Intervention de François Zocchetto

Réunion du 5 juillet 2007 à 9h30
Récidive des majeurs et des mineurs — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de François ZocchettoFrançois Zocchetto, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale :

Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la commission des lois estime que le projet de loi aujourd'hui soumis à l'examen de notre assemblée est utile, adapté et raisonnable.

En premier lieu, il est utile, car la récidive, au sens large du terme, reste l'un des traits majeurs et incontestables de la délinquance actuelle.

Pour mieux mesurer cette réalité, je me crois obligé de dissiper certaines confusions : confusion sur les notions, confusion sur les chiffres.

La notion de récidive légale répond, vous le savez, à des exigences juridiques très précises.

D'abord, il faut une condamnation définitive suivie d'une nouvelle infraction.

Ensuite, en matière correctionnelle, dans le cas le plus fréquent, cette nouvelle infraction doit être identique ou assimilée à l'infraction qui a été à l'origine de la première condamnation.

En outre, elle doit avoir été commise dans un délai de cinq ans suivant l'expiration ou la prescription de la peine. Le délinquant en état de récidive légale encourt alors le doublement des peines maximales prévues par le code pénal.

Toutefois, les infractions commises après une condamnation définitive, mais ne répondant pas aux conditions de délai ou d'identité prévues par la récidive légale, relèvent de la notion beaucoup plus large de réitération.

Dans l'esprit du public, les notions de récidive légale et de réitération se confondent le plus souvent, alors même qu'elles recouvrent des réalités très différentes.

En 2005, selon les données du casier judiciaire, l'état de récidive légale concernait 2, 6 % des personnes condamnées en matière criminelle et 6, 6 % en matière correctionnelle. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'exclame.)

En revanche, le taux de réitération est nettement plus élevé, puisque 30 % des personnes condamnées en 2005 avaient déjà fait l'objet d'une condamnation.

Le contraste est encore plus marqué pour les mineurs : en 2005, l'état de récidive légale n'a été relevé que pour 0, 6 % des mineurs, mais le nombre de mineurs ayant fait l'objet d'une nouvelle condamnation au cours des cinq années suivant une première condamnation faisait apparaître en 2004, dernière année pour laquelle nous disposons des chiffres, un taux de réitération de 55 % sur un échantillon de 16 000 mineurs. On le constate, l'écart entre taux de récidive légale et taux de réitération est considérable pour les mineurs.

Personne ne peut donc nier que la délinquance d'habitude reste un phénomène préoccupant. Mais, vu à travers le prisme de la récidive légale, ce phénomène tend à être minoré.

L'écart s'explique par les raisons juridiques que je viens d'exposer, mais il tient aussi au fait que les juges ne relèvent pas systématiquement l'état de récidive légale, même lorsque les conditions juridiques sont réunies.

Cependant, du fait d'une politique pénale plus déterminée, conjuguée avec la volonté du législateur, le nombre de condamnations en récidive pour les crimes et les délits a augmenté de manière très significative au cours des dernières années, comme vous venez de le signaler, madame le garde des sceaux.

Je me permets toutefois de rappeler qu'il faut que le juge puisse connaître le passé pénal de l'intéressé. Or les délais d'inscription des condamnations au casier judiciaire ne le permettent pas toujours, comme nous l'avons souligné à maintes reprises. Il convient, c'est vrai, de relever des progrès au cours des derniers mois : en moyenne, et malgré des disparités selon la taille des juridictions, six mois s'écoulent désormais entre le prononcé de la condamnation et l'inscription de celle-ci au casier judiciaire. La durée était deux fois plus importante il y a encore peu de temps. Il s'agit donc d'un progrès, mais il faut faire mieux.

Le projet de loi prolonge, comme cela n'a échappé à personne, des initiatives prises avec la loi du 12 décembre 2005, qui, précisément, traitait de la récidive des infractions pénales, et fait également suite à la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance.

Il complète ces dispositifs et n'est donc pas redondant. En plus, il innove avec l'instauration de peines minimales privatives de liberté pour les récidivistes. Il est donc utile.

En deuxième lieu, ce projet de loi apportera-t-il une réponse efficace ?

