Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat d'orientation budgétaire, nul ne l'ignore, doit son existence à la loi organique relative aux lois de finances, dont l'article 48, que je ne puis manquer de citer ici, dispose : « En vue de l'examen et du vote du projet de loi de finances de l'année suivante par le Parlement, le Gouvernement présente, au cours du dernier trimestre de la session ordinaire, un rapport sur l'évolution de l'économie nationale et sur les orientations des finances publiques. »
Or le document destiné à la préparation de ce débat ne nous a été transmis que le... 29 juin dernier. Il était temps !
De surcroît, nous discutons des orientations budgétaires pour 2006 alors même que, la semaine dernière, la presse s'est fait l'écho des lettres de cadrage et des principaux paramètres du projet de la loi de finances à venir.
Le discours de politique générale du Premier ministre en a d'ailleurs fixé le cadre en ces termes :
« La France consacrera à l'emploi un effort supplémentaire de 4, 5 milliards d'euros en 2006.
« Outre les dépenses du plan d'urgence, cet effort inclut la montée en puissance des allégements de charges sociales et des contrats d'avenir. C'est une somme importante, à la hauteur du défi. Elle amène mon Gouvernement, en plein accord avec le Président de la République, à prendre ses responsabilités. Toutes nos marges de manoeuvre budgétaires iront à l'emploi : ce choix commande de faire une pause dans la baisse de l'impôt sur le revenu. »
Il reste que cette politique se plaît à combiner, d'une part, la réduction de l'emploi public - nous en sommes à nous demander si ce sont 5 000 ou 7 500 emplois publics, voire plus, s'il faut en croire M. le rapporteur général et M. le président de la commission des finances, qui seront supprimés l'an prochain ! - et, d'autre part, l'intense développement de la précarité de l'emploi, à travers tout à la fois l'exploitation du prétendu gisement des « emplois de service à la personne », le développement du « contrat nouvelle embauche » et la mise en place des formes les plus intermittentes du salariat dans les très petites entreprises.
Cela n'empêche évidemment pas le Gouvernement de prévoir, comme nous avons eu l'occasion de le constater cette semaine lors de l'examen du projet de loi pour la confiance et la modernisation de l'économie, de nouveaux cadeaux fiscaux pour les plus hauts patrimoines et pour les entreprises, qu'il s'agisse de l'allégement des droits de succession ou des mesures relatives aux mutations et transmissions d'entreprise.
De même, sont illégitimes les mesures relatives à la taxe professionnelle. A cet égard, faute d'une réforme de plus grande ampleur, on semble s'orienter vers un allégement de l'impôt dû par les entreprises par plafonnement à la valeur ajoutée. Baisser la taxe professionnelle sera bon pour l'emploi, dites-vous, monsieur le ministre. Or l'emploi et les salaires ne font précisément plus partie de l'assiette. Comprenne qui pourra !
Le projet de budget pour 2006 prévoit notamment de procéder à la simple reconduction de l'essentiel de la dépense publique telle qu'elle a été constatée cette année et, par conséquent, de poursuivre l'effort prioritaire de réduction des déficits. Or il s'est passé quelque chose au mois de mai dernier, et plus précisément le dimanche 29 ! Ce jour-là, une nouvelle fois, après les élections régionales et cantonales et après le scrutin européen, les habitants de notre pays ont largement condamné la politique menée depuis trois ans par la majorité et ses gouvernements successifs.
Ils l'ont fait en disant massivement « non » au projet de traité constitutionnel européen, texte dont un des fondements était la mise en oeuvre des politiques budgétaires qui sont en débat depuis plusieurs années.
Et pourtant, tout se passe comme si le message des urnes n'avait pas été entendu !
Les Françaises et les Français ont-ils voté pour une nouvelle cure d'austérité budgétaire, fondée sur la stricte application d'un pacte de stabilité européen, composante essentielle de la partie III du traité, qu'ils ont rejetée avec l'ensemble du texte lui-même ?
Ont-ils voté pour la réduction des emplois publics, réduction qui ne pourrait que les pénaliser au regard de ses effets sur la présence des services de l'Etat de proximité dans des secteurs tels que l'éducation, où l'on annonce plus de 2 000 suppressions de postes sous prétexte de diminution des effectifs scolarisés, l'équipement et les administrations fiscales ?
Ont-ils voté pour que l'argent public soit utilisé de manière sans cesse plus importante en vue de financer des emplois précaires, aux perspectives incertaines, ne permettant pas à ceux qui les occupent d'avoir le moindre projet de vie cohérent et digne de ce nom ?
Ont-ils voté pour une nouvelle baisse de l'impôt de solidarité sur la fortune - elle semble se dessiner, même si, pour l'instant, le Gouvernement dit qu'il convient d'attendre -, affectant en particulier l'habitation principale des 300 000 contribuables assujettis à cet impôt, alors même que trois millions de nos concitoyens sont encore à ce jour mal logés ?
