Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’introduirai mon propos en évoquant de façon générale la mise en application des lois.
En effet, j’ai pris connaissance – sans grande surprise, malheureusement, comme vous tous, mes chers collègues – du rapport relatif au contrôle de la mise en application des lois, dont le constat me semble tout à fait affligeant, décevant et presque incompréhensible.
En effet, sur cinquante-neuf lois promulguées au cours de l’année parlementaire 2009-2010, trente-cinq prescrivaient un suivi réglementaire – vingt-quatre étaient d’application directe –, au travers de 670 mesures. Il est donc navrant de constater que seules 135 dispositions réglementaires d’application ont été publiées durant l’année écoulée, soit 20 % du total, contre 27% en 2008-2009.
Le rapport s’efforce de justifier ce taux extrêmement faible de mesures d’application prises par « le fort volume de suivi requis, tardivement, par des lois votées pendant les sessions extraordinaires de juillet et septembre ».
Cependant, si ces lois prévoyaient en effet à elles seules 319 mesures réglementaires, ces dernières ne représentaient que 47, 6 % du total des dispositions d’application attendues pour l’ensemble de l’année.
Dès lors, je me demande ce qui justifie l’absence de mesures réglementaires prises pour plus de la moitié de nos lois adoptées avant juillet 2009. J’ai envie de répondre que c’est tout simplement, l’inertie du Gouvernement…
Monsieur le ministre, permettez-moi de vous le dire, nous avons là la preuve irréfutable que votre politique est avant tout d’affichage et qu’elle nous entraîne dans une inflation législative sans fin. Le Gouvernement devrait plutôt chercher à être efficace, au service du peuple et non d’une stratégie électorale.
Qu’est-il advenu des décrets et arrêtés qui devaient être pris en application de ces lois ?
Le problème ne vient pas du manque d’initiative du Sénat qui, comme le souligne à juste titre le rapport, a eu recours à diverses modalités pour contrôler les conditions de mise en application des lois. Au travers de nos questions au Gouvernement, de nos débats organisés sur différents thèmes ou des rapports publiés par les commissions, nous n’avons eu de cesse d’alerter le Gouvernement sur cette carence de mesures réglementaires et de mise en application des lois.
L’Assemblée nationale, elle aussi, a exercé son influence pour « stimuler » le suivi réglementaire.
Par ailleurs, l’article 67 de la loi du 9 décembre 2004 de simplification du droit fait obligation au Gouvernement de publier des rapports sur la mise en application de chaque loi, six mois après son entrée en vigueur.
Or, dans l’annexe n° 5 du rapport sur le contrôle de la mise en application des lois, qui est relative à cette question, on trouve la liste du petit nombre de rapports communiqués au titre de l’année parlementaire 2009-2010 dans le délai imparti au Gouvernement. Y est en outre signalée la durée anormalement longue – jusqu’à trente-trois mois ! – de publication des rapports, concernant notamment les années précédentes.
Le Parlement a pourtant incité les ministres à faire preuve d’une « diligence accrue », ainsi que le souligne le rapport sur le contrôle de la mise en application des lois, et chaque commission y veille dans son champ de compétence.
Pourtant, s’agissant de l’année 2009-2010, sur les trente-cinq lois appelant des mesures réglementaires d’application, seules trois ont été mises en application, tous les textes réglementaires prévus étant parus. Dix-neuf lois ont partiellement été mises en application ; « partiellement » signifie qu’au moins un texte réglementaire a été pris en vue de l’application de ces lois ; or cela paraît bien souvent insuffisant pour garantir l’effectivité de ces lois, dans l’attente d’autres mesures réglementaires.
Pourquoi donc légiférer si les lois votées ne sont pas appliquées ?
Au titre de ces lois partiellement mises en application, je tiens à évoquer aujourd’hui la fameuse loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, tant attendue, que ce soit par l’administration pénitentiaire, par les personnes détenues et leurs familles ou par le monde judiciaire et les associations qui y travaillent.
Cette loi visait à « constituer un cadre de référence global pour le service public pénitentiaire » et à se conformer aux règles pénitentiaires européennes, comme le veut la réglementation en vigueur.
Or la version promulguée de la loi, telle qu’elle est issue de la commission mixte paritaire, s’est finalement avérée très insatisfaisante !
Je me permets de rappeler que les sénatrices et sénateurs Verts, de même que le groupe socialiste dans son ensemble et la majorité du groupe RDSE, se sont abstenus lors du vote sur ce texte, car il nous semblait que nous nous devions d’aller beaucoup plus loin.
