Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, c'est désormais un rituel institutionnalisé : la session extraordinaire vient à peine de commencer et nous voici réunis pour une nouvelle réforme du code pénal et de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante.
Le projet de loi qui nous est présenté par le Gouvernement affiche l'objectif de « renforcer la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs », thème ultra-médiatisé par Nicolas Sarkozy depuis cinq ans.
Le Président de la République avait promis pendant la campagne électorale qu'il instaurerait des peines automatiques pour les récidivistes et supprimerait la bien mal nommée « excuse de minorité » pour les mineurs de seize à dix-huit ans. Et s'il fallait modifier la Constitution pour cela, eh bien, ce serait fait.
Au final, le projet de loi défendu par la Chancellerie n'est pas tout à fait conforme au souhait présidentiel. S'il instaure bien des peines planchers, celles-ci ne sont pas à proprement parler automatiques. Et si le principe de l'atténuation de responsabilité pénale est bien remis en cause, la majorité pénale reste fort heureusement fixée à dix-huit ans.
La Constitution n'aura donc pas besoin d'être modifiée, car le Gouvernement a pris de multiples précautions rédactionnelles afin de ne pas encourir la censure du Conseil Constitutionnel, inévitable si les peines dont il s'agit avaient été automatiques.
Malgré ces précautions, je considère que ce projet de loi porte atteinte à plusieurs de nos principes fondamentaux et constitutionnels.
Il procède à une inversion de notre logique judiciaire, voire de notre philosophie pénale, dans le seul but de rassurer l'opinion et sacrifie la spécificité de la justice des mineurs sur l'autel de la surenchère médiatique.
Le Gouvernement a fait tout d'abord le choix de renverser le fondement de notre logique judiciaire.
Aujourd'hui, le principe est que les magistrats doivent motiver leurs décisions, notamment celles qui prévoient des peines privatives de liberté. Conformément à l'article 66 de la Constitution, l'autorité judiciaire, « gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi. » Or dans ce projet de loi, ce principe est bafoué parce qu'il est inversé : ainsi le juge motive non plus la privation de liberté mais le maintien en liberté et l'on peut s'inquiéter d'un État qui considère la perte de liberté comme un élément mineur.
Certes, le juge pourra prononcer, dans des conditions limitativement énumérées, une peine inférieure à la peine minimale encourue ou une peine autre que l'emprisonnement en matière délictuelle par une décision spécialement motivée. Mais la liberté d'appréciation du juge est strictement encadrée et bien mince.
Et se pose le problème du respect du principe de l'individualisation des peines.
En cas de première récidive, le juge peut déroger à une peine minimale si les circonstances de l'infraction, la personnalité de son auteur ou ses garanties d'insertion ou de réinsertion le justifient. En cas de nouvelle récidive, pour les crimes et les délits les plus graves, le juge ne pourra y déroger que si le prévenu présente des garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion. Et, si dérogation il y a, obligation est de toute façon faite au juge de prononcer une peine d'emprisonnement.
Le principe de l'individualisation des peines devient ici l'exception, face à la quasi-automaticité de la sanction.
Les garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion n'existent pas dans le code de procédure pénale, même au stade de l'application des peines. Par ailleurs, comment envisager qu'un multirécidiviste puisse présenter de telles garanties au moment de son jugement pour un crime ou un délit grave ? Celles-ci ne peuvent donc pas raisonnablement s'apprécier au moment de la condamnation.
Cette condition pour pouvoir déroger à une peine minimale est un leurre pour le juge ; dans les faits, elle sera inopérante.
Le Conseil constitutionnel a pourtant reconnu une valeur constitutionnelle au principe de l'individualisation des peines dans sa décision du 22 juillet 2005, ce principe découlant de l'article VIII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Ce qui est dangereux dans ce reniement de l'individualisation des peines, c'est que l'on prend pour acquis qu'il n'existe aucune circonstance particulière dans la réalisation d'un acte délictueux ou criminel, qu'il est déconnecté de tout et qu'il est vain ou inutile d'analyser la personnalité de son auteur.
Les amendements de la commission des lois, qui traduisent toutefois le trouble ressenti, visent à prévoir que le juge prend en compte les circonstances et la personnalité de l'auteur. Cela laisse apparaître le malaise face au renoncement à l'individualisation de la peine et à l'étude objective des faits.
D'ailleurs, sur ce point, la recommandation 92/17 du Conseil de l'Europe précise que les condamnations antérieures ne devraient jamais être considérées comme un facteur aggravant et que la peine devrait être proportionnelle à la gravité de l'infraction en cours de jugement. Je partage totalement ce point de vue, puisque, pour ma part, je remets en cause à la fois la récidive et la réitération.