Intervention de Odette Terrade

Réunion du 7 avril 2009 à 15h00
Développement et modernisation des services touristiques — Discussion d'un projet de loi texte de la commission

Photo de Odette TerradeOdette Terrade :

C’est même tout l’inverse ! Nous nous attacherons à vous en faire la démonstration, mes chers collègues, à travers deux dispositions particulièrement discutables : en premier lieu, la réforme du statut des agences de voyage, au titre Ier, qui ouvre la porte à une libéralisation effrénée de cette activité mais comporte peu de garanties pour les consommateurs, et n’en prévoit absolument aucune pour les salariés ; en second lieu, la création, à l’article 6, de la nouvelle Agence de développement touristique de la France, dans la droite ligne de la logique destructrice de la révision générale des politiques publiques, la RGPP. Dans un troisième temps, nous examinerons les dispositions, réduites à la portion congrue, relatives au secteur du tourisme social, et les nouvelles tentatives de fragilisation de l’Agence nationale pour les chèques-vacances, l’ANCV, acteur de premier plan du droit aux vacances pour tous.

Le titre Ier entérine, pour les agences et tous les autres opérateurs de voyage, la transposition en droit français de la fameuse directive « relative aux services dans le marché intérieur », dite « directive Bolkestein », que nous avons toujours dénoncée.

Cette transposition est surtout inquiétante pour les salariés du secteur qui, à cause de cette directive et du règlement sur le droit des sociétés européennes, se verront opposer le droit du pays d’origine, c’est-à-dire le « moins-disant social », alors même que, dans notre pays, les conditions de travail et de formation sont à améliorer dans l’hôtellerie, la restauration, ou pour les travailleurs saisonniers, qui contribuent largement au succès des « vacances en France ».

Pour conserver sa place dans le classement mondial des destinations touristiques dans une période où, de toute évidence, les effets de la crise économique et financière se font déjà sentir en matière de tourisme d’affaires et de loisirs, notre pays n’a-t-il pas besoin de davantage de politiques publiques dans le secteur du tourisme, des politiques qui ont favorisé, depuis plus de trente ans, sa renommée et son dynamisme ?

Le tourisme, malgré une diminution régulière de ses résultats au cours des dix dernières années, contribue à hauteur de 6, 2 % à la création de la richesse nationale, et pour 12, 8 milliards d’euros à l’excédent de la balance des paiements, dont il reste le premier poste. Ce succès, qui ne s’explique pas uniquement par la richesse et la diversité de nos territoires, est le résultat de politiques publiques ambitieuses, qui ont porté leurs fruits et conduit au développement d’infrastructures et de services adaptés à différentes formes de consommation touristique, qu’elles soient nationales ou internationales, liées à des contraintes professionnelles ou aux loisirs.

Ces politiques publiques qui ont donc porté leurs fruits sont pourtant, comme dans d’autres secteurs de la vie de notre pays, directement remises en cause par de trop nombreuses dispositions de ce projet de loi.

En effet, sous le prétexte d’une modernisation des services touristiques, le texte soumis à notre assemblée opère un choix radical : celui de la création, à l’article 6, d’un nouvel organisme de promotion du tourisme, que vous avez vous-même présenté, monsieur le secrétaire d’État, comme « la colonne vertébrale du projet de loi ». Cet organisme se verrait confier des missions qui doivent demeurer, de notre point de vue, des missions de l’État !

La création de l’Agence de développement touristique de la France, qui deviendrait l’opérateur unique de la politique touristique nationale, est la conséquence, pour ce secteur clé de notre économie, de la logique destructrice de la RGPP, véritable « marque de fabrique » de votre gouvernement. Plutôt que par « révision » et au lieu de réforme, le « R » de la RGPP pourrait se traduire par « réduction » !

Comme notre collègue Michelle Demessine le rappelait, en octobre 2005, lors de l’examen du texte qui est devenu la loi portant diverses dispositions relatives au tourisme, « le secteur du tourisme a besoin d’un ministère et d’outils qui soient en mesure à la fois de promouvoir ce secteur d’activité primordiale pour notre pays et d’accompagner les acteurs du tourisme ».

La mise en place de l’Agence de développement touristique de la France signera en quelque sorte « l’arrêt de mort » de la Direction du tourisme et de ses services déconcentrés dans les régions et les départements, puisque sont confiées à cette agence les missions administratives et régaliennes de l’État, ainsi que celles qui étaient jusqu’à présent dévolues, en complément de la Direction du tourisme, à l’outil de promotion extérieure « Maison de la France » et à l’organisme d’ingénierie ODIT France.

Vous-même reconnaissiez, monsieur le secrétaire d’État, devant notre commission, le 17 mars dernier, que « la disparition de la Direction du tourisme par intégration à la Direction générale de la compétitivité pourrait amoindrir le rôle de l’État en tant qu’interlocuteur des professionnels ». Mais vous nous assuriez immédiatement que « la nouvelle Agence serait puissante ».

Or, depuis le 1er janvier 2009, la Direction du tourisme a déjà « disparu » au sein de la toute nouvelle Direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services, rattachée au ministère de l’économie, de l’industrie et de l’emploi.

Les conclusions de la RGPP sont, là encore, mises en avant pour justifier la création de ce groupement d’intérêt public qui mêle sans vergogne l’intérêt général et des intérêts privés : « La mise en place d’un opérateur unique du tourisme en France permet de bénéficier de gains de synergie ». Cette affirmation péremptoire ne saurait nous satisfaire, ni justifier qu’un secteur qui, en 2007, comptait 230 000 entreprises employant 840 000 salariés soit entièrement régi par une structure qui, selon les termes même du projet de loi, « concourt à la mise en œuvre des politiques publiques en faveur du tourisme ». Car c’est bien le rôle de l’État qui est à nouveau mis sur la sellette !

La création de l’Agence de développement touristique de la France n’apporte aucun embryon de réponse en matière de dynamique d’aménagement et d’équilibre des territoires, si importante pour de nombreuses régions de notre pays, et dont beaucoup de nos collègues font état lors de nos débats ou des questions au Gouvernement.

De même, les problématiques environnementales ne seront pas portées par l’Agence, alors qu’elles sont de plus en plus prégnantes pour l’ensemble des acteurs, publics et privés, individuels et collectifs, et que la responsabilité vis-à-vis des générations futures fait l’objet d’un consensus de plus en plus large.

Comme l’occasion était trop belle de ne pas poursuivre dans cette logique de « libéralisation outrancière », la nouvelle agence aurait comme tâches complémentaires l’élaboration et l’actualisation du tableau de classement hôtelier, ainsi que la tenue du registre d’immatriculation des opérateurs de voyage.

Il est indéniable que les travaux de la commission des affaires économiques, saisie au fond, et notamment ceux de Mme le rapporteur ont considérablement éclairé et enrichi les dispositions de l’article 6. Cependant, la logique générale de l’offre demeure l’axe central de cette nouvelle disposition. Les interrogations et les craintes concernant les moyens humains et matériels qui seront accordés à l’Agence de développement touristique de la France sont trop préoccupantes pour que des réponses précises et circonstanciées ne soient pas apportées dès à présent.

Il est évident, à titre d’exemple, que l’immatriculation et la radiation des opérateurs de voyage est une tâche complexe, qui ne saurait être suffisamment financée par le paiement des frais d’enregistrement. Et lorsque Mme le rapporteur s’interroge sur la pertinence des tâches confiées à l’Agence, nous répondons que c’est à l’État et à ses services de conserver les missions d’intérêt général.

En outre, les dispositions du projet de loi qui concernent directement le tourisme social sont, à nos yeux, largement insuffisantes.

La réforme de la procédure du classement hôtelier, présentée comme l’une des mesures phares du texte, correspond certes aux préoccupations des professionnels. Selon l’INSEE, cependant, sur les 15 000 établissements d’hôtellerie que compte notre pays, l’hébergement en catégories une ou deux étoiles est en recul. On comprendra donc que la réforme concerne principalement les catégories les plus élevées du classement, c’est-à-dire les hôtels destinés à la clientèle fortunée, d’affaires ou étrangère, pour laquelle il serait devenu urgent de créer la catégorie « Palace » !

Quant aux véritables acteurs des « vacances pour tous » – je veux parler des villages de vacances, des maisons de vacances dépendant des collectivités territoriales, des comités d’entreprise ou des organismes sociaux, des lieux qui accueillent personnes âgées et handicapées, familles et jeunes –, il ne leur restera bientôt plus que leurs yeux pour pleurer...

Le programme de consolidation de l’équipement du tourisme social, financé sur le budget de l’État, est en effet stoppé depuis 2005 et les 10 millions d’euros du fonds de concours pour 2007 n’ont pas permis, contrairement à ce que vous annonciez, monsieur le secrétaire d’État, de régler les derniers engagements financiers. Et alors que les concours publics se tarissent, le Gouvernement annonce une étude, un rapport, une « enquête d’évaluation des mutations en cours et des adaptations nécessaires dans le secteur du tourisme social et associatif ».

Ce besoin de financement ne trouve pourtant aucune place dans le projet de loi. L’Agence nationale pour les chèques-vacances, dont vous disiez hier qu’elle devait rester un acteur central des politiques publiques d’aides au départ en vacances et d’aides « à la pierre » pour les établissements et les structures que nous venons d’évoquer, se voit au contraire, au nom du sacro-saint principe de concurrence, fragilisée dans ses missions et mise en rivalité sur le plan commercial avec des opérateurs privés, …

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion