Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat que nous avons aujourd'hui sur l'orientation que le Gouvernement veut donner à la politique budgétaire de la France en 2006 a lieu dans le contexte d'une croissance économique qui continue à être faible et d'une situation des finances publiques qui ne cesse de se dégrader depuis maintenant trois ans.
Devant le défi que constitue une telle situation, le Gouvernement a choisi de poursuivre ce qu'il est convenu d'appeler « une politique de rigueur » et que nous appelons plutôt « une politique d'austérité ».
La croissance économique de notre pays continue d'afficher une faiblesse inquiétante. Si la croissance avait été faible en 2003, la consommation avait résisté et avait même, vraisemblablement, empêché une récession. Mais cette résistance de la consommation s'est montrée aussi fragile qu'aléatoire et le ralentissement de la croissance s'est, hélas ! confirmé en 2005.
Or la loi de finances pour 2005 avait été fondée sur un taux prévisionnel de croissance de 2, 5 %, lui-même établi avec l'hypothèse d'un prix du baril de pétrole inférieur à 37 dollars. Mais le renchérissement du prix du pétrole aidant, il a fallu revoir cette prévision à la baisse et, si le Gouvernement table actuellement sur une fourchette prévisionnelle de croissance de 1, 5 % à 2 % pour 2005, il est à craindre en fin de compte que le taux de croissance ne s'établisse au maximum qu'à 1, 5 %, alors qu'il avait encore été de 2, 1 % en 2004. L'équilibre du budget de 2005 en est sérieusement compromis.
Si la consommation avait été le moteur de la croissance en 2004, cette consommation s'est ralentie en 2005.
En l'absence de gains de pouvoir d'achat substantiels, avec un marché du travail qui reste marqué par un taux de chômage élevé, un essoufflement de la consommation restait toujours à redouter et l'amélioration du pouvoir d'achat en 2005 par rapport à 2004 semble n'avoir été que la conséquence de la modération de l'inflation.
Par ailleurs, la situation des bas salaires nous fait douter d'une relance de la consommation dans notre pays.
Faudrait-il se résigner alors à espérer que les échanges extérieurs « tirent » notre croissance, puisque la croissance mondiale est plus dynamique que la croissance nationale ?
La situation de notre commerce extérieur est mauvaise, du fait de la hausse des cours du pétrole, bien sûr, mais aussi du fait de la faiblesse de la demande interne des partenaires de la zone euro, notamment de l'Allemagne et de l'Italie. Le solde des échanges extérieurs est dans le rouge depuis près d'un an, amputant la croissance, et le déficit qu'ont connu nos échanges extérieurs en 2004 pourrait être encore plus important en 2005 !
Les exportations progressent, certes, mais elles restent à la traîne du commerce mondial, car elles sont encore trop concentrées sur des marchés dont la croissance n'est pas très dynamique : l'Europe absorbe les trois quarts des ventes françaises. De plus, malgré les mesures de soutien, le nombre d'exportateurs a tendance à se réduire depuis quelques années, passant de 104 000 en 2002 à 89 000 en 2004.
De fait, les difficultés de notre commerce extérieur ne sont, hélas ! pas corrigées par la stimulation que l'on pourrait attendre des instances européennes et, en particulier, de la Banque centrale européenne, laquelle devrait être plus attentive à la croissance au lieu d'être, semble-t-il, obsédée par la seule évolution de l'inflation.
En matière d'emploi, 128 000 créations nettes sont prévues pour l'année 2005, concentrées pour l'essentiel sur le second semestre, contre 36 000 en 2004. Mais il faut souligner que cette progression n'est due qu'au plan d'urgence pour l'emploi, c'est-à-dire aux emplois publics aidés. Il y aura, certes, 99 000 créations de postes, mais après la suppression de 88 000 emplois aidés en 2004 ! De toute façon, cette progression de l'emploi est due à ce que nous avons coutume d'appeler le « traitement social » du chômage. Quel hommage rendez-vous à notre volontarisme aussi bien qu'à notre pragmatisme !
Dans le même ordre d'idées, il est assez intéressant d'entendre des parlementaires de la majorité regretter depuis quelque temps que le gouvernement Raffarin ait mis fin aux emplois-jeunes.
Au demeurant, si 332 000 personnes doivent bénéficier d'un contrat aidé à la fin de 2005, c'est à la condition que les nouveaux dispositifs d'aide à l'emploi soient effectivement mis en oeuvre : nous serons vigilants à ce que l'on n'en reste pas à des effets d'annonce !
Enfin, nous regrettons que la mollesse de la croissance ne permette de créer que peu d'emplois dans le secteur marchand en 2005 : 30 000 en 2003 contre 40 000 en 2004.
