Intervention de Yvon Collin

Réunion du 12 janvier 2011 à 14h30
Débat sur l'édiction des mesures réglementaires d'application des lois

Photo de Yvon CollinYvon Collin :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, si le groupe du RDSE a souhaité que le Sénat débatte aujourd’hui de l’édiction des mesures réglementaires d’application des lois, c’est qu’il nous est apparu qu’il existait un vrai décalage entre, à la fois, l’objectif de rééquilibrage des institutions en faveur du Parlement, la mise en application par le Gouvernement de la volonté exprimée par nos deux assemblées au travers du vote de la loi et, enfin, l’impératif d’amélioration de la qualité de la loi.

Soyons clairs : le droit ne peut être efficace et compris par nos concitoyens que s’il est correctement produit et mis en application. Or tel n’est assurément pas le cas aujourd’hui.

L’actualité toute récente nous fournit un exemple probant. Le Conseil d’État a transmis le 30 décembre dernier au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’application de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance. La haute juridiction administrative a estimé dans son arrêt de transmission que, l’article 27 de cette loi créant un fonds national de financement destiné à compenser les charges nouvelles des départements selon des critères fixés par décret, dans la mesure où un tel décret n’avait jamais été pris par le Gouvernement, il existait un doute sérieux quant à la constitutionnalité de l’article en question.

Tout est dit : la carence du pouvoir réglementaire, qu’elle soit politique ou non, alimente l’insécurité juridique et finit par porter atteinte à la protection de l’intérêt général.

Mes chers collègues, l’office des législateurs que nous incarnons est d’abord et avant tout de voter la loi, c’est-à-dire une norme générale et impersonnelle fixant, selon les termes de l’article 34 de la Constitution, des « règles » et des « principes ».

Toujours selon la logique de nos institutions, il revient ensuite au pouvoir réglementaire de fixer les modalités d’application des lois par l’édiction de normes réglementaires. Ce dernier pouvoir est une compétence du Premier ministre, à laquelle celui-ci associe par leur contreseing les ministres chargés de l’exécution de ses actes.

Il ressort de cette architecture institutionnelle que la volonté du législateur, expression de la volonté générale de la nation, est dépendante de la bonne exécution des lois par le pouvoir réglementaire, qui est constitutionnellement chargé de cette mission.

Or ce bel ordonnancement n’est que théorique. Notre assemblée met en œuvre, depuis maintenant près de quarante ans, un contrôle de la mise en application des lois. Le dernier rapport paru sur ce sujet en décembre dernier montre à quel point l’exécution des lois souffre de retards, voire de carences qui altèrent parfois gravement l’application concrète de la volonté du Parlement.

À cet égard, les chiffres ne font pas honneur à la célérité qui devrait pourtant mobiliser le Gouvernement ; je sais que vous en êtes convaincu, monsieur le ministre.

Ainsi, sur les 1 605 lois promulguées depuis 1981, 243 – soit près de 15 % – sont toujours en attente d’une mesure réglementaire. La plus ancienne loi remonte à 1984 ! Pis, 26 de ces textes, dont le plus ancien date de 1997, n’ont encore reçu aucune des mesures réglementaires requises. Ne faisant pas mentir cette tendance, il apparaissait au 31 décembre 2009 que seules 71 % des mesures réglementaires prévues depuis le début de la législature avaient été publiées.

S’agissant de la session 2009-2010, close le 30 septembre dernier, le Parlement avait définitivement voté 59 lois, dont 35 prévoyant un suivi réglementaire, soit près de 670 mesures d’application nécessaires. Seules 3 de ces 35 lois avaient reçu l’intégralité de leurs mesures réglementaires d’application, 19 étaient partiellement applicables et 13 étaient totalement inapplicables, soit pratiquement une loi sur quatre.

Monsieur le ministre, je concède que, parmi ces lois, figurent des textes qui avaient été votés durant la session extraordinaire et je vous en donne acte, mais il n’en demeure pas moins que ce taux d’inexécution n’est pas acceptable et qu’il illustre à l’évidence le décalage frappant entre le rythme de travail imposé au Parlement – il n’est pas prêt de s’atténuer, si j’ai bien compris – et le suivi assuré par le Gouvernement.

Un chiffre illustre d’ailleurs particulièrement ce propos : seules 12, 5 % des mesures d’application des lois votées selon la procédure accélérée ont été publiées, contre 21 % en 2008-2009. En d’autres termes, monsieur le ministre, plus votre Gouvernement demande la procédure accélérée, moins il arrive à suivre le rythme qu’il impose, ce qui, vous le concéderez, n’est guère à son honneur.

De telles statistiques, que nous devons au remarquable travail de recension des commissions permanentes du Sénat, démontrent que la façon dont notre République produit ses normes n’est pas bonne et doit être changée.

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