Intervention de Jean-Pierre Sueur

Réunion du 12 janvier 2011 à 14h30
Débat sur l'édiction des mesures réglementaires d'application des lois

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux tout d’abord remercier Yvon Collin d’avoir suscité ce débat et lui dire combien j’approuve l’initiative particulièrement pertinente qu’il a annoncée.

Monsieur le ministre, je suis sûr, vous connaissant, que vous avez lu le rapport sur le « Contrôle de la mise en application des lois au 30 septembre 2010 » avec une grande attention. Je tiens d’ailleurs à rendre hommage à l’ensemble des administrateurs du Sénat qui ont accompli ce travail très précis, qui a dû demander beaucoup de temps. La meilleure façon de leur rendre hommage, au demeurant, est de faire bon usage de ce rapport.

Monsieur le ministre, il ne vous a pas échappé que la situation n’est pas bonne.

« D’une année parlementaire à l’autre, lit-on à la page 27, le taux de publication au 30 septembre des mesures réglementaires prescrites s’est nettement dégradé, pour atteindre 20, 1 % en 2009-2010 », alors qu’il était de 27 % en 2008-2009.

Il y a déjà là quelque chose de profondément anormal, mais je voudrais, monsieur le ministre, insister sur une autre anomalie.

Cet excellent rapport montre que, si l’on se concentre sur les lois pour lesquelles le Gouvernement a demandé le recours à la procédure accélérée, le taux de publication des textes réglementaires est encore plus faible et a considérablement chuté entre les deux années parlementaires que je viens de citer.

En effet, monsieur le ministre, si j’exclus de ces lois celles qui, en vertu de la Constitution, donnent automatiquement lieu à la procédure accélérée, c'est-à-dire les lois de finances et de financement de la sécurité sociale, j’observe que le taux de publication des textes réglementaires est de 12, 5 % pour l’année 2009-2010.

Il s’agit d’un véritable dévoiement de la procédure accélérée.

Le Gouvernement nous explique que, sur les questions urgentes, il faut aller vite et qu’il suffit d’une lecture dans chaque assemblée avant la réunion de la commission mixte paritaire. Mais, monsieur le ministre, si c’est aussi urgent que cela, comment se fait-il qu’à peine 12, 5 % des textes réglementaires soient publiés ? S’il y a tellement urgence, on peut imaginer que, au moment où il nous présente le projet de loi considéré, le Gouvernement a dans sa poche les textes réglementaires y afférents, ou au moins que, s’ils ne sont pas prêts, il s’attachera à les mettre définitivement au point et à les faire paraître dès que la loi sera promulguée. Or, ce n’est pas le cas !

Il faut en conclure que la procédure accélérée, qui devrait de toute façon être une exception, devient une procédure de facilité, sans rapport avec l’urgence du sujet, sauf dans quelques cas.

Je me permettrai d’évoquer ici, une nouvelle fois, un exemple qui me tient particulièrement à cœur.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat a adopté en décembre 2004 une disposition relative à un médicament dont on a beaucoup parlé – d’ailleurs, on parle beaucoup de médicaments en ce moment ! –, le Distilbène.

Les femmes enceintes qui se sont vu prescrire du Distilbène ont connu des problèmes ; en particulier, leurs filles ont des grossesses difficiles. Après un débat, le Sénat a décidé à l’unanimité que ces femmes dont la mère avait été traitée au Distilbène, une fois qu’elles seraient elles-mêmes enceintes, devaient bénéficier d’un congé de maternité spécifique. Le Sénat a été suivi en cela par l’Assemblée nationale, qui s’est également prononcée à l’unanimité.

Or, entre le jour où la loi a été promulguée et celui où le deuxième des deux décrets nécessaires a été publié, il s’est passé exactement cinq ans, six mois et quatorze jours ! Rendez-vous compte, monsieur le ministre !

J’ai en ma possession des lettres de nombreuses femmes qui s’interrogent à peu près en ces termes : « Mais enfin, c’est la loi ! Or je ne peux pas en bénéficier. Pourquoi ? ».

