Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est vrai que le Gouvernement s’est préoccupé du problème de la publication des décrets d’application des lois et qu’il s’est même fixé un délai de six mois en la matière.
Toutefois, comme tous les orateurs l’ont souligné, chiffres à l’appui, la situation ne s’est pas améliorée, contrairement à ce que l’on entend dire parfois. Si le phénomène est très ancien – nous ne pouvons l’imputer au gouvernement actuel ni à celui qui l’a précédé –, il n’est pas en voie de résorption et s’est même accentué entre les années parlementaires 2008-2009 et 2009-2010.
Le nombre des mesures réglementaires prévues par les lois votées est également révélateur, et tout à fait préoccupant. Dès lors que 35 des 59 lois votées en 2009-2010 appelaient 670 mesures réglementaires, on peut du reste s’interroger sur les définitions respectives de la loi et du règlement et sur la frontière entre ces deux catégories de textes.
De même, chacun peut constater qu’une dégradation s’est produite entre 2008-2009 et 2009-2010. Sur dix-huit lois requérant un suivi réglementaire et votées avant le 31 mars 2010, seules trois ont été appliquées en totalité dans les six mois suivants, en dépit des déclarations du Gouvernement et des objectifs qu’il avait affichés. Hélas, il n’existe aucune perspective d’amélioration de la situation.
Les procédures accélérées concernaient la moitié des projets de loi en 2008-2009, contre un tiers en 2009-2010, sans compter celles qui sont de droit. Elles sont censées marquer les priorités du Gouvernement et requièrent, elles aussi, de nombreuses mesures réglementaires. C’est d'ailleurs logique : pour aller vite, il faut, en fait, dessaisir le Parlement des questions qui peuvent retarder le vote de la loi et laisser le Gouvernement prendre – ou non, selon ses intentions – les nombreux décrets nécessaires. La procédure accélérée ne règle donc pas le problème, bien au contraire.
En ce qui concerne la remise de rapports par le Gouvernement, qui semble manifester une certaine bonne volonté, l’évaluation est quasi inexistante. Les auteurs des deux rapports disponibles sur la question évoquent un « bilan positif mais perfectible ». Perfectible, c’est évident ; positif, j’en doute fort !
Devant une situation aussi désastreuse, quelques propositions sont avancées.
Premièrement, les décrets pourraient accompagner le dépôt des projets de loi. L’idée n’est pas nouvelle, cela vient d’être dit. Nous pouvons certes y réfléchir, mais sa mise en œuvre suppose tout de même que l’administration travaille deux fois sur les décrets, sauf à considérer que le texte des projets de loi est voté exactement comme le souhaite le Gouvernement, ce qui pose tout de même problème au regard de la liberté du Parlement.
Deuxièmement, les moyens nécessaires devraient être accordés à l’administration. Toutefois, cette proposition se heurte à la RGPP…
Troisièmement, des échéanciers prévisionnels seraient mis en place. J’y suis favorable, à condition qu’il y ait un contrôle.
Quatrièmement, une information serait apportée sur les motifs de retard.
Franchement, tout cela relève du bricolage ! Les raisons du problème sont ailleurs, je le souligne après d’autres.
En fait, la loi, normalement destinée à établir des règles durables, cohérentes et lisibles, est depuis longtemps détournée de son objet.
Comme le note la CNCDH, la Commission nationale consultative des droits de l’homme, dans un avis sur l’élaboration des lois du 15 avril dernier, on assiste à « une prolifération de textes législatifs relevant davantage de l’opportunité politique que du travail législatif réfléchi ». Certains de nos collègues ont eu souvent l’occasion de le souligner.
En outre, depuis 2002, une inflation législative sans fin est à l’œuvre : les lois se succèdent, s’empilent, parfois se contredisent. La loi est instrumentalisée pour afficher de prétendues réponses de l’exécutif à une opinion publique elle-même manipulée par le biais des médias, avant, pendant et après l’examen des textes.
Nous avons examiné plus de vingt lois pénales qui bouleversent le droit et la procédure en la matière... Et ce n’est pas fini, si j’en crois les prévisions qui sont faites.
Dans ces conditions, le droit est de plus en plus complexe et instable, de moins en moins intelligible, ce qui pose problème non seulement pour la démocratie, dans les rapports entre le Parlement et l’exécutif, mais aussi au regard du principe de l’égalité des citoyens devant la loi, que chacun est censé connaître précisément. Enfin, tous ceux qui sont chargés d’appliquer le droit rencontrent des difficultés.
Comme le soulignait récemment le procureur général près la Cour de cassation, M. Nadal, « le propre de la justice est de fixer les repères qui nous viennent de la loi, pour donner force et contenu au pacte social d’une société moderne et démocratique ». Mais encore faut-il que la loi donne des repères et soit suffisamment pérenne ! Or, précisément, tel n’est plus le cas, nous semble-t-il.
Quant aux lois dites de « simplification », elles ne font souvent que complexifier le droit ou servent à régler des problèmes qui ne devraient pas être abordés au travers de tels textes. La dernière en date de ces lois le montre bien !