Intervention de Bernard Vera

Réunion du 15 février 2010 à 15h00
Loi de finances rectificative pour 2010 — Question préalable

Photo de Bernard VeraBernard Vera :

D’autres pays de la zone euro sont sur la liste des cibles des spéculateurs : l’Espagne, le Portugal, l’Italie, l’Irlande, qui ont en commun un déficit public élevé, une activité économique fortement ralentie, une progression sensible du chômage et une hausse spectaculaire de la dette publique au regard de la production intérieure. Bref, ils sont totalement éloignés des critères de convergence européens.

La convergence des politiques économiques des États membres de la zone euro s’opère, dans le cadre actuel de la construction européenne, sur le fondement d’objectifs erronés, notamment la stabilité de la monnaie. Elle s’accompagne d’une course exténuante au moins-disant social et fiscal, alimentée par une concurrence exacerbée entre les territoires, alors qu’il devrait y avoir coopération.

C’est selon cette logique que l’on précarise le marché du travail et que l’on privatise les services publics, avec les résultats que l’on connaît. Ratifier le traité de Lisbonne, c’est ratifier également les politiques de liquidation du service public, c’est ratifier les politiques budgétaires fondées sur le couple infernal de la baisse des impôts et de la réduction des dépenses publiques, politiques qui conduisent à l’expansion constante des marchés obligataires, aujourd'hui en crise.

La France court-elle le risque d’être victime de la même attaque que la Grèce ? Nous pensons que non, notamment parce que la dette publique française est un bon produit, qui trouve facilement preneur sur les marchés financiers. Par conséquent, finissons-en avec l’idée que le poids de la dette deviendrait insupportable pour les finances publiques. À moins bien entendu que le discours catastrophiste sur la dette publique ne serve à justifier par avance les coupes claires à effectuer dans les dépenses publiques pour revenir aux sacro-saints 3 %, bref la cure d’austérité que l’on s’apprête à administrer au peuple de notre pays…

Venons-en maintenant au grand emprunt, l’un des éléments clés du présent projet de loi de finances rectificative. Certains le critiquent parce qu’il alourdirait la dette. Or cette dette, chers collègues de la majorité, vous en êtes comptables devant les Français, vous qui, depuis 2002, avez voté sans trop sourciller tous les projets de loi de finances qui vous ont été soumis !

À la fin de l’année 2002, l’encours de la dette publique était de 717 milliards d’euros, soit 40 % du PIB ; à la fin de l’année 2009, il s’élevait à 1 148 milliards d’euros, soit 431 milliards d’euros de plus. Ce surcroît de dette, nous le devons à vos choix budgétaires, à vos mesures fiscales, à vos politiques industrielles et économiques. La dette a augmenté malgré des coupes régulières dans les dépenses publiques, malgré la suppression de dizaines de milliers d’emplois publics, malgré les transferts de charges non compensés aux collectivités territoriales. Pour ne rien arranger, la durée de vie moyenne de la dette s’est réduite de cinq mois depuis 2007 : il nous faut aujourd'hui rembourser plus vite encore qu’hier ce qui a été emprunté.

Le collectif budgétaire qui nous est soumis s’inscrit dans la même veine. Le handicap constitué par les mesures fiscales antérieures, au mieux inefficaces, au pire contre-productives, y est délibérément ignoré. De plus, la politique de suppression de dépenses publiques mise en œuvre depuis tant d’années est poursuivie.

Le grand emprunt, c’est autre chose. Pour certains, la France sortirait des « clous » européens en lançant cette opération, ce qui la condamnerait par avance. Tel n’est pas notre sentiment.

Pour notre part, nous nous interrogeons non pas sur le montant du grand emprunt, mais plutôt sur l’utilisation des fonds obtenus. Outre qu’il va servir à financer des projets déjà lancés pour une bonne part, il fera supporter par le budget général de l’État des dépenses de recherche et de développement que les entreprises refusent d’assumer. En clair, cet emprunt n’est qu’une énième déclinaison du principe « privatisation des profits, socialisation des pertes » qui sous-tend les politiques libérales autoritaires de par le monde.

Avec le grand emprunt, nombre de politiques publiques essentielles – dans les domaines de l’énergie, des transports et des nouvelles technologies – dépendront dangereusement du seul bon vouloir des entreprises leaders du secteur. De plus, il risque fort d’orienter les travaux des établissements de recherche vers les projets susceptibles de bénéficier d’un financement, au détriment des autres.

Par ailleurs, il y a fort à parier que les engagements pris en matière de recherche dans le cadre du grand emprunt serviront à justifier, dans les années à venir, une réduction des dépenses publiques d’équipement et l’extinction programmée du budget civil de recherche et développement. Le Gouvernement ne lance aujourd'hui ce grand emprunt que pour mieux réduire demain ses dépenses, l’objectif étant de venir au secours de la rentabilité d’opérateurs choisis… Il serait tout de même dommage que les 500 millions d’euros prévus pour la numérisation documentaire ne servent qu’à assurer les bénéfices de Google ! Voilà pourtant bien ce que l’on nous propose aujourd'hui.

Cette situation est d’autant plus regrettable que l’on aurait pu se passer de cet emprunt en entrant au capital des banques en difficulté, par exemple, ce qui aurait permis d’orienter plus précisément leurs choix en matière d’investissements. Au lieu de cela, on réduit l’impôt sur les sociétés, on fiscalise le financement de la sécurité sociale en exonérant les entreprises de cotisations sur les bas salaires, on supprime la taxe professionnelle et on choisit de créer un déficit de plusieurs dizaines de milliards d’euros par an, sans que de telles mesures règlent en rien les problèmes en termes de localisation des activités, de maintien de l’emploi et d’investissement des entreprises.

Ainsi, l’État a versé l’an dernier plus de 30 milliards d’euros de remboursements divers au titre de l’impôt sur les sociétés, alors que l’investissement productif s’est réduit de 7, 6 % en un an !

Entre croissance de la dette, reprise molle et grand emprunt à visée utilitariste, ce projet de loi de finances rectificative ne répond en aucune manière aux exigences du temps. Aucune des difficultés que connaît aujourd'hui notre pays ne sera véritablement résolue, bien au contraire. Demain, pour cause de dette, de grand emprunt, de réduction des déficits, on s’attaquera au droit à la retraite à 60 ans, au statut de la fonction publique et, plus généralement, aux garanties dont bénéficient encore les salariés. La cure d’austérité que l’on nous promet afin d’être en mesure de respecter les normes européennes en 2013 ou en 2014 s’annonce aussi amère que celle que les Grecs ne vont pas tarder à subir…

Les privilèges accordés aux grands groupes et aux ménages les plus fortunés ne sont aucunement remis en question, malgré leur incidence désastreuse sur les comptes publics et sur la situation sociale et économique de notre pays. C’est pourtant par là qu’il faudrait commencer !

Tel n’étant nullement l’objet de ce collectif budgétaire, nous ne pouvons qu’inviter le Sénat à adopter cette motion tendant à opposer la question préalable.

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