Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, M. Bruno Sido, premier vice-président de l’OPECST, retenu par d’autres obligations de l’Office, ne peut être présent aujourd'hui, c’est pourquoi je m’exprimerai en tant que vice-présidente de cette instance.
Il faut se féliciter d’avoir adopté une réforme constitutionnelle autorisant régulièrement des débats comme celui que nous avons aujourd’hui. Cela permet à l’Office de mettre en avant les implications scientifiques des problèmes de société. Il l’a fait à l’occasion d’un débat sur les nanotechnologies, puis d’un débat sur les dangers présumés des lignes à haute et très haute tension sur la santé.
Aujourd’hui, il s’agit de faire le point sur l’état de la recherche concernant un fléau social qui progresse lentement mais de façon inéluctable : l’obésité.
En 2009, l’Office avait organisé une audition publique sur l’état de la recherche dans ce domaine, avec l’intention non seulement de faire le point sur l’état de l’art mais aussi d’étudier la façon dont les avancées de la recherche française, très prometteuse en la matière, se diffusent dans le corps social et plus précisément vers l’ensemble des acteurs de la santé.
À la suite de cette audition publique, il a été décidé de me confier une étude dont je vous présente aujourd’hui les conclusions. Celles-ci reposent sur un travail d’investigation assez complet puisque 234 personnes ont été auditionnées.
Le nombre de propositions, neuf au total, est volontairement réduit pour rester réaliste, mais il est suffisant pour offrir un plan de lutte contre l’obésité cohérent, reposant sur deux axes : la prévention de l’essor de cette maladie et l’organisation de l’effort de recherche sur l’obésité. Je précise que l’organisation des soins avait été volontairement exclue du champ de l’étude.
Le rapport a d’abord considéré les politiques de prévention de l’obésité.
En effet, puisque l’on ne connaît pas de traitement totalement efficace lorsque l’obésité est installée, il est de toute première importance de la prévenir.
Hélas, jusqu’à présent, les politiques de prévention se sont révélées décevantes. Ce relatif échec s’explique en partie par la difficulté d’élucider les causes de l’obésité, qui sont nombreuses et variables en fonction des individus. Il provient également de la mise en place de politiques résultant plus de la confrontation d’intérêts contradictoires que de résultats scientifiques validés par des expérimentations de terrain. Je me suis donc efforcée, dans mon étude, de rassembler les données scientifiques à prendre en compte pour mener une politique de prévention qui soit la plus efficace possible.
Je vous présenterai brièvement quatre séries de mesures qui me paraissent indispensables pour réaliser une politique de prévention efficace.
Première observation : le gradient socioculturel de l’obésité est très fort, particulièrement pour les femmes et pour les enfants. La catégorie socioprofessionnelle, le niveau de revenu et le niveau d’éducation sont trois déterminants majeurs de l’obésité. Agir sur ces trois points constituerait un levier puissant de prévention.
Ma deuxième conclusion concernant les politiques de prévention consiste à privilégier les mesures modifiant l’environnement.
En effet, de nombreuses études scientifiques ont montré l’insuffisance des politiques visant à modifier les comportements individuels, et ce en raison de l’influence prépondérante des environnements matériels, sociaux et culturels.
Une politique de prévention efficace doit donc s’accompagner d’interventions visant à promouvoir un environnement qui facilite l’adoption sans effort de comportements reconnus favorables à la santé.
Concrètement, je suis pour la suppression de la publicité télévisée sur les produits alimentaires transformés avant, pendant et après les programmes « jeunesse » et sur les chaînes destinées à la jeunesse.
J’estime aussi nécessaire de supprimer l’exonération de la taxe sur la publicité pour les produits alimentaires manufacturés et les boissons avec ajout de sucres.
Ma troisième proposition vise à élaborer un plan de prévention reposant sur cinq piliers : premièrement, une gouvernance interministérielle susceptible de disposer d’un pouvoir d’impulsion et de décision, avec des moyens financiers et humains adaptés aux missions qui lui seront confiées ; deuxièmement, un comité scientifique visant à recenser les acquis scientifiques à prendre en compte dans l’élaboration d’un plan global de lutte contre l’obésité et à en assurer la transmission aux acteurs du système de santé ; troisièmement, des messages de prévention concourant à l’élaboration de normes sociales favorables à la santé et influençant les systèmes de représentation ; quatrièmement, des actions locales en direction des populations à risque ; cinquièmement, enfin, une évaluation systématique et régulière de toutes les mesures prises.
Ma quatrième proposition insiste sur la nécessité de développer la prévention précoce.
De nombreuses études montrent que le développement de l’obésité chez le jeune adulte est influencé par des expositions prénatales, périnatales et pendant la petite enfance, indépendamment de son hygiène ultérieure de vie. Par conséquent, il est indispensable de mettre en place une prévention de l’obésité dès la grossesse, afin de repérer très tôt les éventuelles situations à risque et d’instaurer une vigilance accrue pendant les premières années de la vie.
Ainsi que je l’ai dit précédemment, si un plan de lutte contre l’obésité doit reposer d’abord sur la prévention, il convient également d’intensifier l’effort de recherche sur les causes de l’obésité.
Comme je l’ai constaté au cours de mes investigations, la recherche française sur l’obésité, qui est de grande qualité, privilégie les aspects fondamentaux, notamment moléculaires et génétiques. De même, un accent particulier est mis sur l’analyse physiologique des pathologies liées à l’obésité telles que le diabète de type 2, l’hypertension, la stéatose hépatique, l’insulinorésistance, l’hyperlipidémie, etc.
