Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, année après année, il est toujours navrant de constater les retards accumulés par le Gouvernement dans l’édiction des mesures réglementaires d’application des lois.
Il faut, bien sûr, reconnaître que des progrès notables ont été réalisés. À la fin de la session 2002-2003, près de 45 % des lois votées n’étaient pas applicables. Ce taux a été ramené en moyenne à environ 25 % ces dernières années. Il y a un progrès, certes, mais le résultat reste toujours très insuffisant au regard des enjeux que recouvre cette question.
Les lois que nous votons entrent en vigueur dès leur promulgation par le Président de la République. Fruit de la délibération des représentants de la souveraineté nationale, la loi incarne la volonté générale, dans l’esprit de ce que concevaient déjà les révolutionnaires de 1789.
À cet égard, le pouvoir réglementaire ne doit qu’appliquer les grandes lignes fixées par le législateur, en fixant les modalités d’application de la loi et en réglant les détails qui ne sont pas, en principe, du domaine de la loi.
Malheureusement, ce schéma ne fonctionne que sur le papier. Cela a été dit, au 30 septembre dernier, seules 135 mesures réglementaires sur les 670 prévues par les lois votées durant la session 2009-2010 avaient été publiées, soit un taux dramatiquement bas de 20 %, contre 27 %, à pareille date, pour les lois adoptées lors de la session précédente.
Les causes de ces retards récurrents sont multiples, mais elles sont loin d’être insurmontables. L’augmentation du nombre de lois votées chaque année est bien sûr une. Elle contribue à alourdir la tâche du Parlement, obligé de légiférer dans la précipitation, et de l’administration, confrontée à un suivi réglementaire plus dense.
Dans son rapport pour 2007, le Conseil d’État évoquait, parmi les sources de cette inflation, l’adoption de dispositions dont l’utilité et la pertinence sont douteuses ou encore la tendance à adopter des textes d’un niveau supérieur à celui qui résulte de la hiérarchie des normes, comme la loi du 9 mars 2010 visant à rendre obligatoire l’installation de détecteurs de fumée dans tous les lieux d’habitation, qui relève clairement du domaine réglementaire.
Les « malfaçons » législatives existent, c’est certain, mais encore faut-il considérer les conditions souvent difficiles dans lesquelles les projets de loi sont discutés et votés. Or, sur ce point précis, le partage de l’ordre du jour entre chaque assemblée et le Gouvernement est loin d’avoir résolu le problème. Le Gouvernement continue à nous soumettre, dans le cadre de la procédure accélérée, des projets de loi rédigés à la hâte, en réponse à des faits divers, et qui ne visent qu’à tirer parti de l’émotion de l’opinion publique, en flattant certains penchants et en sacrifiant à la démagogie.
Même en la matière, votre gouvernement, monsieur le ministre, ne va pas au bout de sa logique. Ainsi la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, texte emblématique de la lutte contre l’insécurité, thème cher au Président de la République, n’a-t-elle pas encore reçu tous ses décrets d’application.
Il en est de même de la loi du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile, ou encore de la loi Raffarin du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales.
Il serait pourtant utile que le Gouvernement s’applique à lui-même, pour publier les décrets d’application, le zèle qu’il exige de nous pour voter ses textes dans la précipitation !
Je voudrais également évoquer les difficultés que rencontrent les fonctionnaires des services centraux à s’adapter au rythme effréné de la production législative. Si les projets de décret à rédiger sont de plus en plus nombreux, les agents publics chargés de ce travail le sont, quant à eux, de moins en moins, grâce aux miracles de la RGPP et aux effets du dogme du non-remplacement du départ à la retraite d’un fonctionnaire sur deux.
Il est certain que la réduction des effectifs ne contribuera ni à améliorer le travail des fonctionnaires chargés du suivi réglementaire ni à réduire le délai moyen de promulgation des décrets. Or le travail de résorption des décrets en attente sur des textes antérieurs paraît considérable.
Pour preuve : aux 135 mesures publiées en 2009-2010, s’ajoutent les 452 mesures réglementaires prises en 2009-2010 pour appliquer des lois antérieurement promulguées, dont 71 pour des textes de plus de deux ans !
Plus largement, l’accumulation des retards dans la publication des décrets d’application n’est pas acceptable, tant du point de vue du Parlement que de celui de nos concitoyens.
Ces retards portent atteinte à la volonté du Parlement en ce qu’ils privent d’effet les lois qu’il a votées, suscitant l’incompréhension légitime de nos concitoyens, à qui il nous faut expliquer qu’une loi votée et promulguée est en réalité inapplicable. Ils contribuent donc, de fait, à alimenter une insécurité juridique d’autant plus perturbante que l’instabilité normative vient encore complexifier la lecture et la compréhension du droit positif.
Des solutions existent pour remédier à ce mal ; M. Yvon Collin les a déjà évoquées.
Sans doute nous revient-il également, à nous parlementaires, de mieux nous saisir des outils dont nous disposons pour mieux contrôler l’exécution des lois et développer sur ce point des solutions constructives.
Monsieur le ministre, nous attendons néanmoins aujourd’hui que le Gouvernement nous éclaire sur les raisons de ces retards que, au nom de l’intérêt général, nous ne pouvons tolérer et qu’il nous expose les moyens qu’il compte mettre en œuvre pour engager des méthodes de travail respectueuses de la volonté du Parlement.