Intervention de Josiane Mathon-Poinat

Réunion du 5 juillet 2007 à 9h30
Récidive des majeurs et des mineurs — Exception d'irrecevabilité

Photo de Josiane Mathon-PoinatJosiane Mathon-Poinat :

Il me semble que, si la peine a un sens, nous ne devrions jamais rejuger quelqu'un sur un acte qui pourrait être identique. La peine ne veut rien dire si l'on prend en compte sans cesse les actes antérieurs.

Cela est encore plus vrai s'agissant des mineurs : par rapport à la réalité du développement de la délinquance des mineurs, l'individualisation de la peine est plus que nécessaire, car il faut prendre en compte l'évolution personnelle d'un adolescent encore en construction afin d'aboutir à des solutions efficaces pour lui, et non pour l'opinion.

Appliquer le régime des peines planchers aux mineurs revient à s'engager dans l'exclusion des jeunes les plus difficiles. Ce que propose le Gouvernement avec l'instauration de ces peines planchers revient à ne juger que les faits, et simplement les faits, en niant la personnalité de l'accusé. Même si les peines ne sont pas totalement automatiques, le système proposé se rapproche étrangement de l'automaticité.

Et force est de constater que le projet de loi rompt avec notre tradition. Cette rupture apparaît d'autant plus flagrante en ce qui concerne la justice des mineurs.

Sous prétexte que l'ordonnance de 1945 serait désuète, alors qu'elle a été modifiée une vingtaine de fois, et que les mineurs seraient délinquants plus tôt et feraient preuve d'une plus grande violence, les réformes qui se multiplient et se superposent tendent, les unes après les autres, à faire disparaître la spécificité de la justice des mineurs.

Le caractère spécifique du droit pénal des mineurs ne date pourtant pas de l'ordonnance de 1945. Le Conseil constitutionnel, lorsqu'il a reconnu la valeur constitutionnelle de ce principe dans sa décision du 29 août 2002, a par ailleurs précisé que « l'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l'âge, comme la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées, ont été constamment reconnues par les lois de la République depuis le début du vingtième siècle ; que ces principes trouvent notamment leur expression dans la loi du 12 avril 1906 sur la majorité pénale des mineurs, la loi du 22 juillet 1912 sur les tribunaux pour enfants et l'ordonnance du 2 février 1945 sur l'enfance délinquante... »

Nous apparaissons aujourd'hui en totale contradiction avec ces principes.

Tout d'abord, le Gouvernement remet en cause le principe de l'atténuation de responsabilité pénale des mineurs en fonction de l'âge.

Un mineur de seize ans pourrait, si ce projet de loi était adopté en l'état, être jugé comme un majeur en cas de deuxième récidive.

Alors que, jusqu'à présent, le juge devait motiver sa décision quand il écartait le principe de l'atténuation de responsabilité pénale, il devra désormais motiver l'application de ce principe et devra donc justifier la soumission d'un mineur à un droit qui lui est pourtant spécifiquement applicable. Le principe est ici renversé : de règle qu'elle était, l'atténuation de responsabilité pénale devient l'exception.

Cette disposition sous-entend qu'un enfant de seize ans n'est plus réellement considéré comme un mineur sur le plan pénal. Pourtant, l'âge de la majorité civile en France est fixé à dix-huit ans, avec tout ce que cela suppose sur le plan juridique, à savoir, entre autres, que les mineurs ne jouissent pas de leurs droits civils et politiques et n'ont pas la capacité de contracter. Nous avons même voté, voilà quelque temps, un texte imposant aux jeunes filles d'avoir dix-huit pour se marier.

Les mineurs seraient donc incapables civilement jusqu'à dix-huit ans, mais pourraient être jugés comme des majeurs dès seize ans, à moins que le juge n'en décide autrement.

Cette disposition du projet de loi ne semble respecter ni nos exigences constitutionnelles ni la convention internationale sur les droits de l'enfant qui, dans son article 1er, prévoit que, au sens de ladite convention, « un enfant s'entend de tout être humain âgé de moins de dix-huit ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt, en vertu de la législation qui lui est applicable ».

L'âge de la majorité étant fixé à dix-huit ans, le droit pénal des mineurs doit pouvoir s'appliquer de façon générale jusqu'à cet anniversaire et, partant, le principe constitutionnel de l'atténuation de responsabilité pénale rester opérant.

Partout, ou presque, en Europe, l'âge de la majorité pénale est de dix-huit ans. Plusieurs pays permettent même d'étendre le régime des mineurs aux jeunes adultes, jusqu'à vingt et un ans.

La Convention internationale des droits de l'enfant précise, quant à elle, dans son article 40, que « tout enfant suspecté, accusé ou convaincu d'infraction à la loi pénale [a] droit à un traitement qui soit de nature à favoriser son sens de la dignité et de la valeur personnelle, qui renforce son respect pour les droits de l'homme et les libertés fondamentales d'autrui, et qui tienne compte de son âge ainsi que de la nécessité de faciliter sa réintégration dans la société et de lui faire assumer un rôle constructif au sein de celle-ci ».