On peut mesurer la dégradation de l'activité en comparant ces chiffres avec les prévisions annoncées par le Gouvernement au printemps, déjà révisées à la baisse : à ce moment-là encore, 120 000 créations de postes étaient prévues dans le secteur marchand en 2005.
Par ailleurs, ce n'est que grâce à une croissance très modérée de la population active, plus 46 000 personnes, que le taux de chômage devrait se stabiliser autour de 10 % jusqu'à la fin de 2005. Je rappelle qu'il se situait déjà à 9, 8 % en 2004 et qu'il avait augmenté d'un point depuis 2002.
Dans le contexte conjoncturel que je viens d'évoquer, la situation budgétaire française s'est gravement dégradée depuis maintenant trois ans.
Il n'est que de lire le rapport préliminaire présenté par la Cour des comptes sur l'exécution des lois de finances pour 2004 pour comprendre combien étaient justifiées les observations des socialistes ! Et cette situation financière de la France s'est d'autant plus gravement détériorée en 2003, puis en 2004, que l'Etat ne dispose désormais d'aucune marge de manoeuvre !
Le précédent gouvernement - le gouvernement Raffarin - n'a pas profité de l'embellie conjoncturelle de 2004 pour améliorer les finances de l'Etat. Certes, en 2004, le PIB a progressé de 2, 4 % alors que le taux prévu dans la loi de finances initiale était de 1, 7 %. Les ressources budgétaires ont été supérieures aux prévisions de 9, 6 %, soit un surplus de 9, 6 milliards d'euros pour les seules recettes fiscales, et les dépenses ont été stabilisées en volume.
Toutefois, ce résultat n'a été dû qu'à de « multiples ajustements conjoncturels », aux dires même de la Cour des comptes. L'exécution budgétaire n'a été conforme à la loi de finances initiale qu'au prix de gels de crédits, d'une augmentation des reports de crédits et d'un blocage des dépenses militaires en capital.
Il convient de rappeler que, si la situation des finances publiques s'est beaucoup dégradée, c'est, bien sûr, en raison du ralentissement de la croissance, mais c'est aussi, en grande partie, à cause des décisions fiscales et budgétaires prises par le Gouvernement depuis le collectif d'été de 2002.
En menant une politique fiscale non financée, le Gouvernement avait privé l'Etat de recettes. Alors qu'il ne disposait pas de surplus de recettes fiscales par rapport aux prévisions budgétaires, il avait continué, au mépris de toute raison, de réduire l'impôt sur le revenu au risque d'aggraver la situation des finances publiques.
Cette dégradation historique et structurelle des finances publiques a provoqué le gonflement de la dette publique. Depuis 2003, la France respecte difficilement les critères du pacte de stabilité. Or ces réductions d'impôt ont été inefficaces, et ce d'autant plus qu'elles n'ont pas profité à ceux qui en auraient eu le plus besoin et qui, par conséquent, auraient eu le plus de raisons d'accroître leur consommation.
Avec un déficit dépassant 3 % du PIB depuis 2002, atteignant 4, 1 % en 2003 et 3, 6 % en 2004 - vous l'espérez inférieur à 3 % en 2005, mais on peut en douter - et avec une dette publique supérieure à 65 % depuis 2004, les critères de Maastricht ne sont plus respectés.
La France a dû prendre l'engagement, d'une part, de diminuer le déficit public pour le ramener en dessous de 3 % dès 2005 et, d'autre part, de stabiliser les dépenses de l'Etat en volume chaque année, de 2004 à 2007.
Le déficit de l'Etat est passé de 34 milliards d'euros en 2001 à 62 milliards d'euros en 2003, soit près du quart du budget. Alors que le solde primaire avait été positif entre 1999 et 2001, c'est le déficit, fortement négatif à partir de 2003, qui a provoqué la progression considérable de la dette publique que nous connaissons aujourd'hui.
Si l'orientation que le Gouvernement se propose de donner à sa politique budgétaire constitue, malgré tout, une bonne nouvelle, c'est qu'elle représente, à n'en pas douter, le coup d'arrêt à la politique idéologique, clientéliste et irresponsable que le Président de la République a imposé ces dernières années, non seulement à ses divers gouvernements, ce qui ne serait pas grave en soi, mais surtout à notre pays et à notre peuple, ce qui est beaucoup plus grave. En effet, cette politique de cadeaux fiscaux, économiquement inefficace et socialement injuste, a plongé notre pays dans une situation dont nous allons avoir le plus grand mal à nous remettre.
Cette politique a été sanctionnée par les faits, parce que « les faits sont têtus », comme aurait dit Lénine.