Certaines pratiques méritaient, en effet, d’être mieux encadrées, sinon carrément bannies. C’est le cas des fouilles intégrales et des investigations corporelles : je suis convaincue que rien ne peut justifier, dans un État de droit, de telles atteintes à la dignité des personnes détenues, et je réitère à ce sujet ce que j’avais déjà dit ici même à l’époque où nous débattions de ce texte.
Nous regrettions également le maintien des régimes différenciés, dont la consécration législative nous faisait craindre qu’ils ne soient utilisés par l’administration pénitentiaire comme un outil de gestion de la détention, comme une peine ou une menace hors du champ légal, les personnes détenues se trouvant ainsi soumises à l’arbitraire administratif.
J’admets cependant que le volet relatif aux droits des détenus était, pour le reste, globalement satisfaisant. De nombreuses dispositions, adoptées notamment sur mon initiative, constituaient une réelle avancée en ce domaine.
Mais qu’advient-il de ces avancées compte tenu de l’application aujourd'hui partielle, en fait quasi inexistante, de cette loi ?
La page 21 du rapport sur le contrôle de la mise en application dresse le tableau de l’état de mise en application des lois promulguées durant l’année 2009-2010. La loi pénitentiaire prévoyait dix-neuf mesures, hors rapport, et deux seulement ont été prises. Dix-sept mesures réglementaires restent donc toujours en attente !
La commission des lois l’a d’ailleurs rappelé le mardi 9 décembre dernier. M. le président Jean-Jacques Hyest nous indiquait que « la loi pénitentiaire, quoiqu’elle ait été examinée en procédure accélérée, reste très partiellement applicable ».
La plupart des mesures réglementaires prévues par la loi pénitentiaire, voire leur quasi-totalité, n’ont en effet pas encore été prises par le Gouvernement.
Nous attendons encore le transfert de compétences aux régions, à titre expérimental, en matière de formation. Il en va de même de la composition et des modalités de fonctionnement du conseil d’évaluation de l’établissement pénitentiaire. La situation est identique pour l’évaluation du taux de récidive par les établissements pour peines par un observatoire indépendant.
S’agissant de la participation des collectivités territoriales et des associations aux instances d’évaluation et de suivi en matière pénitentiaire, le décret est également en attente.
Le code de déontologie du service public pénitentiaire n’a pas encore, lui non plus, vu le jour.
Pour les conditions d’aptitude des volontaires qui constituent la réserve civile pénitentiaire, pour la condition d’obtention pour un réserviste exerçant des fonctions salariées de l’accord de son employeur, comme pour les conditions d’indemnisation des réservistes et l’aide en nature pour les détenus les plus démunis, les décrets sont en attente.
En ce qui concerne l’article 717-3 du code de procédure pénale, qui vise les règles relatives à la répartition des produits du travail des détenus et à la rémunération minimale du travail, là encore, le décret est en attente.
S’agissant de la liste des correspondances échangées entre les personnes détenues et leur défenseur, les autorités administratives et judiciaires françaises et internationales, qui ne peuvent être ni contrôlées ni retenues, le décret est aussi toujours en attente.
Il en est de même concernant les modalités d’application du chapitre relatif aux droits des détenus ainsi que les procédures simplifiées d’aménagement des peines.
Ainsi, vous le voyez, dans de très nombreux domaines, nous restons en attente des textes d’application.
En revanche, un décret non prévu par la loi, relatif à l’assignation à résidence avec surveillance électronique et à la protection des victimes au sein du couple, a été pris le 3 avril 2010…
Bref, cette loi pénitentiaire est donc devenue inacceptable parce que quasiment inapplicable en l’état actuel !
J’insisterai sur deux absences importantes et particulièrement regrettables de mesures réglementaires unanimement réclamées aujourd’hui : celles qui sont relatives aux droits des détenus – notamment en ce qui concerne le rapprochement familial – et celle qui a trait au règlement intérieur des établissements pénitentiaires, un décret étant censé établir un « règlement type ».
Outre le fait qu’elle place la France en contradiction avec les règles pénitentiaires européennes, la non-application de la loi pénitentiaire conduit à des conflits importants, notamment au blocage des établissements par les fonctionnaires de l’administration pénitentiaire. Car leurs conditions de travail sont toujours aussi difficiles !
Quant aux personnes incarcérées, dont les droits ne sont pas respectés, elles sont de plus en plus victimes de cette non-application de la loi, ...