Intervention de Bruno Retailleau

Réunion du 15 février 2010 à 15h00
Loi de finances rectificative pour 2010 — Discussion d'un projet de loi

Photo de Bruno RetailleauBruno Retailleau, rapporteur pour avis de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire :

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, la commission de l’économie, que je représente, a souhaité se saisir de ce texte pour deux raisons.

D’abord, l’emprunt national est un instrument de politique économique et industrielle. Ensuite, trois des cinq priorités entrent directement dans son périmètre de compétence.

L’emprunt national est un instrument de politique économique assez exceptionnel. En effet, la crise n’est pas une simple transition conjoncturelle dans un cycle économique banal. C’est, au contraire, une vraie rupture structurelle, en ce sens qu’il y aura un avant et un après.

Avant, la croissance a été artificiellement dopée par le crédit. Après, elle sera voisine de ce que l’on appelle la croissance potentielle.

Or l’analyse économique nous apprend que cette dernière n’a que deux facteurs déterminants : la démographie, variable sur laquelle nous avons peu de prise à moyen terme, et, surtout, la productivité, qui est un vrai sujet de politique économique sur lequel on peut avoir prise en incorporant toujours plus d’innovations au moyen d’investissements.

La chaîne causale que l’on cherche donc à renforcer est la suivante : recherche - innovation - investissement – productivité – croissance, notamment croissance potentielle.

Si nous ne faisons rien, la France court plusieurs risques.

D’abord, dans notre pays, nous avons du mal à convertir l’excellence de notre recherche en succès économique. De l’autre côté du Rhin, l’Allemagne dépose, par million d’habitants, soixante brevets triadiques par an, alors que nous n’en déposons que quarante en France !

Surtout, notre investissement, tant public que privé, souffre d’une grande faiblesse, ce qui écrase tendanciellement la croissance potentielle que nous pouvons attendre dans les prochaines années.

Toute la philosophie de l’emprunt national est précisément d’accrocher un nouveau modèle économique, plus vertueux, moins dépendant des énergies fossiles et davantage tourné vers la connaissance.

Si la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire partage les objectifs du Gouvernement sur le grand emprunt, elle souhaite formuler trois propositions pour améliorer la méthode de gestion.

La première proposition, évoquée tant par M. Philippe Marini que par M. Jean-Claude Etienne, concerne la gouvernance. Pour faire contrepoids, si j’ose dire, à ce qui ressemble furieusement à une procédure de débudgétisation, nous souhaitons renforcer le contrôle parlementaire et mieux répartir les compétences entre le commissaire général et le comité de surveillance.

Je suis donc très heureux que, à cette fin, la commission des finances, la commission de la culture et la commission de l’économie se soient entendues pour proposer un amendement commun.

Ensuite, deuxième proposition, parce que les cinq priorités comportent des sujets transversaux - les pôles de compétitivité ou les réseaux intelligents ressortissent à trois ou quatre priorités - il est par conséquent nécessaire d’avoir une gestion la plus transversale possible.

Enfin, troisième et dernière proposition, si les appels à projets pour les opérateurs sont sans doute une très bonne méthode, c’est à la condition toutefois qu’ils soient conçus pour profiter à notre tissu industriel ou économique non seulement de petites et moyennes entreprises, mais aussi d’entreprises de taille intermédiaire.

En effet, si nous souhaitons que les bienfaits de l’emprunt national « percolent » l’ensemble du tissu économique, si vous me permettez cette image, les appels à projets ne devront pas systématiquement écarter les petites et moyennes entreprises. Au contraire, ces dernières devront bénéficier tant des recherches, de l’innovation que des investissements.

Au total, le grand emprunt donnera lieu à des investissements d’avenir concentrés sur cinq priorités, dont trois concernent la commission de l’économie : la filière industrielle et les PME, le développement durable et le numérique.

S’agissant de l’industrie et des PME, vous le savez, monsieur le ministre, l’un des problèmes récurrents de notre économie est la difficulté qu’ont nos PME à croître. Elles sont en effet arrêtées par ce que l’on appelle un « plafond de verre », l’un des problèmes les plus importants étant pour nos entreprises la difficulté à se financer.

J’attire votre attention sur le fait que, contrairement à ce que l’on peut penser, l’année 2010 sera sans doute encore plus dure que l’année 2009 pour les financements des petites entreprises. En effet, elles vont transmettre à leur banque des bilans beaucoup plus détériorés que ceux de l’année précédente. Il est donc capital de conforter l’accès de nos PME aux différentes sources de financement.

De ce point de vue, la création d’un fonds national d’amorçage, richement doté, géré par le Fonds stratégique d’investissement, FSI, ou encore le renforcement d’Oséo, aussi bien en fonds propres qu’en prêts, sont de très bonnes nouvelles pour nos PME.

