Intervention de Jean-René Lecerf

Réunion du 5 juillet 2007 à 9h30
Récidive des majeurs et des mineurs — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Jean-René LecerfJean-René Lecerf :

Malheureusement, tout change, si l'on délaisse un instant la définition juridique de la récidive au profit de la signification que ce mot revêt dans l'opinion, qui l'assimile avec la réitération ou avec le concours d'infractions. Les chiffres deviennent cette fois impressionnants.

Selon une étude réalisée par le ministère de la justice datant du mois d'avril 2005, plus d'un condamné à la prison sur deux récidive, au sens commun du terme, dans les cinq ans qui suivent sa libération. Le taux de récidive atteint 70 % lorsqu'il s'agit de violences volontaires avec outrages, et 72 % pour ce qui concerne des personnes condamnées pour vol avec violences. Parmi les personnes condamnées pour agressions ou atteintes sexuelles sur mineurs, près du tiers récidivent dans les cinq ans qui suivent leur sortie de prison.

La situation se révèle tout aussi préoccupante pour les mineurs. Dans le rapport sur le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, dont l'élaboration m'avait été confiée, je faisais état d'une étude menée en 2002, sous les auspices du ministère de la justice, aux termes de laquelle, sur 18 000 mineurs condamnés en 1996, 49 % avaient été condamnés de nouveau dans les cinq années suivantes.

Notre excellent rapporteur, François Zocchetto, cite une étude plus récente qui nous révèle que, des 16 000 mineurs condamnés en 1999, 55, 6 % avaient été de nouveau condamnés dans les cinq années suivantes.

Il est difficile, dès lors, de ne pas en conclure qu'il y a urgence à intervenir !

Je suis désolé de devoir ajouter que, contrairement à une conviction quasi unanimement répandue, le mode de libération des détenus, s'il n'est pas sans conséquences, apparaît assez peu discriminant. Je gardais en mémoire des taux de récidive de l'ordre de 26 % pour les personnes ayant fait l'objet d'une libération conditionnelle, alors que ce taux atteint 30 % en ce qui concerne les détenus en fin de peine, et les chiffres cités par notre rapporteur vont plutôt dans le même sens. La solution miracle reste donc à inventer.

Je m'étonne davantage encore des commentaires à l'emporte-pièce selon lesquels le caractère dissuasif de ce projet de loi relèverait du fantasme. La plus grande certitude de la sanction non seulement ne faciliterait en rien la lutte contre la récidive, mais pourrait même la compliquer.

C'est fort étrange, lorsque l'on sait que nombre de délinquants, quel que soit leur âge, assimilent parfaitement la portée de la règle de droit.

Vous évoquiez récemment, madame le garde des sceaux, ce mineur du centre éducatif fermé de Rouen qui vous interpellait en ces termes: « Madame, est-ce vrai que, si nous recommençons, on va être jugés comme des majeurs ? »

Je me souviens, pour ma part, de l'audition du père Guy Gilbert devant la commission d'enquête sur la délinquance des mineurs -notre collègue Jean-Claude Carle en était le rapporteur -, au cours de laquelle il nous a raconté l'histoire de Yann, douze ans et trois mois, qui lui avait été confié par le juge des enfants de Lille. Je vous cite ses propos, en les expurgeant quelque peu : « Dix fois, le juge des enfants a demandé au petit chéri de venir. Il n'a pas voulu. Enfin, il arrive avec son paquetage et me tient un grand discours. J'ai fini par lui dire : ?Tu as commis je ne sais combien de cambriolages. Tu vas avec des mecs de seize ans qui profitent de toi et tu es impuni.? Vous ne savez pas ce que m'a répondu le môme, un juriste distingué ? Il m'a dit : ?Moi, monsieur, j'ai neuf mois à tirer?. Cela signifie qu'à douze ans et trois mois il peut vivre dans l'impunité totale ».

Mes chers collègues, dans ces conditions, il est difficile de ne pas croire à certaines vertus dissuasives de la sanction.

Enfin, j'ai lu que ce texte crée des peines automatiques et supprime l'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs. Ceux qui font de tels commentaires ont-ils lu le projet de loi ? On peut en douter, alors que la liberté d'appréciation du juge, de la juridiction, sera préservée.

Quant au caractère exprès de la motivation, s'avère-t-il une charge si accablante, alors qu'il ne s'agit guère que d'exprimer des arguments dont on peut légitimement être convaincu qu'ils servaient déjà de base à la conviction du juge ?

Pour ce qui est de l'extension des conditions dans lesquelles le juge pourra écarter l'excuse de minorité pour les mineurs de plus de seize ans auteurs d'infractions d'une particulière gravité, elle ne saurait être assimilée un seul instant à l'abandon de l'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs, règle érigée par le Conseil constitutionnel en principe fondamental reconnu par les lois de la République.

Une dernière objection, sans doute davantage partagée, porte sur le risque d'augmentation du nombre de détenus.

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