« On est foutu, on mange trop ! » C’est par ce refrain qu’un chanteur populaire français dénonçait au début des années quatre-vingt les ravages de la malbouffe et les excès de la consommation alimentaire de masse.
Près de trente années ont passé et l’obésité, toujours croissante au sein des populations occidentales, est devenue un véritable fléau social, du point de vue tant de la santé des personnes concernées que des conséquences financières sur les comptes de la sécurité sociale.
L’obésité, c’est d’abord l’expression du paradoxe de la modernité, qui veut que la quantité alimentaire supplante la qualité des aliments, et ce au détriment de l’équilibre physiologique des consommateurs.
On nous avait promis un monde d’opulence et de satiété, seul apte à donner à l’homme le bonheur individuel auquel il aspire. Nous vivons en fait dans un environnement où les modes de consommation et les codes sociaux créent un besoin illimité d’acquérir et de consommer ad nauseam. Peu importe que le consommateur y perde sa santé, peu importe que la satiété entraîne la frustration, voire l’exclusion sociale.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Le nombre d’obèses a doublé au cours des vingt dernières années dans le monde occidental ; il a même triplé s’agissant des enfants obèses. L’obésité affecte actuellement 10 % de la population adulte en France, soit 6, 5 millions de personnes, la moitié d’entre elles souffrant d’obésité dite « morbide ».
Le coût annuel de la prise en charge de l’obésité par l’assurance maladie serait de 4 milliards d’euros, et même de 10 milliards d’euros en prenant en compte les 40 % de la population en état de surpoids. Que dire de plus, hormis constater l’urgence médico-sociale du phénomène pour les individus concernés et pour la société ?
Je ne reviendrai pas dans le détail sur les conséquences de cette pathologie, qui ont déjà été évoquées par les précédents orateurs.
Nous sommes unanimes. La progression de l’obésité, en particulier chez les jeunes, est un phénomène préoccupant auquel il convient de s’atteler. La progression des régimes l’est tout autant. En effet, les périodes de restrictions alimentaires drastiques sont maintenant dénoncées par le corps médical comme des facteurs aggravants aboutissant à des courbes de poids dites « en yo-yo ». Ces successions de régime installent le surpoids et l’obésité aussi sûrement que l’anarchie alimentaire. Il est donc particulièrement inquiétant de constater que 65 % de la population déclare avoir déjà fait un régime.
Les facteurs concourant à cette situation sont multiples : culturels, économiques, sociaux ou encore médicaux.
Abstraction faite du déterminisme génétique propre à chaque individu, les modes de consommation alimentaire ont une large part de responsabilité. À travers sa banalisation dans le corpus social, l’obésité demeure l’expression la plus visible de l’état de dépression collective dans lequel baignent les sociétés de consommation occidentales ; la société française n’y fait malheureusement pas exception.
Sédentarité, stress, anxiété, pollutions ou publicités agressives sont autant de facteurs déclenchants ou aggravants. Chacun d’entre eux renvoie l’image d’une société où l’individu-roi souffre et meurt de ne manquer de rien et d’avoir besoin de tout.
L’obésité nous interroge sur nos choix sociétaux et notre vision du monde. Elle pourrait incarner le paradoxe qui oppose un Occident riche, prospère mais malade, à d’autres sociétés économiquement pauvres, politiquement instables, où les émeutes de la faim viennent régulièrement nous rappeler que l’Europe et les États-Unis consomment à eux seuls près de 80 % de la richesse mondiale. Malheureusement, la prévalence de l’obésité commence à augmenter, y compris dans les pays les moins riches.
Cette nouvelle tendance nous rappelle la responsabilité des groupes industriels de l’agroalimentaire dans la progression de ce fléau et de leurs méthodes marketing bien rodées, dans un environnement très peu réglementé.
Dès lors, comment inverser la tendance ? Comment faire pour que nos enfants ne soient plus les victimes désignées de nos propres excès ?
