Intervention de Nicolas Alfonsi

Réunion du 5 juillet 2007 à 9h30
Récidive des majeurs et des mineurs — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Nicolas AlfonsiNicolas Alfonsi :

...n'avait eu la sagesse de résister à la pression et de créer une commission de suivi pour éviter de s'engager dans la voie de l'instauration d'une peine plancher, défendue par le futur Président de la République, nous aurions sans doute déjà eu à nous prononcer sur ce texte.

J'ai le sentiment qu'il exprime, sinon une frustration, du moins une volonté très forte du nouveau Président de la République, quelques semaines à peine après son élection, dans cette matière extrêmement difficile qu'est la matière pénale.

On juge généralement de la qualité d'un texte à celle de son exposé des motifs.

Or, la lecture de quelques lignes de l'exposé des motifs du présent projet de loi initial révèle qu'il s'agit bien d'un texte de circonstance : « Le commencement d'une nouvelle présidence et d'une nouvelle législature constitue le moment propice pour compléter le processus législatif amorcé au cours des dernières années afin de disposer des moyens juridiques adéquats pour lutter contre la récidive... »

Soit, mais le moment est plus ou moins propice selon la nature du texte présenté. Quelques semaines après l'élection présidentielle, le moment est-il si propice pour instaurer des peines planchers ?

En cette matière pénale, si complexe, deux écoles doctrinales s'affrontent depuis deux siècles : celle de Portalis, soucieux de la stricte application de la règle pénale, et celle de Benjamin Constant, partisan, lui, de donner au juge un grand espace de liberté.

Tout cela ne peut, bien entendu, que nous troubler.

Vous invoquez comme arguments fondamentaux à l'appui de ce texte qu'il s'agit de tenir une promesse faite pendant la campagne par le candidat élu aujourd'hui Président de la République, que l'opinion publique attend ce texte avec une impatience considérable et, enfin, qu'il y a urgence à trouver une mesure dissuasive face à l'augmentation de 145 % de la récidive en cinq ans.

Dans son excellent rapport, M. Zocchetto clarifie les notions de récidive et de réitération, trop souvent confondues dans l'esprit du public.

Nous ne pensons pas que les peines planchers constituent la réponse qu'il faut apporter. À la brutalité de ce constat d'une croissance de la récidive de 145 % se substitue une autre brutalité, celle des mesures que vous proposez, alors que rien n'est démontré, et que les expériences américaines et canadiennes, notamment, ont prouvé que les peines planchers ne sont pas aussi efficaces qu'on veut le faire croire.

Les taux de récidive légale vont de 2 % à 6 %, selon qu'il s'agit de crimes ou de délits.

En matière de réitération, le procureur de Bobigny l'a parfaitement mis en lumière, se pose un problème de lisibilité de la réponse pénale, lorsque celle-ci intervient une quinzaine de mois après la commission des infractions.

Je le répète : rien ne démontre que les solutions proposées soient efficaces, par rapport aux possibilités actuelles d'aménagement des peines. Il existe en effet toute une batterie de moyens permettant d'obtenir de meilleurs résultats. Il semble, au vu des statistiques disponibles et d'après le rapport, que l'aménagement de la peine entraîne moins de récidive que la peine à sortie « sèche ».

Demeure le problème essentiel, je veux dire le Conseil constitutionnel. J'ai le sentiment que, s'il n'avait tenu qu'à vous, vous auriez certainement laissé moins de latitude au juge, mais la décision de juillet 2005 s'imposait à vous, ce qui vous a conduite à introduire la possibilité pour le juge, dans des circonstances exceptionnelles, de prendre la responsabilité de prononcer, moyennant une motivation spéciale, donc après mûre réflexion, une peine inférieure à la peine plancher en cas de nouvelle récidive.

La commission des lois, avec toutes les nuances qui s'attachent à la rédaction de ses rapports, évoque le problème de la responsabilité des juges.

Ce même problème est également soulevé par la commission de suivi mise en place par votre prédécesseur, madame le garde des sceaux, dans un avis dont il eût été utile de pouvoir prendre connaissance : c'eût été un premier exemple de cette transparence que M. le Premier ministre évoquait devant nous hier...

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