Cela dit, j'aurais préféré, je le confesse, que vous fassiez vos débuts dans cet hémicycle avec un autre texte !
Il ne manque pourtant pas de sujets brûlants susceptibles de susciter ici, certes, des critiques, mais aussi, bien sûr, une volonté constructive. Je pense en particulier - parmi tant d'autres problèmes, et en me limitant aux plus urgents - à la réforme de la carte judiciaire et à l'amélioration de la situation carcérale. Voilà un sujet qui, plus que tout autre, devrait nous tenir à coeur et constituer la priorité de vos efforts, aboutissant au vote d'une nouvelle loi pénitentiaire, trop longtemps différée et depuis tant d'années souhaitée par le Sénat tout entier.
S'agissant du projet de loi que vous nous présentez aujourd'hui, je traiterai seulement de la partie générale. Mes amis interviendront ensuite successivement sur la question spécifique, et très importante, des mineurs, sur la situation dans les prisons et sur le tribunal de Bobigny, qui constitue un cas particulier.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je veux souligner avec force que ce texte est inutile, implicitement vexant pour la magistrature et, plus grave encore, potentiellement dangereux.
Pourquoi inutile ? C'est une évidence : nous ne vivons pas dans un désert législatif en matière de récidive ! Tous les gardes des sceaux successifs, tous les parlementaires, tous les citoyens, même, souhaitent qu'on lutte contre ce phénomène, et le moins que l'on puisse dire est que le législateur et les gouvernements ne sont pas demeurés inertes.
On n'a pas pris conscience de l'importance de ce problème il y a un mois ou deux !
Tout à l'heure, madame le garde des sceaux, on a rappelé à juste titre qu'au cours des trois dernières années nous avions adopté pas moins de trois textes concernant la lutte contre la récidive ! La loi dite Perben I incitait déjà les magistrats à être plus fermes, mais c'était plus particulièrement vrai de la loi dite Perben II, adoptée en mars 2004, et vrai aussi, ô combien, de la loi que votre prédécesseur, M. Clément, a entièrement consacrée au traitement de la récidive des infractions pénales, en s'inspirant des travaux réalisés par la commission de l'Assemblée nationale qu'il présidait avant de devenir garde des sceaux. Cette loi a été promulguée le 12 décembre 2005, c'est-à-dire, faites le calcul, madame le garde des sceaux, voilà à peine plus de dix-huit mois ! Et, alors que nous achevions nos travaux au titre de la précédente législature, c'est le ministre d'État et ministre de l'intérieur de l'époque qui, sauf erreur de ma part, nous a présenté un texte sur la prévention de la délinquance dans lequel figuraient également des dispositions sur la récidive.
Tous vos prédécesseurs cédaient-ils à je ne sais quelle tentation laxiste ? Croyez-vous que les membres des deux commissions des lois et le reste de leurs collègues parlementaires auraient négligé, il y a quelques mois ou même quelques années de cela, les mesures nécessaires pour faire face à la récidive ? Certainement pas !
Donc, l'utilité et même la nécessité de ce texte ne semblent pas évidentes, à moins que vous ne taxiez implicitement vos prédécesseurs d'incompétence, ce que je ne crois pas.
Parlons clair : les effets de toutes ces lois se seraient-ils révélés décevants ? Nous n'en savons rien, car, et c'est tout à fait remarquable, on nous demande aujourd'hui d'adopter un texte sans qu'il y ait eu ni étude de suivi des lois précédentes, comme le Conseil d'État l'a noté, ni étude d'impact des conséquences probables de ce projet de loi sur la situation carcérale !
En réalité, on présente ce texte au Parlement pour traduire un engagement pris par un candidat à la présidence de la République. Certes, ce candidat a été élu, nous le savons tous, mais pour autant, faut-il penser qu'il a raison jusque dans les moindres détails de son programme ?
Mes chers collègues, revenons à l'essentiel : un texte de loi doit répondre à une utilité et viser une finalité claire. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ne dit pas autre chose quand elle précise, en son article VIII, que « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ».
À cet égard, monsieur le rapporteur, j'ai trouvé particulièrement intéressant le tableau des peines effectivement prononcées qui figure à la page 33 de votre rapport écrit.
En effet, la question posée aujourd'hui est celle de savoir si les magistrats qui doivent juger les récidivistes ont aujourd'hui les moyens légaux de prononcer ces peines que souhaite introduire le Gouvernement et qu'il est convenu d'appeler les « peines planchers ». Or la réponse est évidemment positive, et cela vaut pour tous les magistrats, comme l'ensemble des données disponibles le montrent. Pourquoi, dès lors, présenter ce texte ?
Le tableau dressé par M. le rapporteur permet d'apprécier la pratique des juridictions au regard des peines d'ores et déjà inscrites dans le code pénal. On y constate une distinction tout à fait saisissante entre les crimes et les délits.
En matière criminelle, les magistrats et les jurés vont au-delà, très au-delà des peines planchers, ce qui se conçoit parfaitement compte tenu de la gravité des faits. Mes chers collègues, croyez-moi : quiconque a fréquenté la cour d'assises sait que la qualité de récidiviste ne constitue pas la meilleure carte à jouer pour obtenir l'indulgence du jury, et rien n'est plus difficile pour un avocat que de défendre un récidiviste !
S'agissant donc des cours d'assises, ce texte ne sert tout simplement à rien, car, dans la pratique, les magistrats prononcent déjà des sanctions bien supérieures aux peines planchers.
En ce qui concerne les délits, qui sont plus nombreux que les crimes et représentent donc un contentieux quantitativement plus important pour l'institution judiciaire, la moyenne des condamnations prononcées se situe, il est vrai, au-dessous des peines planchers. Les magistrats pourraient, certes, prononcer des sanctions plus rigoureuses, mais ils en décident parfois autrement, et cela toujours en leur âme et conscience. Car, ne l'oublions jamais, ce sont eux qui engagent leur responsabilité morale à l'instant de la décision.
Pourquoi agissent-ils ainsi ? Pour des raisons qui tiennent, dans le respect des textes applicables, à la multiplicité des circonstances des infractions ainsi qu'à la diversité des êtres humains. Car ce dont les magistrats, eux, ont à connaître, ce sont des affaires, c'est-à-dire des actes de femmes et d'hommes, et des circonstances !