Intervention de Jean-Claude Etienne

Réunion du 15 février 2010 à 15h00
Loi de finances rectificative pour 2010 — Discussion d'un projet de loi

Photo de Jean-Claude EtienneJean-Claude Etienne, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication :

L’insuffisance d’innovation – que disséquera d’ailleurs, naturellement, l’orateur qui va me succéderà cette tribune – nous est apparue comme la conséquence d’un manque de valorisation de la recherche ; elle a été intégrée dans la construction de ce projet de loi de finances rectificative comme un objectif premier.

La recherche elle-même est intimement liée à l’enseignement supérieur, dont elle constitue le label de qualité le plus communément pris en compte. Les classements internationaux – vous y avez fait référence, monsieur le ministre –, qu’il s’agisse de celui de Shanghai ou d’autres, même s’ils ne sont pas exempts de failles, en font régulièrement le plus grand cas.

Philippe Marini, à l’instant même, a bien mis en évidence le rôle que doit jouer en l’occurrence l’Agence nationale de la recherche et a montré comment, par l’intermédiaire des modes de financement, on pouvait peser sur certains facteurs déterminants pour induire dans l’université, la recherche et l’innovation des séquences de procédures qui soient porteuses d’espoir et ne s’enferment pas, comme c’est encore trop souvent le cas actuellement, dans l’obsolescence et le manque de pertinence.

L’initiative qu’a prise la commission coprésidée par Alain Juppé et Michel Rocard de placer au cœur de ses réflexions la trilogie que forment innovation, recherche et enseignement mérite d’être saluée. Comme Michel Rocard, voilà trois jours à peine, a encore tenu à le souligner devant l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, « la clé de l’édifice proposée [à travers ce texte] est très consensuelle : ce sont les unités productrices de savoir (enseignement supérieur et recherche) qui seront à l’origine d’un nouveau tissu économique français plus innovant et donc plus compétitif ».

L’occasion nous est enfin donnée, avec 25 des 35 milliards d’euros prévus dans ce projet de loi de finances rectificative, d’ébrouer des pans entiers de nos structures d’enseignement supérieur et de recherche. Ne l’oublions pas, ce sont là les fondements mêmes de l’innovation puisque la recherche fondamentale et la recherche appliquée forment – le débat aristotélicien sur le sujet est aujourd’hui épuisé ! – un continuum : toutes nos sociétés modernes de la connaissance savent à quel point l’interdépendance est grande entre enseignement supérieur, recherche et innovation. Encore faut-il que nous soyons capables d’élaborer les protocoles de la valorisation de cette recherche afin de ne pas en rester, comme c’est trop souvent le cas, à des brevets dont nous pouvons à juste titre nous enorgueillir mais qui sont rarement, voire qui ne sont jamais, transformés en brevets exploitables. Il nous revient donc, de ce point de vue, de forcer l’enchaînement des structures pour qu’il soit enfin mis un terme aux cloisonnements.

Le texte qui nous est aujourd’hui soumis nous offre par conséquent la possibilité de franchir un nouveau pas dans la transformation en profondeur de notre enseignement supérieur et, avec lui, de notre recherche. On connaît déjà l’une de ses singularités, qui est d’ailleurs souvent ressentie comme flatteuse à l’échelle hexagonale : le prestige, la notoriété des grandes écoles d’un côté, et les structures universitaires de l’autre. Je voudrais cependant insister sur le fait que, en matière de recherche, nous devons construire une synergie entre ces structures, synergie qui d’ailleurs commence à s’ébaucher de facto : ainsi, les laboratoires de recherche des grandes écoles sont de plus en plus souvent animés par des directeurs qui ne sont pas issus de celles-ci mais sont au contraire des purs produits de la recherche universitaire. Le processus est en marche, il nous suffit de forcer les feux pour parvenir à un niveau de performance que nous n’avons jusqu’à présent jamais atteint.

Concernant les modes de recrutement, qui diffèrent, on le sait bien, entre les universités et les grandes écoles, nous avons à repenser, là encore, les synergies, en nous inspirant de ce que font les structures universitaires étrangères les plus performantes : les épreuves de travaux de recherche et de pédagogie du transfert des savoirs y sont au premier plan.

Nous avons ici l’occasion de recentrer l’activité de recherche, en lui donnant toute l’ampleur qu’il convient pour espérer les meilleurs prolongements concrets en termes d’innovation, notamment.

