Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la France et la Guinée ont signé à Conakry, le 10 juillet 2007, un accord sur la promotion et la protection réciproques des investissements.
Il s’agit d’un accord type, conçu pour pallier l’absence de système multilatéral de protection des investissements en dehors de la zone de l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE. Notre pays a signé de tels accords avec plus de quatre-vingt-dix pays et, récemment, avec une quinzaine d’États africains.
La commission des affaires étrangères souscrit bien évidemment à l’objectif de protection des intérêts de nos investisseurs à l’étranger, singulièrement en Guinée, pays dont le potentiel économique est considérable.
Elle s’interroge cependant, madame la secrétaire d’État, sur le signal que ne manquerait pas d’envoyer la ratification par la France de cet accord aux autorités de fait actuellement au pouvoir à Conakry.
Je rappelle qu’à la suite du décès du président Lansana Conté, le 22 décembre 2008, au pouvoir pendant vingt-quatre ans, le pays a connu un coup d’État militaire, certes, sans effusion de sang ni beaucoup de nostalgie de la part des Guinéens pour le régime précédent, mais sans que se dessine non plus, pour le moment, une transition démocratique rapide.
La Guinée dispose d’un potentiel économique indéniable, du fait des richesses de son sol et de son sous-sol. Ses différentes ressources en font une puissance agricole, un exportateur de minerai, potentiellement, l’un des pays les plus riches d’Afrique.
Cette richesse potentielle contraste pourtant avec l’état calamiteux du pays, résultat de décennies de gestion désastreuse sur fond de violences sociales. Croissance faible, forte inflation, assèchement des réserves de change, dépréciation de la monnaie, dette publique totalement insoutenable : tous les indicateurs sont au rouge.
Cette situation s’est traduite par un mécontentement social croissant, emmené par les forces syndicales du pays.
Au cours des dernières années, la Guinée a été paralysée à plusieurs reprises par des grèves et des manifestations. La répression particulièrement brutale des hommes de troupe, qui constituaient l’assise du régime, a fait plus de 200 morts au début de l’année 2007.
La gravité de la situation a conduit le président Conté, le 26 février 2007, à nommer un premier ministre dit « de consensus », M. Lansana Kouyaté.
C’est à la suite de cette nomination que l’accord aujourd’hui soumis à l’examen du Sénat a été signé. Il avait alors pour objet de conforter le gouvernement de consensus en affirmant la confiance de la France dans le processus engagé et sa disponibilité à envoyer un signal positif aux investisseurs.
M. Kouyaté n’a pas été en mesure d’imposer son autorité, ni de répondre aux attentes concrètes de la population. Limogé le 20 mars 2008, il n’a pas permis la nécessaire transition démocratique dans le pays, bien qu’ayant réussi à restaurer la confiance des bailleurs.
Le 22 décembre dernier, la mort du président Lansana Conté, qui aurait dû se traduire par l’intérim du président de l’Assemblée nationale, a été suivie par la prise du pouvoir du capitaine Dadis Camara. Ce dernier s’est autoproclamé président de la République, a nommé un premier ministre et un gouvernement au sein duquel les militaires tiennent les postes clés. Le mouvement dont il a pris la tête s’appelle le Conseil national pour la démocratie et le développement, le CNDD.
Sous la pression de la communauté internationale, le pouvoir a pris un certain nombre d’engagements, parmi lesquels l’organisation d’élections dans le courant de l’année 2009.
Trois mois après le coup d’État, la situation est très incertaine. Les signaux envoyés par le nouveau pouvoir ne semblent pas très encourageants, même s’il est encore trop tôt pour se prononcer.
Compte tenu de cette situation, la commission s’interroge sur le signal que ne manquera pas de donner la ratification de cet accord par la France au pouvoir en place à Conakry. Dans le contexte dans lequel il a été signé, il constituait un soutien politique à un premier ministre de transition. Le contexte n’est plus le même aujourd’hui.
Madame la secrétaire d’État, si le sort de la Guinée préoccupe notre commission, c’est que l’évolution de l’Afrique de l’Ouest, fragilisée par les conflits successifs du Liberia, de la Sierra Leone, de la Côte d’Ivoire, nous paraît mériter une attention particulière. Les événements récents de Guinée-Bissau en attestent.
Aussi, tout en suggérant au Sénat d’adopter ce projet de loi, la commission demande au Gouvernement d’en retarder la notification aux autorités guinéennes jusqu’à ce que des garanties suffisantes aient été obtenues quant au retour à l’ordre constitutionnel dans ce pays.