Monsieur le ministre, au sein de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, nous nous sommes interrogés pour savoir s’il n’était pas possible d’adopter une répartition différente pour Oséo entre les 500 millions d’euros en fonds propres et le milliard d’euros en prêts. Des fonds propres plus importants auraient sans doute permis de créer un effet de levier meilleur pour nos entreprises.

Mais peu importe ; l’important est que ces entreprises-là aient un accès aux financements facilité.

Nous approuvons aussi, bien sûr, le soutien aux pôles de compétitivité, qui sont des instruments essentiels et, surtout, très efficaces pour valoriser nos efforts de recherche et dynamiser nos territoires.

Enfin, preuve que les cloisons ne doivent pas être étanches, les actions de soutien à l’industrie, qui seront déterminées notamment par les états généraux de l’industrie, se feront essentiellement par des prêts verts bonifiés pour améliorer la performance environnementale en termes tant de process que de produit.

De même, le programme « véhicule du futur », qui concernera aussi bien l’avion que l’automobile, le train ou encore le navire, participe à ce décloisonnement. Il a pour objet de développer des nouvelles technologies de mobilités plus propres, puisque le secteur des transports est aujourd’hui le premier émetteur de gaz à effet de serre en France.

Il existe donc entre les différentes priorités non pas une quelconque contradiction, mais une assez grande cohérence au contraire. J’en prendrai pour preuve le Centre national d’études spatiales, le CNES, qui est un exemple caractéristique de cette ambivalence économique et écologique.

D’un côté, investir dans le CNES, donc dans les études spatiales, c’est susciter un effet de levier maximal, le facteur étant de un à dix-neuf pour les retombées économiques.

D’un autre côté, la nouvelle génération de satellites nous permettra, depuis l’espace, de mieux surveiller la planète, les changements climatiques, notamment les émissions de gaz à effet de serre, avec MicroCarb, ou le programme CHARME pour les émissions de méthane.

C’est la preuve qu’il n’y a pas d’incompatibilité entre développement économique et respect de l’environnement.

Une deuxième priorité concerne le développement durable, qui absorbera 5 milliards d’euros.

Quatre axes ont été retenus : les énergies renouvelables, le « nucléaire de demain », les transports et l’urbanisme durable, et, enfin, la rénovation thermique des bâtiments, c'est-à-dire 40 % de la consommation d’énergie nationale, ce qui permettra de lutter contre la précarité énergétique pour les foyers les moins favorisés ; 500 millions d’euros y seront consacrés.

Le numérique est la troisième priorité.

Investir dans le numérique, c’est investir pour l’avenir. C’est typiquement un secteur dont l’action systématique se diffusera dans l’ensemble de l’économie.

Déjà le numérique génère 40 % des gains de productivité et plus du quart de notre croissance annuelle. Non seulement c’est un démultiplicateur de productivité et un accélérateur de croissance, mais c’est aussi un facteur déterminant d’économie d’énergie. En apportant de l’intelligence au cœur des réseaux d’électricité notamment, nous pourrons, demain, diminuer sensiblement les émissions de gaz à effet de serre.

Ce sont 4, 5 milliards d’euros qui seront consacrés au numérique, avec 2 milliards d’euros pour le déploiement des réseaux à très haut débit en dehors des zones denses, dont le financement du projet MegaSat, et 2, 5 milliards d’euros pour le développement des contenus et des usages. J’attire votre attention notamment sur « l’informatique en nuages », mes chers collègues, qui permettra à nos entreprises, et pas seulement les grandes, un accès à des puissances de calcul dont elles ne pourraient pas disposer seules.

C’est capital, demain, pour l’économie de la connaissance et pour le tissu de nos petites entreprises. C’est aussi une question de souveraineté numérique nationale. En effet, les grands centres de calcul sont aujourd’hui monopolisés par de grandes entreprises, notamment américaines : Amazon, Google...

Si, demain, nous disposons de centrales de calcul et maîtrisons l’informatique en nuages sur le sol national, ne doutons pas qu’en matière de sécurité de nos réseaux, de mutualisation des ressources informatiques, notamment numériques, nous améliorerons considérablement la performance de notre économie.

Monsieur le ministre, je terminerai par quelques questions et remarques qui concernent justement le déploiement du réseau.

Les sommes qui seront consacrées au numérique vont transiter par ce que vous appelez le Fonds national pour la société numérique, ou FSN. Or, par la loi du 17 décembre 2009 relative à la lutte contre la fracture numérique, nous avions créé un fonds d’aménagement numérique des territoires avec des règles de gestion destinées à garantir le déploiement du très haut débit en milieu rural.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion