Intervention de Jacques Mahéas

Réunion du 5 juillet 2007 à 9h30
Récidive des majeurs et des mineurs — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Jacques MahéasJacques Mahéas :

Madame le garde des sceaux, vous comprendrez que je m'associe aux propos de mon ami Robert Badinter pour saluer votre nomination à la Chancellerie. En tant qu'élu de Seine-Saint-Denis, j'y suis particulièrement sensible.

Mais j'en viens au texte.

Inutile, inopérant, disproportionné, irréaliste et contre-productif : toute personne qui considère avec attention et honnêteté ce projet de loi renforçant la lutte contre la récidive ne pourra, madame le garde des sceaux, que vous opposer ce même registre désolant.

Les magistrats que nous avons auditionnés sont unanimement consternés, non par réflexe corporatiste ni repli idéologique, mais parce qu'ils mesurent simplement, comme nous, la seule dimension évidente de ce texte, à savoir l'affichage. N'est-ce pas la conséquence de la chicaya née sous la dernière législature entre le tribunal de grande instance de Bobigny, notamment son tribunal pour enfants, et le ministre de l'intérieur d'alors, qui négligeait ainsi la séparation des pouvoirs ? Ce ministre, en effet, avait cru bon d'accuser ces magistrats de « démission », déclenchant ainsi une polémique inutile.

Voici venir, en moins de deux ans, le troisième projet de loi relatif au traitement de la récidive. Pour autant, aucune évaluation des mesures précédentes n'a été effectuée. Au demeurant, la loi relative à la répression - pardon ! - à la prévention de la délinquance est si récente - elle date de mars 2007 - que fort peu de décrets en sont publiés.

En ce qui concerne ce nouveau texte, nous ne disposons pas non plus d'études d'impact : aucune projection officielle n'anticipe l'inflation carcérale qui va mécaniquement en découler, comme l'a d'ailleurs indiqué M. le rapporteur, en prenant l'exemple d'une peine de 1, 6 année d'emprisonnement transformée désormais, en moyenne, en 4 ans d'emprisonnement.

Vous n'avez pas cru bon d'attendre jusqu'au 14 juin le rapport de la commission d'analyse et de suivi de la récidive mise en place par votre prédécesseur, M. Pascal Clément. Est-ce parce que vous deviniez que ce rapport serait susceptible de contrarier vos propositions ? Pourquoi avoir institué cette commission et ne même pas l'avoir consultée, selon les dires de son président, le professeur Jacques-Henri Robert ?

Rien ne vous arrête, tant il semblerait qu'en matière d'inflation législative à visée répressive votre majorité soit plutôt multirécidiviste !

Madame le garde des sceaux, j'ai là les chiffres transmis par vos services, et dont je vous remercie. Je me suis attardé sur ceux qui intéressent les mineurs, érigés depuis quelque temps en catégorie particulièrement dangereuse.

S'agissant des crimes, deux condamnations ont concerné des mineurs récidivistes en 2000 ; une seule condamnation est intervenue dans ce cadre en 2002 et 2005, et aucune en 2004 !

S'agissant des délits - c'est une appellation floue ! -, le nombre de condamnations s'échelonne progressivement, passant de 128 à 316 cas. Admettez toutefois que, s'il y a augmentation en pourcentage, les effectifs sont, eux, minimes !

Quelle urgence y avait-il donc à légiférer ? Aucune, évidemment, sinon l'urgence de tenir une promesse électorale qui sonne comme un slogan, sinon, pour le Président de la République, de mener un grand battage médiatique, lui qui s'improvise, à ses heures, Premier ministre ou garde des sceaux.

Il ne faut pas confondre pragmatisme et précipitation. Tous les acteurs de terrain savent que seul le suivi éducatif donne des résultats et qu'il faut le mettre en oeuvre dès la première peine, notamment pour les mineurs. Or, depuis 2002, vous centrez toute votre action sur le carcéral, au détriment des mesures en milieu ouvert.

L'exemple du travail d'intérêt général, ou TIG, est flagrant. La commune dont je suis maire, Neuilly-sur-Marne, a adopté ce dispositif dès sa mise en place, en 1984. À ce jour, nous disposons de quinze fiches de postes, ce qui permet d'accueillir bon nombre de condamnés, puisque la durée d'un TIG ne peut excéder 210 heures. Or, après deux années sans presque aucune affectation, nous avons reçu... trois personnes depuis le début de l'année 2007 !

Les postes étant également ouverts aux non-Nocéens, j'aimerais comprendre les raisons pour lesquelles cette peine alternative à l'emprisonnement est si largement sous-appliquée, alors qu'elle présente un réel intérêt pour les jeunes délinquants, puisqu'elle conjugue sentence et possibilité de réinsertion par le travail.

En 2005, je formulais déjà ce point de vue dans une question écrite adressée au garde des sceaux de l'époque. Il m'avait alors répondu qu'il partageait mon « souci de voir se développer les peines de travail d'intérêt général, qui, tout en présentant un caractère de sévérité, participent de la réinsertion du condamné par le travail et de la prévention de la récidive ». Vous comprendrez que j'insiste sur les derniers mots de cette citation.

Faute de temps, je terminerai sur une note plus personnelle. Dans un entretien accordé à un grand quotidien et paru aujourd'hui, votre frère, madame le garde des sceaux, affirme : « Ma soeur ne lâche rien. Elle aime décider seule. Elle veut toujours avoir le dernier mot. » Démentez aujourd'hui ces propos, madame le garde des sceaux !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion