Le risque juridique est pourtant patent puisque le Conseil d’État a sanctionné, dès 1962, le refus d’édicter des règlements d’application et considère, depuis 1964, que ce refus est fautif et engage la responsabilité administrative. Il a même jugé, en 2000, que « l’exercice du pouvoir réglementaire comporte, non seulement le droit, mais aussi l’obligation de prendre dans un délai raisonnable les mesures qu’implique nécessairement l’application de la loi, hors le cas où le respect des engagements internationaux de la France y ferait obstacle ».
La solution doit donc d’abord être politique et volontaire. La plus évidente à nos yeux – nous ne sommes pas les seuls à la formuler – consisterait par conséquent à ce que le Gouvernement s’astreigne à transmettre dès le dépôt d’un projet de loi les projets de décrets correspondants, à l’image des études d’impact désormais obligatoirement annexées aux projets de loi et qui imposent, en principe, une argumentation plus serrée et une meilleure justification des dispositions proposées.
C’est une telle initiative qu’avait prise, en 1990, Michel Rocard, alors Premier ministre, lorsqu’il imposa à ses ministres de préparer, avant même la présentation en conseil des ministres des projets de loi, les décrets d’application ainsi que les grandes lignes du calendrier de leur publication.
Cette solution, qui nous paraît tellement évidente, existe déjà en réalité. L’article 67 de la loi du 9 décembre 2004 de simplification du droit fait ainsi obligation au Gouvernement de publier des rapports sur la mise en application de chaque loi six mois après l’entrée en vigueur de celle-ci. Monsieur le ministre, qu’en est-il aujourd’hui de ces rapports ?
Je rappelle également que la circulaire du Premier ministre du 29 février 2008 impose une obligation de résultat aux ministres quant à la mise en application des lois. Est ainsi demandé à chaque ministre de créer au sein de son administration une structure chargée de coordonner le travail de mise en application des lois, d’améliorer le travail de coordination interministérielle, de fixer des échéanciers transmis au Parlement et d’édicter, dans les six mois suivant la publication d’une loi, l’ensemble des mesures d’application nécessaires.
Or, si le Gouvernement a bien pris soin de transmettre depuis 2008 les échéanciers de publication des textes réglementaires, seules 79 % des mesures réglementaires adoptées en 2009 et 2010 ont été publiées dans un délai de six mois, au lieu de 82 % en 2008 et 2009. Il pourrait donc être envisagé que le Gouvernement informe dans les meilleurs délais les commissions compétentes du Parlement des motifs de retard de publication.
Force est de constater, monsieur le ministre, que votre gouvernement a encore une lourde tâche à accomplir pour parvenir à une meilleure organisation de son travail et pour mieux informer le Parlement.
Il doit également échoir aux assemblées parlementaires de mieux déployer les moyens dont elles disposent pour accomplir leur mission de contrôle politique et informel de l’action du Gouvernement, rénovée depuis 2008.
C’est déjà ce que fait en partie l’Assemblée nationale : les députés qui rapportent un projet de loi sont également chargés d’assurer le contrôle de son exécution par la publication d’un rapport. Sans doute le Sénat pourrait-il s’inspirer de cette pratique, qui contribue à une meilleure information de tous, parlementaires comme grand public.
L’adoption de la proposition de loi du président Accoyer qui renforce les moyens du Parlement en matière de contrôle de l’action du Gouvernement nous aidera aussi certainement.
Mais, au-delà de ce contrôle informel et politique, se pose la question du contrôle juridique dans la mesure où, comme je viens de le dire, la responsabilité administrative de l’État peut être engagée.
Si le retard excessif d’édiction d’une mesure réglementaire peut être invoqué par toute personne y ayant intérêt, il est regrettable, selon nous, que les parlementaires ne puissent ès qualités introduire un tel recours. Or l’inaction du pouvoir réglementaire, qui peut être tout à fait volontaire, revient à priver d’effet la volonté du Parlement souverain, qui exprime, je le rappelle, la volonté générale.
La jurisprudence administrative ne reconnaît pas l’intérêt à agir d’un parlementaire sur le seul fondement de sa qualité d’élu, quand bien même il contesterait l’inaction fautive du Premier ministre, ou encore le non-respect de la volonté du Parlement.