Dans le cadre exigu – trop exigu encore ! – que nous connaissons aujourd'hui, le chercheur, parfois décrié par les humoristes, est souvent condamné à n’être honoré que pour chercher, sans être suffisamment distingué pour ce qu’il a trouvé.

Arrêtons d’essouffler les talents et la créativité de nos chercheurs en les laissant claquemurés dans des systèmes qui, certes, ont eu leur heure de gloire, mais qui sont aujourd’hui devenus obsolètes et constituent des handicaps face à la dynamique et à l’ampleur de la compétition internationale !

Compte tenu de cette réalité, ne soyons pas étonnés que les chercheurs français restent très demandés et soient, toujours, si convoités dans le monde, alors même que, dans l’Hexagone, nos structures de recherche sont, trop souvent, assez compassées. Il nous faut désormais les moderniser, et ce grand emprunt nous fournit l’occasion de le faire !

Il s’agit, pour nous, d’avoir des acteurs académiques et technologiques mondialement reconnus, qui attirent les meilleurs, à l’image de ce qu’ont fait la plupart des grandes nations de l’innovation, telles que les États-Unis ou la Corée du Sud, pour ne citer qu’elles. Ce n’est d’ailleurs pas la taille d’un pays qui donne la mesure de sa capacité à innover, c’est sa propension politique générale et entrepreneuriale qui est, en l’occurrence, déterminante.

En la matière, la France a les chercheurs qui lui permettront de compter, à son tour, au nombre des tout premiers pays pour l’innovation.

L’un de mes collègues chercheurs, fidèle à sa paillasse, me confiait que la France a tout pour devenir un dragon de l’innovation, façon occidentale. Eh bien, saisissons-le au mot ! Avec ce projet de loi de finances rectificative, il s’agit véritablement de conforter une université d’un nouveau type : ambitieuse et au centre même du dispositif de recherche.

À cette fin, il nous faut dès maintenant imposer un fonctionnement contractualisé, décloisonné, et encourager le développement d’« écosystèmes ».

Les sites d’excellence retenus doivent jouer un rôle de locomotive pour l’ensemble du système. Pour ce faire, il est impératif, aux stades de la sélection et de l’évaluation des projets, auxquels ont fait référence M. le ministre et M. le rapporteur général, d’inciter les campus à fonctionner en réseau, matérialisé ou virtuel. Et, en la matière, c’est le chèque attaché au contrat de recherche et à la procédure évaluative qui permettra d’avancer !

Sur les sites d’enseignement et de recherche eux-mêmes, il convient de susciter la création des futurs « écosystèmes ». Depuis la grande histoire de la Silicon Valley, on sait combien ce qu’il est désormais convenu d’appeler « l’effet cafétéria » est essentiel. Mais cela suppose que des directeurs de recherche se voient confier la responsabilité de thématiques multisites. La dynamique de la contractualisation, avec financements à la clé, doit assurer cette synergie. Le suivi évaluatif de l’unité, sur lequel vous avez légitimement insisté, doit être, lui aussi, contractualisé au départ. Charge est donnée à la gouvernance du projet de veiller au contenu du contrat, non seulement lors du lancement du projet, mais aussi, et peut-être surtout, dans son suivi évolutif.

Ainsi que vous l’avez souligné tout à l'heure, monsieur le ministre, il nous faut gagner le pari de l’opération du plateau de Saclay. Outre les 850 millions d’euros déjà prévus pour conduire une opération à haute valeur emblématique, Saclay va recevoir une manne exceptionnelle de 1 milliard d’euros.

Le plateau rassemble aujourd’hui 10 % des effectifs de la recherche en France et devrait en compter, demain, près de 20 % avec, dès 2015, plus de 34 000 étudiants, dont 7 000 doctorants et 12 000 chercheurs et enseignants-chercheurs.

Le regroupement des acteurs doit donner la visibilité internationale qui nous manque et que soulignent les classements.

Le succès du plateau de Saclay nous semble subordonné au « décloisonnement » des acteurs. Même si 10 % des effectifs de la recherche sont aujourd'hui concentrés sur ce plateau, on peut légitimement être attristé par ce qui s’y passe.

Certes, des laboratoires prestigieux sont déjà en place in situ, mais ils sont matériellement délimités par d’importants grillages. Rien n’unit donc les acteurs qui travaillent actuellement sur le plateau de Saclay.

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