Intervention de Jean-Pierre Sueur

Réunion du 5 juillet 2007 à 21h45
Récidive des majeurs et des mineurs — Article 5

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur :

Il s'agit là d'une question très difficile, sur laquelle je tiens à dire d'emblée ceci : nous ne sommes pas contre l'injonction de soins et nous pensons que celle-ci doit pouvoir être décidée par le juge dans des circonstances très précises.

Toutefois, madame le garde des sceaux, il y a dans votre texte une nouveauté importante par rapport au dispositif existant, à savoir l'obligation faite au juge, dans certaines circonstances, d'ordonner l'injonction de soins. Au reste, cette mesure est cohérente avec la peine plancher puisque celle-ci, sauf exception, est définie de telle manière que le juge ne peut s'y soustraire sauf à s'en expliquer : vous créez ici un automatisme de même nature.

La première chose que je vous demande, madame le garde des sceaux, c'est de nous expliquer le fondement de cet automatisme. Pourquoi faut-il que, dans certaines conditions, le juge n'ait aucune capacité d'appréciation ? J'espère que nous obtiendrons une réponse à cette question car nous sommes tout de même là pour essayer de comprendre !

Par ailleurs, les dispositions proposées ici s'inscrivent dans un contexte général, celui que nous avons vu se dessiner ces cinq dernières années lors de l'examen de plusieurs projets de loi.

En effet, il y a une nouvelle manifestation de ce que Jacques-Alain Miller a appelé l'« hygiénisme », c'est-à-dire cette conception en vertu de laquelle il faudrait donner à la médecine le soin de gérer toute une série de problèmes qui ne relèvent pas toujours exclusivement de ses compétences. J'en veux pour preuve l'amendement Accoyer, que nous avons longuement discuté, et dont la première version, mes chers collègues, visait à affirmer que seuls les médecins ou les psychologues diplômés pouvaient traiter de la souffrance psychique, à l'exclusion donc des psychanalystes ou des psychothérapeutes. Il y avait là une volonté d'instaurer un pouvoir médical sur l'ensemble du champ de la souffrance psychique.

Dans le même ordre d'idée, nous avons eu aussi deux rapports publiés par l'INSERM, dont l'un - qui a beaucoup intéressé l'actuel Président de la République - visait à démontrer - vainement, d'ailleurs, parce qu'il ne s'agissait que de pures affirmations - qu'il était nécessaire de détecter, sous l'égide du ministère de la santé - j'insiste sur ce point -, les futurs délinquants dès l'âge de un an, voire si possible avant.

Cette réalité n'est bien entendu pas étrangère aux déclarations faites par celui qui n'était encore que candidat à la Présidence de la République à l'occasion d'un dialogue avec un philosophe organisé par une revue, au cours duquel il s'est employé à expliquer que la criminalité provenait pour une large part de l'inné. Déclaration extrêmement lourde d'implications : si l'on considère que la criminalité potentielle ou l'esprit suicidaire relèvent des gènes d'un quelconque autre déterminisme biologique, cela a des effets considérables sur la conception que l'on a de la société, de l'éducation, de l'homme.

Et voilà que, toujours dans le même ordre d'idée, on nous explique qu'il est des circonstances, énumérées dans les articles 5, 6, 7, 8 et 9, où un expert décidera de la nécessité ou non, de la pertinence ou non de l'injonction thérapeutique. Après quoi, cette décision - car il s'agit bien, en fin de compte, d'une décision - de l'expert s'imposera au magistrat, qui ne pourra faire autrement que d'y donner suite, sauf à fournir d'amples explications.

Ainsi, la règle, c'est désormais que l'expert détermine la position du juge, qui n'a aucune liberté d'appréciation vis-à-vis de l'expert.

Voici l'analyse qu'en font certains magistrats : « Les psychiatres relèvent d'une déontologie médicale et ont besoin d'instaurer une relation de confiance avec leurs patients. Les instituer auxiliaires de justice pour prévenir la récidive apparaît non seulement contraire à l'éthique médicale mais contre-productif. »

Je conclurai en citant cette autre déclaration d'un magistrat : « Avec ce nouveau texte, dès lors que l'expertise sera en faveur du soin, le tribunal devra prononcer l'injonction de soins. » Madame le garde des sceaux, je vous interroge très précisément sur ce mot « devra », car je veux en comprendre la signification.

Le texte que vous nous proposez vise donc à confier aux experts un pouvoir quasi juridictionnel. Le pouvoir d'appréciation du juge est une nouvelle fois remis en cause, au détriment du principe d'individualisation de la peine. Cette soumission de la décision juridictionnelle à l'appréciation de l'expert apparaît contraire au principe de la séparation des pouvoirs.

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