Intervention de Yves Pozzo di Borgo

Réunion du 27 mai 2010 à 9h30
Agents sportifs — Adoption définitive d'une proposition de loi en deuxième lecture

Photo de Yves Pozzo di BorgoYves Pozzo di Borgo :

Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, au moment où le tournoi international de tennis de Roland-Garros bat son plein et à la veille de la Coupe du monde de football en Afrique du Sud, le groupe de l’Union centriste apportera ses voix à la proposition de loi visant à encadrer la profession d’agent sportif.

Cette activité concerne 6 000 professionnels en Europe, essentiellement dans le domaine des sports collectifs, pour un chiffre d’affaires de 200 millions d’euros en 2009.

Le monde sportif se professionnalise de plus en plus, obéissant incontestablement à une logique commerciale : il brasse une quantité d’argent considérable, en raison de la médiatisation croissante des compétitions sportives. Les sportifs touchent quant à eux des salaires tout aussi considérables, d’autres l’ont déjà dit, mais je me permets de le rappeler, car cela me paraît important : pour information, les joueurs de football de Ligue 1 gagnent en moyenne 40 000 euros par mois, et un international français toucherait, me dit-on, 100 000 euros par semaine – si l’information est vraie, ce chiffre est complètement fou !

Les enjeux commerciaux et financiers colossaux du monde sportif prennent parfois le pas sur l’esprit du sport et de la compétition, et la concurrence mondiale entre les clubs et les nations ne fait qu’accroître l’inflation du montant des transferts des joueurs.

Madame la secrétaire d’État, nous devons nous interroger sur le modèle que nous proposons à la jeunesse, en France, en Europe ou dans le monde. L’image des footballeurs et de leurs équipes exerce une influence fantastique sur le modèle de vie dont rêvent beaucoup de jeunes. Comment avons-nous pu, en France comme ailleurs, laisser dériver les salaires des joueurs évoluant à ces niveaux de compétition, au détriment de toutes les valeurs du sport ? Le rugby, moins prégnant dans l’imaginaire collectif de la jeunesse, a tout de même réussi, du moins en France, à limiter une telle inflation des salaires.

Il nous faut réfléchir à ce problème, car notre pays à un rôle à jouer dans le monde. Comment avons-nous pu laisser autant de pouvoir à nos fédérations sportives, françaises, européennes ou mondiales, qui sont devenues de véritables États dans l’État : aucune influence politique ne peut s’exercer sur elles !

Il importe que la voix de la France puisse rappeler certaines valeurs ! Pourquoi la Fédération française de football, l’UEFA ou la FIFA ne pourraient-elles pas réaliser un travail d’harmonisation ? Pourquoi ces trois fédérations ne seraient-elles pas en mesure de freiner cette inflation des salaires ? Que fait Michel Platini, le président français de l’UEFA ? Ne pourriez-vous pas, madame la secrétaire d’État, envisager avec lui les actions à mener ? Vous êtes jeunes, vous pouvez avoir une influence énorme dans ce domaine ! Il est très important que nous jouions un rôle de lobbying auprès de ces responsables pour leur demander d’être raisonnables et de ramener un peu d’ordre dans la profession.

Cette question me paraît très importante pour l’évolution du monde et de la jeunesse française ; je considère même qu’elle est fondamentale. En tant qu’élu parisien, j’ai toujours refusé de voter la subvention de 3 ou 4 millions d’euros attribuée au Paris-Saint-Germain, non pas parce que je ne soutiens pas ce club, mais parce que je suis toujours défavorablement impressionné, quand je me rends dans les écoles, par l’admiration que portent les enfants à ces joueurs qui gagnent des sommes folles ! Comment pouvons-nous offrir de tels modèles à notre jeunesse ? Cela mérite réflexion.

Après ces observations, permettez-moi de revenir au texte de la proposition de loi.

Si la loi du 6 juillet 2000 relative à l’organisation et à la promotion des activités physiques et sportives a tenté d’encadrer la profession d’intermédiaire sportif en posant les règles d’accès, d’exercice et de contrôle des agents sportifs, le système en vigueur n’a pas permis d’enrayer la multiplication des pratiques frauduleuses dans cette profession.