J’ai fait une déclaration devant le congrès de l’association Réseau DES France, qui regroupe les femmes victimes du diéthylstilbestrol, autrement dit le Distilbène. Je tiens d’ailleurs à rendre hommage à ces femmes qui ont mené un combat exemplaire et courageux devant les juridictions.

Comment comprendre que, pendant cinq ans, des femmes qui devaient bénéficier de ce congé spécifique n’en aient pas bénéficié ? C’est injustifiable !

Je peux vous citer d’innombrables interventions, vous montrer toutes les questions écrites et orales qui ont été adressées au ministère ainsi que les réponses toutes faites qui y ont été systématiquement apportées : on explique doctement qu’il faut une concertation, qu’il faut prendre le problème dans son ensemble, consulter ceux-ci et ceux-là. C’est à ne pas croire !

Je suis intervenu auprès de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, lors de l’examen de la loi « Hôpital, patients, santé et territoires ». Elle s’est indignée de cette situation, effectivement révoltante et insupportable, et s’est engagée à régler ce problème, mais cela a encore pris des mois.

Mes chers collègues, cet exemple montre que, au-delà des éléments statistiques sur les retards pris dans la publication des décrets, voire sur leur non-publication, il peut y avoir aussi des réalités humaines, des conséquences très directes et parfois très préjudiciables pour certains et certaines de nos concitoyens !

On peut émettre tous les vœux possibles – c’est la saison ! –, concernant le Gouvernement et le Parlement, lequel fait d’ailleurs son travail – et nous veillons à ce qu’il en soit ainsi –, à travers les diverses procédures de questions et la publication de nombreux rapports. Cependant, monsieur le ministre, on ne s’en sortira pas s’il n’existe pas de mesure plus coercitive !

À cet égard, il convient de travailler dans deux directions.

La première solution consiste à emprunter la voie qu’offre le Conseil d’État. En effet, celui-ci peut condamner le Gouvernement pour non-application de la loi. Je souhaite que de telles procédures se multiplient parce que c’est un moyen d’obtenir satisfaction. Je suis d’ailleurs totalement favorable à votre suggestion, monsieur Collin.

Je me suis en effet déjà trouvé devant le Conseil d’État, les sénateurs de mon groupe ayant déposé un recours au sujet du texte d’une ordonnance. Cette ordonnance n’avait pas donné lieu à ratification et restait donc un document à caractère administratif. Le Conseil d’État a beaucoup tergiversé avant de déclarer finalement qu’il n’était pas nécessaire de statuer sur la recevabilité ou la non-recevabilité de la demande de parlementaires.

C’est pourquoi, cher collègue Yvon Collin, votre proposition d’une mesure législative établissant l’intérêt à agir des parlementaires me semble très positive. C’est une question de bon sens : qui peut nier que les parlementaires sont particulièrement fondés à intervenir auprès du Conseil d’État pour non-application de la loi qu’ils ont votée ?

La seconde solution concerne ce qui relève du Gouvernement.

Une proposition de loi constitutionnelle a été déposée en mai 2006, qui tendait à modifier l’article 34 de la Constitution. Ne faudrait-il pas s’engager dans cette direction, et cela en envisageant deux voies ?

D’abord, ne serait-il pas possible que la Constitution ou la loi organique prévoie que, dès lors qu’un texte d’application n’est pas paru au bout de deux ou trois ans la loi ou la disposition législative devient caduque ? Cela demande sans doute réflexion, notamment sur le plan juridique, mais il y aurait bien là un moyen de coercition.

Par ailleurs, M. Collin et M Gélard ont évoqué une autre proposition, et j’aimerais connaître votre avis à son sujet, monsieur le ministre. Il s’agit de reprendre une initiative de Michel Rocard, qui avait demandé que l’on publie, en même temps que le projet de loi, les projets de texte réglementaire. Cela permettrait d’éclairer le débat parlementaire et tout serait transparent.

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