Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, le premier projet de loi présenté par le Gouvernement au Parlement, dont le Sénat a, en quelque sorte, l'honneur de commencer l'examen législatif, est un texte d'aggravation pénale. C'est tout un symbole, celui de la poursuite aggravée d'une politique mise en oeuvre depuis cinq ans : « Plus vite, plus fort, plus loin », comme aime à le dire le Président de la République !
Je rappelle que la dernière législature a commencé, en 2002, par deux lois de programmation relative à la sécurité et à la police et qu'en cinq années huit lois sécuritaires ont été votées sur l'initiative du gouvernement précédent.
À quoi donc servent toutes ces lois ?
Je note, néanmoins, une nouveauté dans les rapports entre le Gouvernement et le Parlement. La volonté présidentielle a désormais force de loi. Vous avez déclaré, madame le garde des sceaux : « Je respecte les engagements du Président de la République. Le débat a eu lieu ». Autrement dit, les parlementaires n'ont plus qu'à entériner les projets de loi !
C'est ce que nous propose notre rapporteur, malgré l'opposition générale de tous les professionnels au texte dont nous discutons.
Certes, ce ne sont pas les juges, les avocats, les éducateurs, les conseillers d'insertion et de probation qui font la loi, mais je me souviens, madame le garde des sceaux, que vous avez insisté en d'autres lieux sur la nécessité d'engager des réformes de la justice dans le « consensus ».
Or je suis au regret de constater qu'il n'y a point de consensus sur ce texte, pas plus qu'il n'y a eu de dialogue social : sinon, vous n'auriez pas pu aboutir à un tel résultat.
J'ai la faiblesse de penser que le législateur, en vertu de la Constitution, doit pour le moins s'interroger sur le bien-fondé des projets de loi qui lui sont présentés par l'exécutif ou sur l'efficacité de ces derniers au regard des ambitions de l'exécutif.
J'ai d'ailleurs souvent entendu les parlementaires réclamer une étude d'impact des projets de loi qui leur sont soumis ainsi qu'une évaluation des lois votées.
C'est pourquoi il m'est permis de dire que, au regard tant des éléments fournis que des auditions effectuées par la commission et par moi-même, ou encore du rapport de notre commission, tout conduit à rejeter cet énième texte pénal.
Il convient de s'interroger sur plusieurs points.
En premier lieu, ce texte est-il justifié du point de vue de l'objectif affiché par le Président de la République ?
Vous voulez, madame le garde des sceaux, montrer une plus grande sévérité à l'encontre des récidivistes, sous-entendant que les juges sont laxistes. Mais dois-je vous rappeler que le discrédit dont souffrent les juges depuis l'affaire d'Outreau était à l'inverse de ce postulat ?
Bien évidemment, nos concitoyens sont inquiets quand ils apprennent que des crimes sont commis par des récidivistes. On le serait à moins ; leur inquiétude est légitime.
Savent-ils que nous en sommes à la huitième loi pénale depuis cinq ans ?
Savent-ils que nous avons déjà voté une loi sur la récidive en 2005 - dont nous ne connaissons pas l'impact puisqu'elle n'est pas appliquée - et une loi sur la prévention de la délinquance en mars dernier ?
La première renforce déjà les sanctions à l'encontre des récidivistes, majeurs et mineurs ; la seconde remet également en cause l'atténuation de responsabilité pénale pour les mineurs.
Savent-ils que la grande majorité des récidivistes se voient aujourd'hui condamnés à une peine ferme et que les peines prononcées actuellement par les juridictions sont supérieures aux peines planchers prévues dans le projet de loi ?
En matière criminelle, en cas de récidive, les juges prononcent des peines qui s'échelonnent, en moyenne, entre 15, 9 ans et 15, 7 ans quand le projet de loi prévoit des peines planchers de cinq, sept et dix ans.
En revanche, comme l'a dit M. le rapporteur, il est vrai qu'en matière délictuelle les données sont inversées. Les peines prononcées par les juridictions sont moins lourdes que les peines planchers prévues et s'échelonnent entre 5, 7 mois et 1, 6 an, quand le projet de loi prévoit des peines planchers de un, deux, trois et quatre ans.
Contrairement à ce qui a été promis par le Président de la République, ce sont non pas les crimes et les délits les plus graves qui sont visés par ce texte, mais bien la petite délinquance, la délinquance ordinaire, et de préférence commise par des jeunes, qui se trouvent ainsi une fois de plus stigmatisés.
Nos concitoyens savent-ils que la Chancellerie est dans l'incapacité de citer de manière fiable les chiffres de la récidive postérieurs à 2005 ? Savent-ils d'ailleurs ce qu'est la récidive par rapport à la réitération ?
Savent-ils que, s'agissant de la délinquance quotidienne, les peines ne sont pas exécutées faute de moyens ?
Par facilité, on leur assène que tout sera différent avec des peines automatiques. Mais, pour respecter la Constitution, le Gouvernement s'est trouvé dans l'obligation d'habiller le dispositif des peines planchers afin qu'elles ne soient pas totalement automatiques. Cela n'empêche pas la communication présidentielle de se faire sur les peines automatiques.