Le rapport rendu en 2005 par l’Inspection générale de la jeunesse et des sports et l’Inspection générale des finances, cité par notre collègue député Philippe Boënnec, relève en effet le très faible taux de contrats de mandat soumis aux fédérations, le non-respect quasiment généralisé de l’obligation de rémunération de l’agent sportif par le seul sportif, le club s’acquittant de cette rémunération, ainsi que le nombre trop important d’agents dépourvus de licences – ce monde est trouble et on ne sait pas si des influences autres, relevant de la grande délinquance mondiale, ne s’exercent pas. Le rapport constatait également la difficulté du contrôle des agents, du fait de la possibilité ouverte par la loi d’attribuer la licence à une personne morale, ou encore la détention, par certains agents, de parts de capital de clubs, entraînant des conflits d’intérêts avérés.

On pourrait continuer cet inventaire à la Prévert, mais je crois que nous nous accordons tous à reconnaître la nécessité d’établir des règles plus strictes d’encadrement de la profession d’agent sportif. En ce sens, la proposition de loi qui nous est soumise prévoit des mesures que le groupe de l’Union centriste soutient assez largement.

L’octroi de la licence aux seules personnes physique et, a contrario, l’interdiction faite aux personnes morales d’exercer l’activité d’agent sportif constituent des avancées considérables, qui faciliteront certainement le contrôle de cette profession.

En outre, en autorisant la rémunération des agents par les clubs, on diminue les risques de paiements officieux, et donc la circulation et le blanchiment d’argent sale ; ce problème n’a pas été suffisamment soulevé. En revanche, on peut regretter que l’agent ne soit pas rémunéré par le seul sportif, laissant encore la porte ouverte à des pratiques de double mandatement, où l’agent touche une commission du sportif et du club. Dans tous les cas, la proposition de loi constitue un moindre mal.

En interdisant le cumul des fonctions de dirigeant, d’associé ou d’actionnaire d’une société d’agents sportifs avec celles de sportif ou d’entraîneur, la proposition de loi permet d’éviter les conflits d’intérêts.

Dans un monde sportif largement internationalisé, il est important de pouvoir exercer un contrôle sur les agents sportifs ressortissants de pays extérieurs à l’Union européenne. En effet, dans un contexte d’opérations de placement transfrontalières, le contrôle et la mise en œuvre de sanctions sont difficiles à réaliser, voire ineffectifs. Le fait que la loi prévoie la conclusion d’une convention de présentation avec un agent détenteur de licence, sans préciser que celle-ci doit-être nationale, n’est pas complètement satisfaisant. Cette exigence aurait été d’autant plus souhaitable qu’elle n’est pas considérée par le droit communautaire comme une entrave à la libre circulation des salariés : la proposition de loi aurait donc pu aller encore plus loin. La solution retenue permet malgré tout un contrôle a minima de l’activité des agents internationaux en France et constitue, à ce titre, un progrès.

De plus, l’interdiction faite à un agent de toucher de l’argent pour le transfert d’un mineur constitue une mesure qui, en théorie, évite la « marchandisation » des jeunes joueurs. Au-delà des bonnes intentions, une telle mesure ne me semble pas revêtir une portée pratique satisfaisante. Trop de sportifs sont mineurs et les agents qui placent ces « potentiels » toucheront, d’une manière ou d’une autre, une commission.

Enfin, la proposition de loi aggrave les sanctions, notamment financières, à l’encontre des agents qui exercent dans l’illégalité. L’Assemblée nationale a souhaité que les sanctions prises par les fédérations soient publiées, et je soutiens cette initiative. J’en profite pour rappeler, à l’instar de mes collègues du groupe de l’Union centriste qui interviennent dans le débat sur le projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, que, lorsque les amendes financières ne revêtent pas d’effet dissuasif dans un milieu professionnel donné, il n’est pas de meilleure sanction que celle qui porte atteinte à l’image du contrevenant. Si nous voulons aller jusqu’au bout de la moralisation de la profession – c’est un grand rêve ! –, il faut l’assumer et faire connaître les mauvais élèves aux supporters, en publiant chaque sanction.

Pour conclure, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je salue une nouvelle fois l’initiative de notre collègue Jean-François Humbert, ainsi que le travail de notre rapporteur, Pierre Martin. Avec ce texte, ils tentent de vaincre l’opacité et les déviances d’un système, afin de rendre au sport ses lettres de noblesse et de répondre ainsi à l’attente de notre jeunesse impatiente !

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