Premier indice, comme le fait apparaître un document récemment produit par la division des études de législation comparée du Sénat, de nombreux pays démocratiques ont déterminé des peines minimales obligatoires pour certaines catégories d'infractions. L'évolution proposée dans le projet de loi que nous présente Mme le garde des sceaux s'inscrit donc dans un mouvement plus large dans lequel beaucoup de nos partenaires européens sont déjà engagés.

Ensuite, l'impact des dispositions du projet de loi doit être apprécié au regard des peines actuellement prononcées par les juridictions et il est vrai qu'en matière correctionnelle - en matière criminelle, la problématique est un peu différente - il sera incontestable.

À titre d'exemple, pour les délits passibles de dix ans d'emprisonnement, le quantum moyen des peines prononcées par les tribunaux alors même que la personne se trouve en état de récidive légale est aujourd'hui de 1, 6 an, durée à comparer aux dix ans de la peine maximale encourue.

Dans ce cas précis, le projet de loi prévoit de fixer une peine minimale d'emprisonnement de quatre ans. Une conclusion s'impose : le dispositif devrait, pour le moins, exercer un réel effet dissuasif sur la délinquance d'habitude.

En troisième lieu, le dispositif de ce projet de loi est apparu comme raisonnable à la commission des lois, et cela pour trois raisons : d'abord, parce qu'il respecte le principe de personnalisation de la peine ; ensuite, parce qu'il ne remet pas en cause les principes fondamentaux de la justice des mineurs ; enfin, parce qu'il a été judicieusement complété par un dispositif destiné à généraliser l'injonction de soins, qui constitue, nous l'avons souvent dit, un moyen de favoriser la réinsertion des personnes condamnées.

D'abord, le texte nous paraît respecter l'exigence constitutionnelle de la personnalisation de la sanction, aspect que, bien sûr, nous avons examiné de très près.

Cette exigence est respectée à deux titres. Le juge pourra toujours adapter le mode d'exécution de la peine en décidant, par exemple, un sursis avec mise à l'épreuve, voire un sursis simple. Comme vous l'avez rappelé, madame le garde des sceaux, il pourra, sous certaines conditions, prononcer une peine inférieure aux peines minimales.

Sur ce point cependant, je me dois de vous dire que, selon la grande majorité des praticiens du droit que nous avons entendus au cours des auditions, les conditions dans lesquelles le juge pourra prononcer une peine inférieure peuvent paraître excessivement restrictives en cas de multirécidive. Dans cette hypothèse, le juge ne pourra déroger aux seuils minimaux que si l'accusé ou le prévenu présente des « garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion », sans être autorisé à prendre en compte, si l'on retient le texte qui nous est proposé, les circonstances de l'infraction ou la personnalité de l'auteur.

Nous nous sommes enquis des effets de cette disposition auprès d'éminents magistrats et une interrogation a vu le jour au sein de la commission : ne faudrait-il pas dès lors retenir pour la multirécidive également les critères tenant à la personnalité de l'auteur et aux circonstances de l'infraction, en particulier lorsqu'il s'agit d'un mineur ?

Nous souhaitons obtenir quelques informations complémentaires sur ce que l'on entend par « garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion » et sur ce que pourra être le pouvoir d'appréciation de la plus haute juridiction, la Cour de cassation, lorsque le juge de première instance et la cour d'appel auront statué sur ces garanties.

Il nous a semblé aussi que, pour donner toute son effectivité à la capacité d'appréciation du juge, il fallait que celui-ci disposât des éléments d'information nécessaires. C'est pourquoi nous proposerons un amendement prévoyant que le ministère public ne peut prendre aucune réquisition tendant à retenir la circonstance aggravante de la récidive s'il n'a préalablement requis une enquête de personnalité propre à éclairer la juridiction de jugement, ce qui correspond à une demande formulée par la totalité des magistrats que nous avons rencontrés et qui nous paraît judicieuse. Je pense que les magistrats sont aptes à exercer leurs responsabilités. Ils demandent d'ailleurs à les assumer, mais nous devons en tant que législateurs leur donner les moyens de le faire, ce qui suppose qu'ils aient une parfaite information concernant la personne qui est devant eux avant de décider s'ils l'envoient en détention ou si, au contraire, ils la laissent en liberté.

