Intervention de Robert Badinter

Réunion du 5 juillet 2007 à 9h30
Récidive des majeurs et des mineurs — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Robert BadinterRobert Badinter :

Madame le garde des sceaux, vous serez inévitablement confrontée à un accroissement de la population carcérale. Vous connaissez comme nous la situation et l'inflation qui la caractérise : les personnes placées sous main de justice, dont le nombre a augmenté de 18 % ces cinq dernières années, seraient 63 600 aujourd'hui.

Or, sans même retenir les prévisions pessimistes qui font état d'un accroissement de la population carcérale de près de 10 000 personnes, à quoi pouvons-nous nous attendre alors que, nous le savons, certaines maisons d'arrêt - cela ne vaut pas dans les centrales ni dans les centres de détention - connaissent déjà des taux d'occupation de 120 %, 130 % ou 140 %, voire - j'ai pu le constater en les visitant - de 180 % ou 200 % ? Il s'agit là d'un constat biséculaire, et non d'hypothèses sur l'éventuel bienfait des peines planchers.

La commission d'analyse et de suivi de la récidive, présidée par le professeur Jacques-Henri Robert, si elle avait rendu son rapport, aurait souligné de façon saisissante que les sociétés anglo-saxonnes, qu'elles soient américaine, canadienne ou britannique, qui ont eu fortement recours à la peine plancher constatent aujourd'hui que ses effets ne sont pas ceux qu'elles attendaient, puisqu'elle engendre souvent un accroissement de la récidive.

Le foyer premier de la récidive, c'est la prison, nous le savons ! Les maisons d'arrêt confinent dans les mêmes cellules des chevaux de retour et des primo-délinquants qui n'ont pas encore été jugés, c'est-à-dire des professionnels du crime et des jeunes gens. Et ces derniers en ressortent avec les adresses, les indications, pour ne pas dire les leçons qui les transformeront en criminels ou en délinquants plus dangereux.

Le constat est ancien : le centre de détention, la maison d'arrêt surpeuplés, qui ne peuvent offrir une cellule pour chacun des prévenus ou des condamnés, sont la source première de la récidive. Et c'est à cela que vous destinez un plus grand nombre de primo-délinquants encore, madame le garde des sceaux : ils seront les premiers à récidiver !

Pardonnez-moi de le dire, mais votre politique est celle du pompier pyromane. Voilà pourquoi vos prédécesseurs n'ont pas voulu des peines planchers qui étaient alors évoquées.

Aujourd'hui, notre groupe ne doit pas se contenter de critiquer : il doit être le héraut d'une opposition toujours plus ferme, mais constructive.

La seule question qui vaille porte sur la signification qu'il convient d'accorder à la récidive. Qu'implique-t-elle ? De la part du récidiviste, elle témoigne bien évidemment d'une faute. Mais elle est également la marque d'un échec qui le dépasse. Échec souvent familial, parce que les liens auront été rompus en prison. Échec souvent social, aussi, parce que le délinquant ne trouve pas à la sortie les possibilités de réinsertion qu'il lui faudrait. Échec toujours de l'institution judiciaire elle-même, puisque, s'agissant d'un récidiviste, il a par définition déjà été condamné.

L'institution judiciaire n'a pas vocation à fabriquer des récidivistes : elle est vouée à la réinsertion et à la réintégration. À ce titre, il faut s'interroger : si la récidive est un tel échec pour l'institution judiciaire, que faire pour l'empêcher ? La réponse est simple : le contraire de la récidive, c'est la réinsertion réussie.

À cet égard, nous avons, dans les deux dernières décennies, et je pourrais même remonter un peu plus loin dans le temps, multiplié les moyens légaux pour permettre la réinsertion et éviter ce que l'on appelle les sorties sèches : la libération conditionnelle, la semi-liberté, le placement extérieur, pour ne citer que ces dispositifs. Mais ils sont, hélas ! insuffisamment mis en oeuvre, alors que nous savons, par exemple, que la libération conditionnelle prévient la récidive. Il n'est qu'à regarder les chiffres.

Le même constat s'impose pour tous ceux qui peuvent contribuer à prévenir la récidive, et la liste est longue, que ce soient les éducateurs, les travailleurs sociaux, les psychiatres : ils ne sont pas en nombre suffisant.

Nous luttons avec des textes là où il faudrait combattre avec des moyens. C'est du papier que nous produisons, de l'inflation juridique : cela ne sert à rien ! Madame le garde des sceaux, tant que vous ne donnerez pas les moyens non seulement humains, mais aussi matériels, y compris pour l'exécution des jugements, vous ne pourrez pas vaincre la récidive. Tout ce que l'on nous propose, c'est cette accumulation de textes que j'évoquais en commençant.

Je n'en dirai pas plus en ce qui concerne la délinquance des mineurs. Quant à l'injonction de soins, le découragement m'envahit à la pensée de ce que sont les moyens dont nous disposons.

Nous nous opposons à ce texte. Nous le discuterons âprement, article après article, amendement après amendement. Je vous le dis franchement, madame le garde des sceaux : vous vous fourvoyez à cet instant si vous croyez que c'est avec un tel texte que vous réduirez le phénomène que vous voulez combattre. D'autres voies existent : c'est une question de volonté politique, car c'est une question de moyens.

Non, madame le garde des sceaux, nous ne voterons pas ce texte, qui est mauvais !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion