Dans ce contexte, pourquoi nous présente-t-on ce nouveau texte budgétaire ?
Il a notamment pour objet de mettre en œuvre le grand emprunt qui doit financer les investissements d’avenir. Soit, mais ce grand emprunt alourdit la dette de la France, et il y aurait bien d’autres moyens d’assurer le financement de ces investissements si le chef de l’État n’avait pas mené une politique visant à faire des cadeaux fiscaux à certaines parties de la population : je pense, en particulier, au bouclier fiscal.
Ces remarques préliminaires étant formulées, j’en viens aux différentes observations que m’inspire ce projet de loi, caractérisé par des insuffisances et des oublis.
Tout d’abord, les infrastructures et services de transport font une nouvelle fois les frais des adaptations budgétaires prévues par le Gouvernement. Plus de 81 millions d’euros sont ainsi annulés en autorisations d’engagement et en crédits de paiement au titre de cette action de la mission « Écologie, développement et aménagement durables ».
En outre, en ce qui concerne les investissements d’avenir, il est seulement prévu de soutenir les programmes intégrés urbains. Or il aurait été utile de mettre en œuvre des projets de ligne à grande vitesse dont la réalisation a été décidée. Quid des promesses du Grenelle de l’environnement ? Comment réaliser tous les projets retenus et régénérer dans un délai raisonnable les lignes existantes si chaque collectif budgétaire prévoit des annulations de crédits affectés aux transports et si un grand emprunt ignore la question essentielle du développement du réseau ferroviaire à grande vitesse ?
Doit-on en conclure que les préconisations du Grenelle ont vocation à rester lettre morte ou, plus probablement, que, l’État ne prenant pas ses responsabilités, ce seront les collectivités territoriales qui prendront le relais ? Il n’est pas acceptable que le Gouvernement supprime régulièrement des crédits en rognant sur certains éléments essentiels de la politique d’aménagement du territoire.
J’en viens à la place réservée, au titre du grand emprunt, à l’aménagement numérique du territoire.
En octobre 2008, lors de la présentation du plan « France numérique 2012 », le Gouvernement avait annoncé deux grands objectifs : assurer l’accès de tous au haut débit et réduire la fracture numérique. L’annonce de ce plan n’avait pas été suivie de l’inscription de crédits par l’État…
Pour tenter d’atteindre ces objectifs, il est prévu, dans ce projet de loi de finances rectificative, d’attribuer 4, 5 milliards d’euros de crédits au Fonds national pour la société numérique, dont la gestion sera confiée à la Caisse des dépôts et consignations.
La répartition par action de ces crédits est la suivante : 2, 5 milliards d’euros pour le développement des usages, services et contenus numériques innovants, 2 milliards d'euros pour le développement des réseaux à très haut débit. Si l’État se décide enfin à affecter des crédits importants au développement du numérique, il n’en reste pas moins que le grand emprunt oublie complètement le numérique à l’école. Grâce au grand emprunt, il aurait pourtant été possible d’ouvrir un vaste chantier de développement des « écoles numériques », aujourd’hui encore uniquement au stade de l’expérimentation.
Comme le souligne Françoise Benhamou, professeur à l’université Paris-XIII, dans Le Monde du 27 janvier dernier, l’équipement massif en tableaux interactifs numériques constitue un projet à la fois pédagogique et industriel. Le développement de tels outils permettrait d’initier tous les élèves à un usage responsable et raisonné des ressources d’internet et constituerait un puissant levier économique.
Un certain nombre des conclusions du rapport qui doit être remis aujourd'hui même au ministre de l’éducation nationale vont également dans le sens de la mise en œuvre d’un plan massif d’équipement numérique des établissements scolaires.
Afin de susciter un effet de levier sur l’investissement privé, le Fonds mobilisera 2 milliards d’euros pour le développement des réseaux à très haut débit, selon des règles d’intervention publique censées être adaptées aux caractéristiques des territoires. Aucune intervention publique n’est prévue dans les zones denses. Pour les zones moyennement denses, le Fonds n’attribuera pas de subventions, mais distribuera des prêts à hauteur de 1 milliard d’euros pour accélérer et optimiser l’investissement des opérateurs privés : 250 millions d’euros sont prévus pour des subventions et des prises de participation en vue du déploiement, d’ici à cinq ans, d’une solution technique apportant le très haut débit à 750 000 foyers en zones rurales.
À court et à moyen termes, il ne reste donc plus que 750 millions d’euros pour attribuer des subventions, notamment aux projets d’initiative publique dans les zones peu denses. Compte tenu de l’immensité des besoins, il est à craindre que ces sommes soient bien loin de suffire à assurer la couverture totale du territoire.
Le grand emprunt fait aussi l’impasse sur un secteur qui crée des emplois durables et répond aux besoins de la population : le logement social.
Comme l’a très bien souligné Thierry Repentin dans une tribune publiée par La Gazette des communes, « les organismes HLM sont les seuls, dans le secteur immobilier, à pouvoir obtenir des résultats substantiels en matière d’économie d’énergie et de soutien aux filières innovantes ». Dans cet article, notre collègue rappelle aussi que « Michel Rocard et Alain Juppé, co-présidents de la commission chargée d’étudier les modalités de mise en œuvre du grand emprunt, l’avaient bien compris mi-novembre lorsqu’ils ont proposé la création d’un fonds de deux milliards d’euros pour le financement de prêts à taux zéro sur quinze ans destinés à la réhabilitation thermique de 700 000 logements sociaux des catégories E, F et G ». Mais le chef de l’État n’a pas jugé bon de reprendre cette idée, et M. Repentin poursuit en ces termes : « Tout juste [ce texte] prévoit-il une enveloppe de 500 millions d’euros exclusivement dédiée aux travaux d’amélioration thermique des propriétaires occupants. Une telle mesure n’aura pas l’effet levier qu’aurait permis l’intervention massive sur le parc social. »
En conclusion, ce projet de loi souffre de lacunes et d’oublis majeurs dans des domaines essentiels en matière d’investissements pour l’avenir. L’appréciation portée sur ce collectif budgétaire par les membres socialistes de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire rejoint donc celle, totalement défavorable, de Mme Bricq et de M. Lagauche.