Intervention de Philippe Marini

Réunion du 15 février 2010 à 15h00
Loi de finances rectificative pour 2010 — Discussion d'un projet de loi

Photo de Philippe MariniPhilippe Marini, rapporteur général de la commission des finances :

Nous savons bien que, ces derniers jours, un soutien politique a été accordé à la Grèce, et qu’une certaine mobilisation s’est produite pour qu’elle tienne et pour que les marchés cessent de l’attaquer. Est-ce suffisant, monsieur le ministre ? Je crois que l’on peut très sérieusement se poser la question.

La politique monétaire n’est plus aujourd’hui un instrument d’ajustement à la disposition des États. La marge de manœuvre de la Banque centrale européenne est fortement affaiblie par le fait que les taux d’intérêt sont à un niveau historiquement bas. Par ailleurs, les marges de manœuvre budgétaires sont réduites par les interrogations sur la soutenabilité des finances publiques qu’expriment les marchés, les analystes, les agences de notation.

Tout cela se traduit par un renchérissement du coût de la dette pour les États perçus comme les plus fragiles. La semaine dernière, c’est la Grèce qui en a fait les frais ; mais personne ne peut imaginer l’enchaînement de circonstances fortuites qui peut conduire, d’ici à quelque temps, à mettre tel ou tel autre État de la zone euro sur la sellette.

Lorsque j’ai eu l’occasion, au nom de la commission, de me rendre dans certains des nouveaux États membres de l’Union européenne, j’y ai vu intervenir de concert – c’est en particulier le cas de la Lettonie – le Fonds monétaire international et l’Union européenne, avec les mêmes méthodes et des moyens d’intervention coordonnés.

Mais, bien entendu, à l’intérieur de la zone euro, l’intervention du FMI est un sujet tabou ; elle serait d’ailleurs difficile à imaginer. Pourtant, qu’est-ce qui distingue fondamentalement, sur le plan de l’économie réelle, la Grèce, la Roumanie, la Hongrie et les pays baltes ?

Dans ce contexte, monsieur le ministre, la gouvernance économique de la zone euro est un sujet incontournable. Nos gouvernants vont avoir à traiter le problème essentiel des règles du jeu de la zone euro. Est-il possible, aujourd’hui, d’entretenir la fiction selon laquelle les Vingt-Sept auraient tous vocation à entrer dans la zone euro un jour ou l’autre ? Nous vivons toujours dans cette idée, bien que nous sachions désormais qu’il s’agit d’une fiction, et que les États ayant l’euro en partage ne disposent pas des institutions qui leur permettraient véritablement de faire face aux circonstances. Au titre du contexte, ce point me paraît essentiel.

Permettez-moi de m’attarder un instant sur la question monétaire. Mes chers collègues, la dépréciation de l’euro que l’on a vu se concrétiser récemment sur les marchés est une bonne nouvelle pour la France ! Qu’il me suffise de rappeler que, transposée sur une année pleine, une dévalorisation de 10% de l’euro par rapport à toutes les autres monnaies, c’est 0, 7 point de croissance supplémentaire.

Bien entendu, cette hypothèse favorable, dont nul ne sait quelle est la réalité, est contrebalancée par un autre élément qui risque d’être beaucoup plus défavorable, je veux parler du regard porté par les marchés sur le redressement de nos finances publiques.

Nous sommes véritablement au cœur de ces contradictions. Et cette sortie de crise, monsieur le ministre, va être l’épreuve de vérité pour nos finances publiques. D’où le caractère très important du texte que nous examinons. S’il est signal de laxisme, il desservira la France. S’il nous permet, au contraire, de mieux nous organiser pour faire face aux investissements d’avenir, de créer des procédures transparentes, d’assurer une convergence réelle vers le respect des règles auxquelles nous avons souscrit, peut-être ce texte aura-t-il alors un rôle vertueux.

Le programme triennal de stabilité que vous venez, monsieur le ministre, de transmettre à Bruxelles comme en chaque début d’année est particulièrement volontariste. J’oserai dire que, même si aucun des précédents n’a été respecté – et loin s’en faut ! –, nous n’avons pas le droit à l’erreur pour celui-ci, compte tenu du contexte que je viens d’évoquer.

En effet, nous avons un beau crédit. Nous sommes crédibles. Les conditions de notre dette sont attractives. Mais tout cela ne repose que sur de la psychologie ! Le rapport de la dette sur le produit intérieur brut, l’envolée du déficit et notre incapacité à obtenir que la dépense publique augmente de moins de 2 % en volume par an ces dernières années militeraient effectivement plutôt pour des appréciations mitigées.

Or, Dieu merci, les appréciations portées sur nous jusqu’à présent sont plutôt valorisantes et bienveillantes. À nous de les mériter. Je crois que c’est en particulier à vous, monsieur le ministre, qu’il incombe de faire en sorte que ces réalités-là ne soient pas oubliées.

Nous espérons que votre détermination à faire respecter les chiffres contenus dans le programme de stabilité est totale. Ces chiffres doivent permettre, au prix d’économies de dépense lourdes, douloureuses, d’aboutir à un déficit de 3 % du produit intérieur brut à l’horizon 2013. §

Je terminerai sur cet aspect en rappelant l’importance des règles du jeu. Que ces règles soient constitutionnalisées ou intégrées dans la loi organique ne peut pas faire de mal ; mais cela ne saurait se substituer à une volonté active, qui se prouve chaque jour dans la réalité de la gestion. En tout cas, un objectif en termes de solde, exprimé par des règles simples, que l’on ne puisse pas – ou plus – manipuler au gré des circonstances, est évidemment essentiel à notre crédibilité. Aujourd’hui encore plus qu’hier nous avons un besoin impérieux de crédibilité.

J’en viens maintenant aux paradoxes du projet de loi de finances rectificative. Ce texte, monsieur le ministre, est une sorte de Janus : d’un côté, il accroît le déficit de 31, 6 milliards d’euros, il alourdit de 27% le déficit que nous venons tout juste de voter dans le cadre de la loi de finances initiale pour 2010 ; de l’autre côté, il me paraît porteur de quelques évolutions que j’oserai qualifier de vertueuses.

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