Enfin, nos concitoyens savent-ils qu'à l'étranger le système des peines automatiques est loin d'avoir prouvé son efficacité ? Les États-Unis détiennent des taux record en matière de violence et d'incarcération, alors qu'ils appliquent des peines automatiques.
L'Australie a abandonné ce dispositif, jugé par la suite inefficace en ce qu'il a conduit à une augmentation de la population carcérale sans pour autant représenter un moyen efficace de dissuasion.
À défaut de créer un effet dissuasif à l'encontre des délinquants, ce projet de loi engendrera un double effet pervers : l'augmentation du nombre de personnes détenues, mais surtout l'allongement de la durée des détentions.
Quelle que soit l'imprécision des prévisions actuelles concernant l'augmentation des peines carcérales, il est évident que le présent texte augmentera le nombre de personnes en prison ainsi que la durée de l'emprisonnement, ce qui est, bien évidemment, contre-productif en matière de prévention.
Les annonces que vous avez faites, madame le garde des sceaux, d'une loi instaurant un contrôle extérieur et indépendant des prisons pour la fin de juillet, ainsi que d'une loi pénitentiaire avant la fin de l'année sont intéressantes. Mais n'aurait-il pas été plus judicieux de commencer par ces textes avant de nous infliger une énième loi d'affichage ?
Ce projet de loi peut-il malgré cela être efficace ?
Malheureusement, il n'existe pas de corrélation entre la peur de la sanction et la commission d'une infraction et je mets au défi quiconque de me démontrer le contraire. La peine de mort, vous le savez, madame le garde des sceaux, n'est pas dissuasive.
À l'inverse, certains éléments sont bien connus et nos concitoyens doivent en être informés.
Les prisons sont criminogènes pour les jeunes et les primo-délinquants et, à ce titre, elles favorisent la récidive.
Les sorties sèches sont également criminogènes, car elles ne permettent pas la nécessaire réinsertion à long terme du condamné qui, dès lors, se retrouve livré à lui-même du jour au lendemain. C'est pourtant ce à quoi tendent régulièrement les grâces présidentielles destinées à libérer des prisonniers pour en limiter le nombre.
En revanche, il est un dispositif qui donne des résultats en matière de lutte contre la récidive, je veux parler des aménagements de peines, tels que les sursis avec mise à l'épreuve, les réductions de peine et surtout la libération conditionnelle. Sans les moyens pour les mettre en oeuvre, ces aménagements de peine sont insuffisamment mis en oeuvre. CQFD !
Nous sommes en plein paradoxe : pourquoi les parlementaires de la majorité, qui, pendant cinq ans, ont repoussé la volonté affichée du précédent ministre de l'intérieur de créer des peines planchers, s'apprêtent-ils aujourd'hui à les adopter ? Ils en ont pourtant eu plusieurs fois l'occasion. Je pense, notamment, à la proposition de loi de M. Estrosi en 2004, ou encore au débat sur la loi de 2005 dont j'ai déjà parlé. Hélas, tout a changé du jour au lendemain !
Le précédent garde des sceaux a installé, en 2005, une commission d'analyse et de suivi de la récidive. Hélas ! nous ne connaissons pas les conclusions de cette commission et pour cause : non seulement la loi de 2005 n'est pas appliquée, mais on croit savoir que la commission n'est pas favorable à ce nouveau texte. Il est regrettable que les parlementaires soient traités de cette manière, ce qui les prive d'éléments pourtant indispensables à leur réflexion.
Ce projet de loi n'est donc pas seulement un texte d'affichage ; c'est aussi un texte dangereux.
En effet, il procède à une inversion complète de notre système judiciaire, les magistrats étant conduits à devoir motiver des décisions de clémence et non celles qui prévoient des peines d'emprisonnement.
Le Gouvernement met ainsi les magistrats en demeure. En fin de compte, ce texte est moins destiné aux récidivistes qu'aux magistrats. Ces derniers étant considérés, je le répète, comme laxistes, la solution consiste donc à les contraindre en instaurant des peines planchers, balayant par là même le nécessaire principe de l'individualisation de la peine, quoi que vous en disiez, madame le garde des sceaux.
Les magistrats sont ainsi pris au piège : s'ils ne veulent pas risquer de subir les foudres du pouvoir politique et de l'opinion en cas de récidive, ils prononceront systématiquement une peine minimale.
En matière de justice des mineurs, ce texte va à contre-courant de l'évolution des droits des enfants. Mme la défenseure des enfants elle-même s'inquiète et dénonce un projet de loi qui « renforce la répression de la récidive pour les mineurs, par parallélisme au droit des majeurs sans réellement tenir compte de la spécificité de la justice des mineurs », même s'ils continueront à être jugés par les tribunaux pour mineurs.
La délinquance des mineurs nécessite des réponses judiciaires progressives et adaptées.
