Intervention de Jean-Pierre Sueur

Réunion du 5 juillet 2007 à 21h45
Récidive des majeurs et des mineurs — Article 5

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur :

J'ai posé dans mon intervention sur l'article 5 la question de principe à laquelle je l'espère, madame la ministre, vous répondrez.

J'en viens maintenant aux questions pratiques.

Depuis l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 1998, qui a instauré le suivi judiciaire avec injonction de soins, aucun bilan n'a été dressé pour évaluer le fonctionnement de cette mesure. Pourtant, son champ d'application n'a cessé d'être étendu, notamment par la loi du 12 décembre 2005.

Or les constats sont alarmants.

L'injonction de soins suppose d'abord de recruter des médecins coordonnateurs, chargés de faire l'interface entre le juge de l'application des peines et le médecin traitant du condamné.

Le rôle du médecin coordonnateur a été défini de manière très générale par un décret du 18 mai 2000, aux termes duquel le médecin coordonnateur oriente le condamné vers un traitement adapté. Il rend compte au juge de toutes les difficultés, comme l'interruption de traitement.

Cependant, les juridictions ont le plus grand mal à recruter ces médecins coordonnateurs, ne serait-ce que parce que le milieu psychiatrique se désertifie : de nombreux postes sont vacants, non seulement dans les hôpitaux, mais également, c'est clair, dans les prisons. De plus, la rémunération de ces médecins, qui n'a pas été revalorisée depuis 2001, est peu attractive.

Ainsi, dans de nombreuses juridictions, le suivi socio-judiciaire avec injonction de soins ne peut pas être mis en place. Telle est la réalité d'aujourd'hui, mes chers collègues ! C'est pourquoi il serait sage de ne pas adopter les articles 5 et suivants.

Quant à la situation des médecins traitants, elle n'est pas meilleure.

En effet, peu de psychiatres travaillant dans le secteur privé acceptent de prendre en charge des condamnés, et le secteur public est débordé.

En détention, la situation est encore plus inquiétante. Dans de nombreux établissements, il n'y a pas de psychiatre ; il y a tout juste un psychologue, voire simplement un infirmier.

J'en viens à l'expertise psychiatrique, qui occupe une place considérable dans le dispositif.

La situation est tout aussi alarmante. En effet, les cours d'appel ont de plus en plus de difficultés à recruter des experts psychiatres. Dans certaines zones, l'expert psychiatre désigné est bien souvent le psychiatre de l'hôpital général du secteur et n'a donc aucune compétence particulière pour analyser le passage à l'acte délinquant, notamment en matière sexuelle, et déterminer la dangerosité et le risque de récidive.

Si l'on confie à ces médecins une responsabilité d'expertise déterminante, il est à craindre qu'ils ne soient tentés de conclure systématiquement à la nécessité du soin, ce qui induira nécessairement une décision similaire du juge.

Madame le garde des sceaux, à ce stade du débat, je veux souligner que vous proposez d'adopter en urgence, c'est-à-dire dans les huit ou quinze jours, un projet de loi visant à modifier profondément les dispositions actuelles relatives à l'injonction de soins puisqu'une expertise médicale déterminera la position du juge, le psychiatre intervenant par la suite. Or il n'y a pas suffisamment d'experts ni de psychiatres, tant s'en faut !

Dès lors, pourquoi voter dans l'urgence un projet de loi tendant à modifier le dispositif existant, alors même que nous n'avons pas les moyens de mettre celui-ci en oeuvre dans de nombreuses juridictions ? Il eût tout de même été préférable de se préoccuper des moyens avant de changer un dispositif qui, dans de nombreuses juridictions, ne peut être appliqué, précisément faute des moyens nécessaires.

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