Cela n'empêche pas l'existence d'exceptions. En effet, avant même la loi du 5 mars dernier relative à la prévention de la délinquance et modifiant l'article 20-2 de l'ordonnance du 2 février 1945, le juge pouvait écarter l'atténuation de responsabilité pénale. Cette modification et plus encore celle qu'envisage le présent projet de loi sont donc totalement inutiles. Surtout, elles sont dangereuses du point de vue des principes fondamentaux régissant le droit pénal des mineurs.

Dominique Versini elle-même s'en est émue, puisqu'elle a demandé, dans un communiqué du 27 juin dernier, que soient maintenues « les dispositions actuelles qui permettent au juge de décider au cas par cas d'écarter l'excuse atténuante de minorité en fonction de la gravité des faits ».

La remise en cause prévue par le présent projet de loi de l'atténuation de responsabilité pénale est donc plus que discutable d'un point de vue constitutionnel.

Ce n'est d'ailleurs pas la seule disposition à revêtir un caractère anticonstitutionnel.

Ainsi, l'article 3 du projet de loi prévoit que les peines automatiques seront de plein droit applicables aux mineurs. Ce n'est pas la première fois, hélas ! que le Gouvernement et sa majorité décident d'appliquer les mêmes dispositions aux majeurs et aux mineurs.

En effet, la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales est applicable aux mineurs. La procédure de jugement à délai rapproché, en tous points semblable à la comparution immédiate, est un autre exemple de ce rapprochement insidieux, mais réel, de la justice des mineurs vers la justice des majeurs.

En effaçant un peu plus la spécificité de la justice des mineurs, l'application de plein droit des peines minimales aux mineurs me semble aller à l'encontre de la décision du Conseil constitutionnel du 29 août 2002.

Les procédures appropriées aux mineurs constituent désormais des ersatz de procédure pénale applicable aux majeurs. Surtout, l'application des peines minimales aux mineurs, parce qu'elle favorisera l'incarcération de ces derniers, ne semble pas correspondre à la nécessité du devoir éducatif et moral envers des enfants délinquants.

Comme ma collègue Nicole Borvo l'a souligné dans son intervention lors de la discussion générale, ce texte aboutira nécessairement à l'augmentation du nombre de mineurs incarcérés.

La priorité est donc clairement donnée à l'enfermement. L'objectif visé n'est plus - et depuis longtemps, hélas ! - de rechercher les solutions à la délinquance des mineurs par des mesures éducatives et préventives. Le projet de construction de sept établissements pénitentiaires pour mineurs correspondant à la création de quatre cent vingt places de prison en fournit une parfaite illustration. La réponse de Mme la ministre aux interventions dans la discussion générale le confirme également.

Le seul problème est que cette orientation, comme la décision qui est prise aujourd'hui par le Gouvernement de renforcer l'arsenal répressif à l'encontre des mineurs, me semble contraire non seulement à la Constitution - et je vous renvoie à la décision du Conseil constitutionnel précitée -, mais également à la Convention internationale des droits de l'enfant. Cette dernière prévoit, en effet, dans son article 37, que la détention ou l'emprisonnement d'un enfant ne peut être « qu'une mesure de dernier ressort et être d'une durée aussi brève que possible ». La France s'éloigne de plus en plus de cet engagement.

La preuve en est que le Comité des droits de l'enfant a déjà eu l'occasion à plusieurs reprises de critiquer notre pays sur cette question de l'emprisonnement des mineurs.

Dans son communiqué du 4 juin 2004, « Le Comité réitère ses préoccupations en ce qui concerne la législation et la pratique dans le domaine de la justice juvénile, ainsi qu'en ce qui concerne la tendance à favoriser les mesures répressives sur les mesures éducatives. ».

Mais tout se passe comme si la France n'était pas signataire de la Convention internationale des droits de l'enfant. Le respect des engagements internationaux n'est pas une priorité pour ce pays, pas plus d'ailleurs que le respect des principes constitutionnels et fondamentaux qui forment la base démocratique de notre société.

Qu'il s'agisse des majeurs ou des mineurs, le Gouvernement agit comme si le travail des professionnels de terrain et les recommandations des magistrats n'existaient pas. Pourtant, tous disent et répètent que les peines minimales n'auront aucun effet dissuasif sur les majeurs, et encore moins sur les mineurs, et que l'incarcération crée plus de récidive qu'elle n'en prévient. Il suffit de regarder les chiffres en la matière ! Mais il est vrai que chacun peut les analyser comme il l'entend, et que les choix idéologiques pèsent bien plus lourd dans la balance que la réalité des faits et la préservation des droits de nos concitoyens.

Si vous estimez qu'il doit en être autrement, je vous invite, mes chers collègues, à voter notre motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.

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