Intervention de Serge Lagauche

Réunion du 15 février 2010 à 15h00
Loi de finances rectificative pour 2010 — Discussion générale

Photo de Serge LagaucheSerge Lagauche :

Oui.

De plus, les modalités d’attribution et de gestion des fonds sont particulièrement complexes.

L’option retenue consiste donc à confier la gestion des fonds à des agences plutôt qu’aux services de l’État. Ce dispositif ouvre largement la porte à la participation du secteur privé à la définition de la politique de recherche de l’État et à une « privatisation » des fonds publics de l’emprunt national. Il permet de contourner les conseils d’administration des universités, les représentants des élus, les collectivités territoriales. Il privilégie la gouvernance par projet de court terme, soumis au pilotage ministériel, à une logique de rentabilité immédiate, à une vision centralisée de notre pays qui semble de plus en plus vivace ces derniers temps…

Vous voulez accroître le potentiel de la recherche en regroupant les grands centres universitaires et améliorer ainsi leur classement international. Certes, il est urgent que la France se dote d’un modèle de recherche s’appuyant sur de vastes campus qui accueilleraient à la fois des laboratoires de recherche, des structures d’enseignement et des organismes dédiés à la valorisation des résultats, travaillant en lien étroit avec les chercheurs.

À ce propos, s’agissant de l’opération campus, destinée à moderniser le patrimoine immobilier des universités, vous vous trouvez contraint de recourir à l’emprunt pour compléter la dotation initiale. En effet, malgré la promesse du chef de l’État, vous n’avez pu tirer tout le bénéfice escompté de la vente, en 2007, d’une partie de la participation de l’État au capital d’EDF, dont le produit n’aura été que de 3, 7 milliards d’euros. Grâce à l’emprunt, le montant global annoncé pour l’opération, soit 5 milliards d’euros, sera atteint, mais la dotation est non consomptible. Par conséquent, seuls les intérêts produits par la rémunération de ces fonds seront utilisables et, au final, chacun des sites universitaires retenus ne recevra qu’une petite fraction de la somme globale. Surtout, cette attribution sera conditionnée à la mise en place de partenariats public-privé, et c’est là aussi que le bât blesse ! Étant donné la complexité de ces montages associant secteur public et secteur privé et l’ampleur du retard pris en matière immobilière par nos universités, l’opération campus, formellement lancée depuis 2007, n’a toujours pas connu le moindre début d’exécution financière. Nous aimerions donc au moins connaître les modalités précises de gestion de cette opération, et en particulier son calendrier.

Par ailleurs, monsieur le ministre, en faisant le choix de tout miser sur quelques établissements phares, vous creusez encore les écarts entre ceux-ci le reste du tissu universitaire, qui se trouve de plus en plus marginalisé. Je pense, par exemple, au campus du plateau de Saclay, seul assuré de se voir affecter, en plus des 850 millions d’euros reçus au titre de l’opération campus, une dotation consommable de 1 milliard d’euros sans condition.

Ce seront toujours les mêmes grandes universités ou les regroupements les plus importants qui verront leurs projets financés, puisqu’ils seront les seuls établissements à même de postuler ! Mes craintes concernent tout particulièrement les « petites universités » ne dispensant que peu de formations au-delà de la licence, voire aucune. En réalité, vous confortez un système d’enseignement et de recherche à plusieurs vitesses, et vous prenez le risque de couper certains établissements d’enseignement supérieur de la recherche.

Bien entendu, on ne peut qu’être favorable à la mise en œuvre d’une politique ambitieuse au service de la recherche, de l’enseignement, de l’innovation. Encore faut-il que cette démarche soit intégrée dans une logique budgétaire globale et articulée avec les politiques gouvernementale et locale.

La recherche a besoin d’un effort régulier, continu et programmé, portant d’abord sur son potentiel humain. Nous ne formons que 10 000 docteurs par an ! Comme le montrent les chiffres de l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, la France compte peu de chercheurs, notamment dans le secteur privé : six pour 1 000 habitants, dont trois dans le privé, contre dix pour 1 000 habitants aux États-Unis, dont huit dans le secteur privé.