Il nous a enfin semblé nécessaire de renforcer le caractère dissuasif des dispositions proposées en posant pour principe que le président de la juridiction avertira systématiquement la personne condamnée après une première infraction de l'aggravation de la peine qu'il encourt en cas de récidive. Mieux vaut prévenir que guérir !

Ensuite, le projet de loi nous apparaît raisonnable parce qu'il ne met pas en cause les principes constitutionnels de la justice des mineurs, point sur lequel que je me dois d'insister, car de nombreux articles ou entretiens parus dans les médias conduisaient à penser le contraire.

Il ne modifie pas la majorité pénale et il maintient le caractère de spécialité des juridictions pour mineurs. Pour l'essentiel, il élargit les exceptions que le droit en vigueur prévoit d'ores et déjà à l'application de l'« excuse de minorité » pour les mineurs de seize à dix-huit ans. Un examen rigoureux et attentif des dispositions du projet de loi ne nous paraît donc pas donner prise aux inquiétudes qui se sont parfois exprimées sur ce volet du texte.

Enfin, le projet de loi a utilement intégré de nouvelles dispositions permettant la généralisation et la systématisation de l'injonction de soins.

Le Sénat s'est toujours montré très favorable à cette mesure, qui lui semble indispensable pour favoriser l'insertion ou la réinsertion des personnes condamnées, en particulier pour les infractions à caractère sexuel.

Il faut souligner que, d'après le texte, le juge de l'application des peines pourrait toujours s'opposer par une « décision contraire » motivée à l'injonction de soins.

Sur ce point, la commission a souhaité compléter le dispositif en permettant que le juge de l'application des peines conserve aussi la possibilité de s'opposer à la suppression, motivée par un refus de soins, d'une réduction de peine supplémentaire pour une personne incarcérée. Les juges de l'application des peines, qui assument souvent avec beaucoup de détermination et de courage leurs responsabilités depuis plusieurs années, doivent conserver le rôle déterminant qu'ils jouent dans la réinsertion des personnes condamnées et donc dans la lutte contre la récidive.

La commission estime donc que le projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs répond à une nécessité, qu'il peut exercer un effet dissuasif et qu'il ne met en cause aucun des grands principes de notre droit.

Il nous semble néanmoins, madame le garde des sceaux, que l'effort pour lutter contre la récidive doit, au-delà de l'adoption de ce projet de loi, connaître deux prolongements indispensables.

Tout d'abord, et sans tomber dans les lieux communs, je veux insister sur la nécessité de la mise en oeuvre de moyens humains et financiers, aujourd'hui nettement insuffisants, pour assurer un meilleur suivi des personnes soumises à une obligation ou à une injonction de soins. Peut-être pourriez-vous nous indiquer, madame le garde des sceaux, quelles initiatives vous comptez prendre dans ce domaine de concert avec Mme la ministre de la santé ?

Je me permets par ailleurs de faire observer, avec regret, que l'adoption de la disposition votée en décembre 2005 et visant à permettre l'intervention de psychologues dans le suivi socio-judiciaire, à laquelle le Sénat tenait beaucoup, n'a, à ma connaissance, toujours pas été suivie de décret d'application.

Ensuite, l'efficacité de la lutte contre la récidive passe par l'exécution effective et rapide des décisions de justice. Chacun le sait, rien n'est pire que le sentiment d'impunité, en particulier lorsqu'il s'agit de la délinquance des mineurs. Nous nous inquiétons de ce que les condamnations à des peines d'emprisonnement d'un an et moins dans un pourcentage très significatif ne soient pas suivies d'effet parce que les jugements ne sont pas toujours transcrits dans le temps et aussi parce que l'administration pénitentiaire a ses contraintes. C'est une situation qui ne peut satisfaire le législateur non plus que nos concitoyens.

Je note que des efforts sensibles ont été engagés, en particulier avec la mise en place des bureaux d'exécution des peines. Madame le garde des sceaux, quel premier bilan peut-on dresser de ces structures et quelles nouvelles orientations pouvons-nous attendre dans ce domaine ? Par avance, je vous remercie des éclaircissements que vous pourrez apporter au Sénat.

En conclusion, sous réserve de ces observations et des amendements que je vous proposerai au nom de la commission, je vous invite, mes chers collègues, à adopter le projet de loi.

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