La progression des addictions est une question rarement soulevée, mais qui mérite d’être posée, car elle nécessite une réflexion sur deux grandes questions existentielles fondamentales : la recherche du plaisir et la peur de la mort. La frontière entre le plaisir et l’excès, la santé et la maladie, le culturellement acceptable et le médicalement nécessaire est souvent très difficile à trouver, en particulier dans notre pays, où la gastronomie est un patrimoine culturel. Un élément vient compliquer davantage la tâche des personnes en surpoids. C’est une lapalissade mais je le rappelle : pour vivre, il est possible de cesser de fumer, de boire de l’alcool ou encore de se droguer, mais pas d’arrêter de manger !
C’est pour tenter de répondre à ce défi que l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques a dressé un bilan exhaustif et détaillé de l’état de la recherche en matière d’obésité.
Je tiens d’ailleurs à saluer le remarquable travail effectué par notre collègue Brigitte Bout, rapporteur de l’Office, dont les conclusions méritent l’attention particulière de notre assemblée.
Le rapport met en exergue deux types de recherche : en amont, par le biais d’une recherche scientifique et médicale qui traite l’obésité comme toute autre pathologie physiologique ; en aval, par des méthodes préventives susceptibles d’empêcher ou de freiner les comportements à risque et d’améliorer notre environnement quotidien.
Je laisserai le soin à mes collègues médecins de s’attarder davantage sur les nombreux aspects de la recherche médicale.
Concernant la prévention de l’obésité, je pense que l’on ne soulignera jamais assez la nécessité d’appréhender le mal à la racine par l’apprentissage de la modération et de l’équilibre chez nos enfants.
Alors que toutes les enquêtes soulignent l’excès de consommation en sucre, en dépit des efforts de communication réalisés par les pouvoirs publics sur les risques liés au surpoids, les enfants demeurent les cibles privilégiées des marques de produits à forte teneur calorique. C’est pourquoi, depuis plusieurs années, le Parlement a fait preuve d’imagination et d’audace pour tenter d’endiguer cette tendance.
Ce fut notamment le cas lors de l’adoption de la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique interdisant la présence dans tous les établissements scolaires de distributeurs automatiques de boissons et de produits alimentaires payants et accessibles aux élèves.
On pourrait citer aussi la taxe sur les boissons sucrées proposée par notre collègue Alain Vasselle, votée au Sénat lors des débats relatifs à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, mais qui, hélas ! n’a jamais franchi le cap de la commission mixte paritaire de décembre 2007.
Rappelons également qu’un rapport parlementaire de 2008 préconisait une augmentation de la TVA sur les produits de grignotage et de snacking. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Bref, tout le monde s’accorde à penser qu’il est impératif d’éloigner les plus jeunes des tentations d’un marketing d’autant plus offensif et néfaste qu’il ne profite qu’à des entreprises, la plupart du temps multinationales, avant tout soucieuses de gagner des parts de marché.
Une telle action pourrait revêtir plusieurs formes : de l’interdiction de spots télévisuels à certaines heures à la mise en place de nouveaux programmes pédagogiques au sein des établissements scolaires, sous formes d’ateliers gastronomiques éducatifs, par exemple. Le législateur a entre les mains suffisamment d’éléments pour proposer une panoplie complète de mesures clés.
L’obésité ne doit plus être un tabou ni même un sujet de seconde catégorie. Bien au contraire, la combattre doit être un des objectifs prioritaires de santé publique, voire une cause nationale. L’homme politique, homme d’action par nature, est toujours impatient que la science lui offre la connaissance des moyens et des conséquences, mais il sait à l’avance qu’elle ne le délivrera jamais de l’obligation de devoir choisir parce que les cultures sont multiples et les valeurs sociales parfois contradictoires.
Pour toutes ces raisons, il nous appartient, mes chers collègues, de faire le choix de l’efficacité et de la prévention. La prise de conscience de la gravité du fléau qu’est l’obésité est un premier pas. Madame la ministre, nous devons désormais faire en sorte que davantage de moyens soient mobilisés pour développer la recherche dans ce secteur avant que ce mal des temps modernes ne se répande davantage.