels, les témoins appelés à être entendus, voire les parlementaires eux-mêmes ; j’y reviendrai.

S’agissant du premier point, tout le monde s’accorde à dire que les commissions d’enquête sont l’un des instruments essentiels du contrôle parlementaire, même si la France est l’un des pays européens où la possibilité d’en créer reste le plus limitée.

Au Portugal, par exemple, 10 % des parlementaires peuvent demander l’ouverture d’une commission d’enquête. Son président appartient au groupe qui est à l’origine de la proposition. Autant dire que l’opposition y dispose d’un véritable droit.

La neutralisation du Parlement par l’ouverture ou l’existence d’une instruction judiciaire est inconnue des Belges et des Luxembourgeois.

D’une manière générale, dans les États membres de l’Union européenne, les commissions parlementaires ont des pouvoirs quasi judiciaires ; les affaires gênantes ne peuvent donc y être occultées par l’ouverture d’une instruction.

Dans certains cas, les conclusions des commissions sont discutées en séance publique.

On déplorera donc que la proposition de supprimer cet obstacle au contrôle parlementaire ne figure pas dans le projet de révision constitutionnelle issu des travaux du comité Balladur et pourtant censé renforcer les pouvoirs du Parlement. Cette question essentielle des commissions d’enquête est d’ailleurs pratiquement éliminée du débat.

En dépit de ces obstacles, les commissions d’enquête parlementaires, et pas seulement les plus emblématiques comme celle d’Outreau, abondamment évoquée, ont progressivement prouvé qu’elles étaient des instruments majeurs du contrôle parlementaire.

Norme ordinaire depuis 1991, la publicité des auditions, puis leur médiatisation, parfois en direct, en ont fait une pièce essentielle du débat démocratique tout court.

Or, dans le même temps et paradoxalement, les témoins, par ailleurs obligés de comparaître et de prêter serment, voient leur position fragilisée par la jurisprudence de la Cour de cassation, depuis son arrêt du 23 novembre 2004 refusant d’étendre aux témoins des commissions d’enquête parlementaires la protection accordée à ceux des tribunaux, mais aussi par l’apparition de véritables professionnels du harcèlement judiciaire, habiles à utiliser toutes les faiblesses de l’état de droit. Comme l’a rapporté Alain Gest lors du débat à l’Assemblée nationale, sept des témoins entendus par la commission d’enquête consacrée aux mineurs victimes des sectes, créée en 2006, ont fait l’objet de plaintes déposées contre eux par des organismes coutumiers de ce mode d’intimidation.

On mesure l’obstacle ainsi mis à la manifestation de la vérité. Même les parlementaires, en principe parfaitement protégés par la loi, se retrouvent devant la justice ; non, bien sûr, pour les propos qu’ils ont tenus en commission, mais parce qu’ils les ont repris devant des journalistes !

Cette proposition de loi est donc opportune et justifiée. Légitimité pour légitimité, celle du Parlement vaut bien celle des tribunaux et, en conséquence, les témoins entendus par ses commissions d’enquête ont droit à une protection au moins équivalente.

Certes, les droits des tiers éventuellement mis en cause doivent être garantis, mais rien ne permet de penser que le dispositif existant ne le permet pas : les auditions peuvent se dérouler à huis clos en cas de nécessité, cela a été dit tout à l’heure ; les poursuites pour faux témoignage et subornation de témoins sont possibles ; la protection est accordée uniquement pour les propos en rapport direct avec l’affaire ; enfin, une obligation de bonne foi est imposée aux comptes rendus, ce qui représente une contrainte sérieuse.

Le groupe socialiste votera donc ce texte. Toutefois, comme vous l’avez constaté, j’ai déposé un amendement qui, s’il était adopté, permettrait d’améliorer encore le travail parlementaire. L’ordonnance de 1958 prévoit, vous le savez, que « toute personne dont une commission d’enquête a jugé l’audition utile est tenue de déférer à la convocation qui lui est délivrée [...] ». Elle est « tenue de déposer sous réserve des dispositions des articles 226-13 et 226-14 du code pénal ». Voilà qui est clair et ne pose pas de problème, sauf quand l’entourage du Président de la République est concerné.

À ma connaissance, il est arrivé au moins trois fois que les dispositions de l’ordonnance de 1958, claires en principes, n’aient pas été appliquées, sans aucune conséquence pour leurs auteurs : une convocation a ainsi été adressée, sans succès, au porte-parole du Président Giscard d’Estaing en 1979, à Gilles Ménage, directeur de cabinet du Président Mitterrand en 1992 dans l’affaire de l’hospitalisation en France du leader palestinien Georges Habache, et enfin, tout récemment, à Mme Sarkozy Cécilia dans l’affaire des infirmières bulgares libérées dans des conditions mal élucidées par la Libye.

On fait valoir – cela reste à vérifier – que, au moins dans les deux derniers cas, la commission d’enquête parlementaire aurait finalement renoncé à son projet, réglant ainsi élégamment la question. Même si tel est formellement le cas, qui pourrait y voir sérieusement le produit d’une soudaine illumination des parlementaires et non celui des pressions exercées sur eux, au nom, bien sûr, de la sacro-sainte séparation des pouvoirs, qui, étrangement, autorise l’audition des membres du Gouvernement, voire, depuis l’année dernière, celle du secrétaire général de la présidence, lesquels ont un statut juridique officiel, mais pas l’audition des « envoyés personnels du Président », qui n’en ont aucun.

Plus d’ailleurs que les faits eux-mêmes, symboliquement forts mais finalement peu nombreux, c’est la doctrine développée par l’exécutif autour de ces affaires qui pose problème et motive mon amendement.

En 2007, David Martinon, encore porte-parole de l’Élysée, expliquait qu’il serait « inconstitutionnel » et que constituerait une « entorse au principe de séparation des pouvoirs » le fait que Nicolas Sarkozy « puisse répondre à une commission d’enquête parlementaire […] », ce que, d’ailleurs, personne n’a demandé. « Par extension, ajoutait-il, Mme Sarkozy, puisqu’elle était son envoyée personnelle, tombe sous la même règle. »

Si, vous le savez, Shiva a de multiples bras, le Président de la République française a, lui, des « extensions », dont on aimerait connaître le statut juridique.

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