Madame le garde des sceaux, M. Robert Badinter, premier intervenant au nom du groupe socialiste, l'a dit : nous considérons, comme vous, qu'il faut prévenir, combattre, punir la récidive sous toutes ses formes, ce d'autant plus si elle est multiple et, surtout, quand elle concerne les mineurs.
Cependant, nous ne pensons pas que c'est par le biais d'un énième texte, au demeurant mal ficelé, permettez-moi de le dire, et non gagé financièrement que l'on pourra atteindre ce triple objectif.
Pour ma part, je souhaiterais souligner les nombreux risques que fait peser le présent projet de loi sur l'autorité judiciaire, qui est la « gardienne des libertés individuelles ».
Permettez-moi tout d'abord - je réponds là à mon collègue M. Lecerf - de balayer l'idée, fausse, mais que l'on arrive à faire accréditer dans l'opinion publique, selon laquelle les juges sont laxistes. Bien au contraire !
Monsieur le rapporteur, dans votre rapport bien connu et souvent cité du 2 février 2005 sur la proposition de loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales, vous indiquiez vous-même que « le juge se montre [...] plus sévère avec les récidivistes qu'avec les primo délinquants. ».
Deux ans plus tard, vous dressiez vous-même un constant identique : l'emprisonnement ferme est prononcé pour 57 % des récidivistes, contre 11 % pour les primo-délinquants.
En outre, le nombre de condamnations en récidive pour les crimes et délits a augmenté de 68, 5 % entre 2000 et 2005. C'est là un accroissement considérable.
Bien sûr, on joue avec les chiffres. On nous présente la récidive comme étant de l'ordre de 2 %, mais ensuite, on nous explique que le taux de réitération est de 50 % ou de 55 %.
Au final, l'opinion publique n'y comprend plus rien, car elle ne fait pas la distinction entre récidive et réitération. Ce faisant, elle retient, et donc accrédite, le chiffre de 50 %.
Or, si l'on s'en tient à la définition exacte des mots, qui doit évidemment prévaloir, le vrai chiffre de la récidive, c'est bien 2 %.
Le même constat s'impose également pour les mineurs délinquants, qui sont, eux aussi, traités avec de plus en plus de sévérité. Ainsi, bien que l'état de récidive légale soit très rarement relevé devant les juridictions chargées du jugement des mineurs, les peines prononcées par elles sont de plus en plus sévères.
D'ailleurs, madame le garde des sceaux, puisque vous avez vous-même cité Michel Leiris dans une tribune libre parue récemment, je reprendrai à mon compte les mots de ce grand auteur pour dire que la tendance actuelle consiste à faire passer plus rapidement les jeunes délinquants « du chaos miraculeux de l'enfance à l'ordre féroce de la virilité ». Ce n'est malheureusement pas l'inverse qui se produit !
De plus, j'ai pris connaissance ce matin de la prise de position de l'UNICEF, le fonds des Nations unies pour l'enfance, qui a stigmatisé hier la partie consacrée aux mineurs dans le présent projet de loi.
En revanche, en expliquant que le sentiment d'impunité découlait bien davantage de l'inexécution des peines, vous avez voulu avancer un argument qui, à mon sens, doit effectivement être repris et développé, car le problème est à l'évidence majeur.
Cela étant, comme l'a souligné Robert Badinter, au lieu de décider une hausse des crédits budgétaires alloués à la justice et de lancer une réflexion approfondie sur le sens de la peine, vous avez préféré répondre à une demande sociale forte, alimentée par l'instrumentalisation de certains faits divers.
Les juges qui, dans le cas de la récidive, essaieront de motiver une peine inférieure ou alternative, risqueront ainsi d'être critiqués par l'opinion publique, voire de subir un « lynchage » médiatique et de devenir les boucs émissaires de votre politique.
Avec une telle épée de Damoclès au-dessus de la tête, ils n'auront guère d'autre choix que d'aller contre leur propre conviction et de suivre votre politique de répression. En appliquant ces nouvelles dispositions législatives, ils iront dans le sens général de cette « direction prison » qu'évoquait mon prédécesseur à cette tribune.
Vous enfermez donc les juges dans un dilemme moral dont ils devront eux-mêmes sortir. Si, dans un certain nombre de cas, ils choisiront de ne pas appliquer les peines minimales que vous avez prévues, dans un certain nombre d'autres cas, ils suivront la direction que vous avez fixée.
Cela a été dit, vis-à-vis des juges, ces dispositions s'apparentent à une mesure de défiance tout à fait vexatoire.
Enfin, lorsque vous pointez du doigt le prétendu angélisme, voire le laxisme de l'institution judiciaire, vous défiez en même temps le peuple français, au nom duquel la justice est rendue. En voulant instaurer un système de peines minimales, vous remettez aussi en cause les délibérations des jurys populaires des cours d'assises, ainsi que celles des tribunaux pour enfants, dans lesquels, comme vous le savez, aux côtés du juge professionnel siègent des juges citoyens représentant la société civile.
La politique de défiance que vous avez développée vis-à-vis du corps judiciaire s'applique donc également à ces juges qui représentent la société.
À mon sens, le rejet massif de ce texte par les magistrats et par l'ensemble des associations professionnelles montre qu'il ne permettra pas de résoudre sérieusement les problèmes posés.
Au surplus, cela soulève la question de la méthode d'élaboration des textes de loi en France. Alors que l'on nous a vanté l'ouverture et le dialogue, la réalité est tout autre : des textes d'une telle importance sont élaborés dans la précipitation, sans consultation ni prise en compte sérieuses des organisations professionnelles et des spécialistes de ces dossiers.
Pour toutes ces raisons, madame le garde des sceaux, et même s'il y aurait bien d'autres critiques à formuler sur les différents articles, vous comprendrez que ce projet de loi nous inspire avant tout de la défiance.