D’une manière générale, les aspects comportementaux, sociaux, économiques et environnementaux ainsi que ceux qui sont liés aux neurosciences et au marketing sont beaucoup moins soutenus financièrement. Or la recherche dans ces domaines est indispensable pour développer de nouveaux outils d’étude pour la compréhension des comportements et du métabolisme, ainsi que pour déterminer des stratégies plus efficaces. Les études translationnelles doivent également être encouragées afin de mieux comprendre les facteurs de prédisposition aux complications de l’obésité et de mettre au point des biomarqueurs précoces de la transition vers l’état pathologique.
Telles sont les principales conclusions de mon rapport sur lesquelles j’aimerais connaître votre sentiment, madame la ministre, mes chers collègues.
Parallèlement à cette étude, le 21 mai 2010, le Président de la République lançait, à l’occasion des journées européennes de l’obésité, un plan sur trois ans visant à enrayer la progression de cette maladie. Quelque 140 millions d’euros devaient être consacrés à ce plan, dont le pilote désigné n’est autre que le professeur Arnaud Basdevant, chef du service de nutrition à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière et l’un des plus grands spécialistes de l’obésité au niveau national et international.
La lettre de mission du professeur Arnaud Basdevant présentait trois axes d’action.
Le premier axe portait sur la recherche : afin d’animer et d’intensifier l’effort de recherche, il était prévu, à l’instar de ce qui avait été fait pour le plan Alzheimer, de créer une fondation de coopération scientifique associant l’Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé, l’AVIESAN, à des partenaires publics et privés.
Le deuxième axe concernait la prévention : il visait à faciliter l’application des recommandations existantes en améliorant l’alimentation scolaire, la restauration collective et la restauration solidaire, et en développant l’activité physique pour la santé à l’école.
Le troisième et dernier axe avait trait à la prise en charge et insistait sur la nécessité de développer une prise en charge de qualité sur tout le territoire, y compris outre-mer, en apportant également une attention particulière aux populations fragiles.
Le lancement de ce plan présidentiel prenait acte du fait que la France est loin d’être épargnée par la progression de l’obésité. La prévalence de l’obésité chez les adultes augmente de 5, 9 % par an en France. Selon la dernière étude nationale nutrition santé, réalisée en 2006, 16, 9 % de la population adulte est obèse et 3, 5 % des enfants sont obèses, soit quatre fois plus qu’en 1960.
Cette évolution est inquiétante non seulement parce que les adultes obèses sont de plus en plus nombreux, mais aussi parce que les individus deviennent obèses de plus en plus jeunes, souvent au stade de l’enfance.
Pourtant, si la mise en place d’une politique cohérente de lutte contre l’obésité est très fortement attendue, les espoirs suscités par le plan présidentiel sont pour l’instant déçus. En effet, qu’est devenu le plan présidentiel lancé il y a un an ? Jusqu’à présent, aucune information n’a filtré, ce qui n’est pas forcément bon signe.
Par ailleurs, de nombreuses interrogations demeurent sur la mise en œuvre des vingt-trois mesures retenues puisque, dans la pratique, le plan obésité ne dispose pas d’un pilote clairement identifié, ayant un réel pouvoir de décision. Ainsi, les mesures de prévention sont dispersées au sein de trois plans, à savoir le programme national pour l’alimentation, dirigé par le ministère de l’agriculture, le programme national nutrition santé, orchestré par le ministère de la santé, et le plan obésité, de nature interministérielle. Comment seront articulées les mesures de prévention entre ces trois plans ?
En outre, il semblerait qu’un volet important du plan obésité soit dans l’impasse, à savoir la création d’une fondation de coopération scientifique associant l’AVIESAN à des partenaires publics et privés. Or seule la création d’une telle fondation permettrait de dégager des moyens financiers suffisants pour lancer un programme de recherche sur l’obésité à la hauteur de l’enjeu que représente cette maladie.
En conclusion, je rappelle que si certaines mesures ne peuvent être prises que dans le cadre d’un plan d’ensemble de lutte contre l’obésité, d’autres pourraient être adoptées dès maintenant dans la mesure où les faits sont scientifiquement avérés.
Pour illustrer mes propos, permettez-moi de vous donner deux exemples.
J’ai déjà rappelé la nécessité de limiter la publicité alimentaire en direction des enfants. J’évoquerai aussi la communication trompeuse sur la possibilité de perdre rapidement beaucoup de poids grâce à certaines formes de régimes amaigrissants ou à l’absorption de préparations à base d’herbes ou de médicaments. Cette offre n’est pas assez réglementée.
Vous l’aurez compris, madame la ministre, la question de l’obésité me tient particulièrement à cœur, et ce depuis des décennies, comme en atteste mon engagement dans le projet Fleurbaix-Laventie, ville santé – j’ai été maire de Fleurbaix –, lancé en 1992 et qui est à l’origine du programme Ensemble prévenons l’obésité des enfants, le programme EPODE.
Par conséquent, je me réjouis que l’Office ait proposé d’inscrire à l’ordre du jour du Sénat un débat sur l’état de la recherche en matière d’obésité. J’espère que ce débat contribuera à sensibiliser l’ensemble des parlementaires sur l’importance de cette question et qu’il permettra d’accélérer la mise en œuvre du plan obésité voulu par le Président de la République et de donner à ce plan tous les moyens humains et financiers nécessaires à sa réussite.