Avec ce projet de loi, les peines minimales seront applicables de plein droit aux mineurs et l'atténuation de responsabilité pénale sera écartée pour les mineurs dès la deuxième récidive. Un mineur de seize ans pourra donc être jugé comme un majeur, ce qui est en contradiction totale avec nos principes fondamentaux.
Les jeunes sont de plus en plus vieux dans les catégories sociales défavorisées et de plus en plus jeunes tardivement dans les catégories sociales favorisées. Voilà qui est particulièrement intéressant !
Pourtant, magistrats et professionnels de l'enfance sont unanimes, ainsi que nous avons d'ailleurs pu le constater lors des auditions auxquelles a notamment procédé la commission des lois.
Les jeunes sont dans l'immédiateté de l'acte. Ils commettent des actes de délinquance à répétition - cela s'appelle la réitération - sans attendre d'avoir été jugés. Ce projet de loi ne va rien changer à cela. Il va surtout favoriser l'incarcération des mineurs.
Les dispositions applicables aux mineurs traduisent en réalité l'incapacité du Gouvernement - cette remarque vaut non seulement pour le Gouvernement actuel, mais aussi pour ceux qui l'ont précédé - à trouver des réponses adaptées à la délinquance des mineurs, le seul remède résidant dans l'incarcération.
C'est la seule voie empruntée depuis 2002 : ainsi, conformément à la loi d'orientation et de programmation pour la justice, sept établissements pénitentiaires pour mineurs doivent être construits d'ici à 2008.
En revanche, aucun moyen supplémentaire n'est accordé à la protection judiciaire de la jeunesse, alors que le coût d'un établissement d'incarcération avoisine les 15 millions d'euros. Ne pourrait-on pas un jour débattre de ce qui fonctionne en matière de lutte contre la délinquance des mineurs, c'est-à-dire avant qu'ils ne commettent des actes graves ?
Vous avez dit, madame le garde des sceaux - argument que nous avons déjà entendu à de multiples reprises - que la prévention et la sanction ne sont pas incompatibles. Certes, mais le problème, c'est que vous appelez prévention « sanction », alors que ce sont deux notions très différentes. Si la sanction est nécessaire, encore faut-il qu'elle soit comprise, intelligente et effective, ce qui, hélas ! n'est pas le cas, faute de solutions adaptées aux jeunes.
J'ajoute qu'en matière de sanction l'absence d'exécution affecte sa crédibilité aux yeux des jeunes. Dès lors, la promptitude de la réponse pénale peut effectivement constituer un élément en soi contre la récidive, à condition que la sanction soit intelligente pour que le jeune l'accepte et s'engage ensuite dans un programme lui permettant d'avancer dans son devenir d'adulte ; en effet, quels que soient les actes qu'il commet, un mineur n'est pas un adulte.
Or, faute de moyens suffisants, les magistrats et les éducateurs se retrouvent totalement démunis face aux jeunes en grande difficulté.
Cette question des moyens m'amène à aborder la dernière partie de ce texte, ajoutée à la hâte au projet de loi, relative à la délinquance sexuelle.
Dans ce domaine, c?est l'absence de moyens qui ne permet pas l'application de la loi du 17 juin 1998 comprenant des dispositions relatives au suivi socio-judiciaire, qui ne permet pas la possibilité aux détenus souffrant de troubles mentaux d'être suivis par des médecins psychiatres, en nombre insuffisant, enfin, qui ne permet pas aux conseillers d'insertion et de probation, également en nombre insuffisant, de suivre correctement les personnes durant et après leur détention, afin d'organiser au mieux leur réinsertion sociale.
Le Gouvernement a une démarche qui me paraît donc en total décalage avec les besoins existants en matière de lutte contre la récidive : d'abord, il procède à un amalgame douteux entre délinquance et pathologie mentale et, ensuite, il instaure le soin contraint comme le remède à la récidive.
Les personnes détenues seront désormais « incitées » à accepter un traitement qui pourrait leur être proposé. En réalité, elles y seront plutôt contraintes, puisque le juge de l'application des peines ne pourra prononcer une réduction de peine ni une libération conditionnelle si elles refusent le traitement proposé.
Quelle est la pertinence d'un tel dispositif quand on sait que le sursis avec mise à l'épreuve, les réductions de peine et la libération conditionnelle, accompagnés d'un suivi socio-éducatif donnent de bien meilleurs résultats en matière de récidive que les sorties sèches ?
À la suite du constat que je viens de faire sur ce projet de loi, je tiens à signaler que, même si les amendements proposés par la commission sont a minima, nous les voterons tout de même, car ils donnent quelques garanties.
Il n'en demeure pas moins que le texte qui nous est soumis est à la fois dangereux eu égard à la philosophie qui le sous-tend et mensonger quant à l'affichage.
La prison est le seul remède à la délinquance : voilà ce que vous affichez. Hélas, madame le garde des sceaux, ce n'est pas le cas ! Je le répète une nouvelle fois : actuellement, 3 millions de personnes, dont beaucoup de mineurs, sont incarcérées aux États-Unis. Quel bel exemple d'une diminution de la délinquance et de la violence !