Madame la présidente, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, messieurs les rapporteurs pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, pendant toute l’année 2009, nous avons répondu à l’urgence de la crise en mettant en œuvre tous les moyens, à la fois fiscaux et budgétaires, pour soutenir notre économie et aider nos concitoyens les plus fragiles à traverser cette épreuve.
Cette action a d’ores et déjà porté ses fruits. Les chiffres publiés depuis la fin de l’année dernière sont les premiers signes d’une reprise économique qu’il nous faut encore conforter. Avec une progression de notre PIB de 0, 6 % au quatrième trimestre 2009, la croissance est en nette accélération, après une progression de 0, 2 % au troisième trimestre.
Nos perspectives de croissance pour 2010, évaluées à 1, 4 %, nous placent avec l’Allemagne dans le peloton de tête des pays dont la reprise est la plus marquée, la prévision de croissance pour l’ensemble de la zone euro étant de 1 %, selon le FMI.
Si la comparaison par rapport à nos voisins est à notre avantage, elle ne doit pas non plus masquer certaines de nos faiblesses historiques, qui, si nous ne les surmontons pas rapidement, constitueront autant de handicaps pour l’avenir. Car c’est aujourd’hui, en cette période de sortie de crise, que notre avenir se joue. Nous ne pouvons pas nous permettre de passer à côté des évolutions, non seulement des technologies, mais aussi des savoirs, qui vont dessiner le monde de demain.
Il serait facile d’expliquer qu’il ne faut pas tout attendre de l’État. Mais ce n’est pas notre choix. Au contraire, nous avons la conviction qu’il est possible d’agir et d’investir aujourd’hui pour se donner un avenir crédible.
Cette conviction ne date pas d’hier. Elle imprime depuis bientôt trois ans nos priorités budgétaires, tournées vers la recherche et l’enseignement supérieur, la compétitivité et le développement durable. La progression de 1, 8 milliard d’euros chaque année depuis 2007 des crédits alloués à l’enseignement supérieur et la recherche, l’extension du crédit d’impôt recherche et le Grenelle de l’environnement ont marqué une rupture très profonde des priorités de l’État.
Alain Juppé et Michel Rocard rappelaient, dans le rapport qu’ils ont remis au Président de la République, qu’« il y a deux façons de mal préparer l’avenir : accumuler les dettes pour financer les dépenses courantes ; mais aussi, et peut-être surtout, oublier d’investir dans les domaines moteurs ».
Personne ne peut douter de la détermination du Gouvernement à redresser l’équilibre de nos finances publiques. L’organisation, à la fin du mois de janvier, de la conférence sur le déficit public, présidée par le Président de la République, le prouve. Personne ne peut non plus reprocher au Gouvernement d’ignorer la préparation de l’avenir. C’est ce qu’il démontre chaque jour dans son action.
La réflexion à laquelle nous sommes aujourd’hui appelés sur nos priorités nationales s’inscrit dans la même vision, la même stratégie et la même ligne que celle qui est suivie par nos principaux partenaires européens. Il suffit d’ailleurs de regarder au-delà de nos proches frontières : le Royaume-Uni s’est doté d’un fonds d’investissement stratégique pour financer les projets innovants dans les hautes technologies ; l’Allemagne a conçu pour sa part un programme de 2 milliards d’euros pour soutenir l’innovation de ses PME. Notre démarche va dans le même sens, mais elle est évidemment très exceptionnelle par l’ampleur des moyens que nous sommes prêts à lui consacrer.
Cette réflexion inédite a suscité beaucoup de débats. Certains ont voulu enfermer la discussion dans la pure et unique question de l’emprunt, comme si la question se résumait à donner une succession à la longue liste des emprunts déjà lancés sous la Ve République ! La polémique est passée à côté de l’enjeu posé par cette question : où, combien et comment investir pour renforcer durablement la compétitivité de notre économie sans pour autant compromettre le redressement de nos finances publiques ?
La réponse que nous avons apportée repose sur quatre principes : la sélection de priorités limitées ; la recherche de l’excellence ; la mise en place d’une gouvernance exceptionnelle ; enfin, le choix du mode de financement le moins coûteux et la préférence donnée aux dépenses d’investissement sur les dépenses courantes.
Quelles sont, tout d’abord, les priorités d’investissement ? La commission présidée par Alain Juppé et Michel Rocard a très précisément éclairé cette question. Les ouvertures de crédits proposées sont les suivantes : 19 milliards d’euros pour l’enseignement supérieur, la formation et la recherche ; 6, 5 milliards d’euros pour l’industrie et les PME ; 5 milliards d’euros pour le développement durable ; 4, 5 milliards d’euros pour le numérique. Cela représente, au total, 35 milliards d’euros tournés vers l’innovation.