Quelle est, aujourd’hui, la cause majeure de cette désaffection ? La politique des contrats à durée déterminée et des bourses, qui organise la précarité ! Le présent projet de loi de finances rectificative ne fait que confirmer cette orientation : on peut craindre que les financements ne soient accordés par priorité aux projets des chercheurs les plus renommés. La seule politique de l’emploi scientifique que vous nous présentiez consiste à supprimer des postes : les organismes de recherche et les universités en auront perdu 900 en 2009. Il est d’ailleurs fort dommageable que l’enseignement supérieur et la recherche, qui constituent le premier secteur stratégique au titre de l’emprunt national, ne soient pas épargnés par les annulations de crédits. La mission « Recherche et enseignement supérieur » est même celle qui paie le plus lourd tribut à cet égard, à hauteur de 125, 3 millions d’euros ! Seuls deux programmes sont épargnés : « Vie étudiante » et « Recherche dans le domaine de la gestion des milieux et des ressources ». Tous les autres domaines de la recherche sont affectés : espace, énergie, sciences de la vie, biotechnologies, culture scientifique…

Pourtant, selon l’OCDE, le premier critère de détermination du lieu d’implantation d’un centre de recherche dans l’un de ses pays membres est la présence de personnel qualifié en recherche et développement. Dans ces conditions, monsieur le ministre, l’une des priorités au titre du grand emprunt n’aurait-elle pas dû être la mise en œuvre d’un plan pluriannuel de l’emploi scientifique ?

Ce projet de loi de finances rectificative n’apporte pas non plus de réponse satisfaisante à la faiblesse structurelle de l’investissement en recherche et développement du secteur privé. Pour un gouvernement féru d’évaluation, de rentabilité, c’eût été l’occasion d’agir en matière de structuration des aides publiques et, peut-être, de lancer des opérations plus pertinentes et moins coûteuses !

Pour ne prendre que l’exemple du crédit d’impôt-recherche, le groupe socialiste avait demandé, lors de l’élaboration de la loi de finances initiale, la remise au Parlement d’un rapport d’évaluation sur ce sujet. Nous espérons le recevoir dans les meilleurs délais. Dans tous les cas, il semblerait que le crédit d’impôt-recherche soit actuellement attribué de manière indifférenciée à tous les secteurs, en particulier aux plus grandes entreprises. Pourtant, ce sont les entreprises de taille intermédiaire, dont la France manque, qui en ont le plus besoin et qui pourraient embaucher le plus de chercheurs. Il aurait donc fallu limiter les effets d’aubaine dans ce domaine.

S’agissant de la numérisation et de l’exploitation des contenus patrimoniaux culturels, éducatifs et scientifiques, les investissements du Fonds national pour la société numérique, géré par la Caisse des dépôts et consignations, s’élèveront à 750 millions d’euros. Nous serons particulièrement vigilants sur ce point. Cette enveloppe dédiée à la numérisation des œuvres culturelles ne devra pas être cannibalisée par les projets relevant de la mission « Économie ». Le développement des réseaux à très haut débit, des technologies et des usages numériques ne doit pas se faire au détriment de la numérisation des œuvres culturelles.

C’est pourquoi nous serons attentifs à l’amendement de M. le rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication tendant à « sanctuariser » les 750 millions d’euros consacrés à la numérisation des contenus patrimoniaux culturels en créant un programme dédié spécifiquement à ces actions. Aux termes des conclusions de la commission sur la numérisation des fonds patrimoniaux des bibliothèques, présidée par M. Tessier, il appartient désormais au Gouvernement d’organiser la maîtrise par la France de son exceptionnel patrimoine écrit, qui ne saurait tomber entre les mains du géant Google. La mise en place d’une plateforme unique destinée à alimenter Gallica et Europeana n’exclut d’ailleurs pas, bien au contraire, des partenariats avec la firme californienne. Pour que la France rattrape son retard en la matière, dû en partie à une prise de conscience tardive des pouvoirs publics, éditeurs français, bibliothèques et partenaires privés doivent tous être associés à la création de cette plateforme commune. Mais son pilotage, sa mise en œuvre ne devront jamais échapper au contrôle de l’État. Comment la France pourrait-elle se targuer de défendre l’exception culturelle si elle ne faisait rien pour éviter que des multinationales étrangères ne mettent la main sur nos œuvres patrimoniales ?

De même, à défaut d’une intervention publique forte et rapide, la numérisation du cinéma, qu’il s’agisse des salles ou des œuvres, risque de nous échapper et de tomber entre les mains d’opérateurs privés, bien plus soucieux de rendement à court terme que de la conservation et de la diffusion de notre patrimoine culturel. Le maintien de la diversité des productions cinématographiques françaises dépend de la capacité des pouvoirs publics à accompagner et à contrôler les opérateurs publics et privés.

En conclusion, monsieur le ministre, nous ignorons à quelle échéance seront mises en œuvre les actions correspondant aux engagements pris au travers du présent texte. De ce fait, nous doutons fortement que les promesses faites par le ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche et par le ministre de la culture et de la communication seront tenues, tant leur financement apparaît incertain.

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