Intervention de Robert Badinter

Réunion du 5 juillet 2007 à 9h30
Récidive des majeurs et des mineurs — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Robert BadinterRobert Badinter :

Quand le candidat, devenu depuis lors Président de la République, évoquait à la télévision les peines planchers, chacun de nos concitoyens pensait à des peines fermes s'appliquant automatiquement aux cas les plus graves.

Mais une telle réforme n'était pas possible, et c'est pourquoi le projet de loi se présente sous des allures aussi contournées. C'est qu'elle se heurte au principe constitutionnel de l'individualisation des peines, c'est-à-dire à la faculté pour les juges d'adapter leurs décisions aux cas qui leur sont soumis, sans être tenus par une peine plancher, ce qui constitue d'ailleurs une exigence de bonne justice.

Pour contourner l'obstacle, des fenêtres - des interstices, plutôt -, ont été pratiquées dans l'obligation de prononcer des peines planchers, ce qui vous permet, madame le garde des sceaux, de prétendre que la liberté de juger des magistrats se trouve sauvegardée.

Soyons réalistes ! Il s'agit pour le législateur d'imposer au juge le prononcé de peines minimales pour certaines infractions commises par des récidivistes, en lui laissant toutefois la possibilité de déroger à cette obligation en considération des circonstances, et dans des conditions étroitement définies sur lesquelles nous reviendrons au cours de la discussion des articles.

Madame le garde des sceaux, imaginez-vous un magistrat expliquer, dans la motivation que l'on exige de lui désormais, pourquoi il ne prononce pas la peine recommandée et ne cède pas à la pression qui s'exerce en faveur de l'enfermement ? Indépendamment de la contrainte quotidienne des affaires qui pèse sur lui, et qui ne lui laissera guère le temps de motiver, ce serait prendre un risque important. Car, si le récidiviste réitère, qui sera stigmatisé ? Qui portera la responsabilité de cette décision devant l'opinion publique ? Qui aura parfois même à l'assumer devant certains membres du Gouvernement ? Le magistrat !

Je sais qu'il y aura toujours des âmes intrépides et des coeurs courageux, mais la plupart des magistrats auront tendance à s'aligner sur les peines prévues par la loi et à ne pas prendre le risque d'être critiqués ou stigmatisés.

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