Certains ont regretté l’absence du financement des infrastructures de transport. J’aurai l’occasion de revenir sur ce choix lors de la discussion d’un amendement voté par la commission des finances et portant sur le canal Seine-Nord Europe.
Les projets financés à travers ces actions sont d’ailleurs extrêmement divers : des campus d’excellence à la promotion des nouveaux usages dans le numérique ; de la conception du véhicule du futur à la recherche dans les biotechnologies.
Tous ces projets se rejoignent en revanche dans la recherche d’une seule ambition, l’excellence pour la France.
Ce mot, malgré son usage fréquent, conserve encore un sens. Il faut en réalité le promouvoir, en évitant de céder à la pression constante du nivellement. Évidemment, l’excellence ne se fait pas contre ce qui existe.
Pour prendre l’exemple de l’enseignement supérieur, nous allons consacrer presque 8 milliards d’euros à des campus d’excellence, avec l’objectif de faire de ces partenariats d’écoles, d’universités, d’organismes de recherche et d’entreprises des pôles de visibilité mondiale. Nous mobilisons 1 milliard d’euros supplémentaire pour la constitution du plus important campus scientifique et technologique européen sur le plateau de Saclay.
Avec l’émergence de ces pôles d’excellence, nous nous donnons les moyens de ne plus jouer dans la deuxième division du célèbre classement de Shanghai.
Mais nous n’oublions pas non plus les autres campus. Des financements sont prévus pour ceux qui, sans être sélectionnés dans le processus des « campus d’excellence », ont des points forts qui en font, dans leur domaine, des acteurs de référence : 1 milliard d’euros sera destiné à des laboratoires d’excellence et 1 milliard d’euros à des équipements d’excellence ; 3, 5 milliards d’euros permettront de mieux valoriser les résultats de la recherche publique.
En tout état de cause, ces investissements d’avenir se font sans remettre en cause la progression des moyens des autres universités et des autres organismes de recherche.
On ne peut cependant viser cette excellence sans un cadre rigoureux de mise en œuvre et sans une gouvernance propre au grand emprunt.
L’exception se traduit tout d’abord, dans ce collectif, par l’ouverture de crédits sur des programmes budgétaires spécialement créés. Au sein des missions déjà existantes, il s’agit d’isoler les dépenses d’avenir, par nature exceptionnelles, des autres dépenses de l’État.
Nous avons fait le choix d’un décaissement en bloc à des opérateurs chargés de leur gestion. Ce décaissement ne traduira pas, il est vrai, la réalité des décaissements chez les opérateurs, car les décaissements de ces derniers s’inscriront nécessairement dans la durée, en fonction des projets.
Plus que l’architecture budgétaire retenue, c’est bien la procédure d’instruction et de mise en œuvre des investissements d’avenir qui les distinguera des autres interventions de l’État. Je sais que le Sénat est particulièrement sensible à ce point.
Dans cette démarche, l’évaluation est un enjeu majeur, à tous les stades du projet, depuis la sélection sur la base d’appels à projets lancés avec le concours d’experts reconnus jusqu’à la mesure des résultats obtenus.
La recherche d’un effet de levier sur les autres financements, privés ou publics, ne peut que servir l’objectif d’un investissement intelligent. Alain Juppé et Michel Rocard visaient dans leur rapport un objectif de 60 milliards d’euros d’investissement global avec cet effet de levier. Nous maintenons cet objectif dans le choix des futurs projets.
Dans l’architecture qui sera mise en place, le commissariat général à l’investissement, confié à René Ricol, a vocation à jouer un rôle central. Il aura la charge de préparer, avec tous les ministères concernés – qui, il importe de le noter, sont également au cœur du dispositif –, les outils de contractualisation avec les opérateurs gestionnaires des fonds.
Des conventions détermineront précisément leur emploi, en cohérence avec les politiques menées par le Gouvernement, ainsi que les indicateurs de mesure des résultats attendus, que le Parlement, comme le Gouvernement, surveillera attentivement.
Un comité de surveillance sera mis en place, dans le prolongement de la mission confiée à Alain Juppé et Michel Rocard. Il veillera plus particulièrement au suivi de la mise en œuvre et aux résultats des programmes d’investissement, au fur et à mesure de leur lancement.
Quelle est la place du Parlement dans cette gouvernance ? §Je crois que ce serait faire un mauvais procès au Gouvernement…