Non, de cela, ils ne veulent pas, monsieur le ministre !
Malheureusement, tels sont les choix que vous avez faits, et ce sont ces mêmes choix que vous viendrez défendre cet automne devant la représentation nationale, sans la moindre hésitation, trouvant à chaque mesure telle ou telle justification plus ou moins valable.
Vous ne nous en voudrez pas de penser que les Français attendent autre chose du budget de la nation.
Parce que votre politique n'est que la réplique de qui a été menée ces dernières années, la croissance ne sera pas au rendez-vous. C'est bien dommage pour les Français, et je pense qu'ils sauront en tirer les conséquences.
S'agissant du chômage, vous avez une réponse toute faite, déclinée depuis plusieurs semaines : si l'on ne peut embaucher et créer des emplois dans ce pays, c'est la faute au code du travail ! Le code du travail serait, selon vous, « rigide », « trop protecteur », que sais-je encore ?
Et la croissance, qu'en faites-vous ?
Vous nous aviez promis, lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2005, une croissance de 2, 5 %, chiffre que nous avions d'ailleurs à l'époque jugé irréaliste. Tout porte à croire que l'on devra se contenter, cette année, d'un taux de croissance de 1, 3 % à 1, 5 %.
Dès lors, qui va payer le manque à gagner, sinon, une fois encore, les salariés les plus modestes ?
Cela fait, en effet, plusieurs années que les prévisions de croissance ne sont pas atteintes - nous l'avions constaté, notamment, avec le dérapage de 2003 - et que, en réalité, les comptes publics se dégradent.
D'ailleurs, comment peut-il en être autrement quand vous réduisez drastiquement et aveuglément la dépense publique, quand vous encouragez le maintien et l'extension des bas salaires, bref quand vous agissez au rebours de ce qu'il faudrait faire pour favoriser la croissance par la relance de la consommation populaire ?
Il faut donc clairement changer de cap en cette matière, et la hausse du SMIC du 1er juillet, qui n'est en fait qu'un rattrapage, ne fera pas longtemps illusion !
La réalité, c'est que le pouvoir d'achat des salariés stagne, et c'est, de très loin, la principale motivation de la mobilisation sociale dans les entreprises.
De ce point de vue, l'Etat montre le mauvais exemple en concevant une politique de l'emploi public fondée sur la stagnation de la dépense, qui passerait par la suppression d'emplois et le quasi-gel de la progression du traitement des fonctionnaires.
Il montre encore plus le mauvais exemple en inscrivant strictement son action en matière d'emploi dans la ligne des aspirations et demandes du patronat, comme nous avons pu nous en rendre compte au début de l'année à propos des 35 heures, et encore ces dernières semaines au sujet de la pénibilité du travail ou de l'emploi des personnes âgées de plus de cinquante ans.
Il faut changer de logique, monsieur le ministre !
Nous sommes, pour notre part, partisans d'une utilisation plus rationnelle et plus efficace de l'argent public. J'aurais aimé, pour illustrer mon propos, mentionner certains chiffres, mais le temps nous est malheureusement compté.
Ainsi, on ne peut se satisfaire éternellement de dépenser plus de 20 milliards d'euros afin d'exonérer les entreprises des cotisations sociales normalement dues en raison de la richesse qui s'y crée, grâce au travail des salariés.
Ces sommes sont aujourd'hui largement utilisées pour peser sur les salaires puisque l'exonération accordée est d'autant plus forte que le salaire est faible et proche du SMIC. Aujourd'hui, pour un salarié payé au SMIC net, ce sont plus de 220 euros mensuels, soit plus du quart de la rémunération perçue par le salarié, que l'entreprise reçoit de l'Etat, sous forme de ristourne.
Formidable incitation à maintenir les salaires au niveau le plus bas possible !
Formidable incitation aussi à ne pas reconnaître la réalité des qualifications professionnelles, qui sont méprisées et ne sont donc pas rétribuées à leur juste valeur.
Ce sentiment est largement partagé dans le monde du travail, qu'il s'agisse des salariés du secteur privé ou de ceux du secteur public.
Nous sommes de longue date, vous le savez, partisans d'une autre politique de soutien à l'emploi, s'appuyant notamment sur l'allégement de la contrainte financière qui pèse sur le crédit bancaire aux entreprises, et il nous semble qu'il est temps de cesser de dépenser l'argent public en vue de développer les bas salaires, les emplois de faible qualité, la non-reconnaissance des qualifications, la précarité professionnelle, sans oublier, bien entendu, l'incertitude du lendemain.
Il est également temps de faire le bilan des mesures fiscales prises depuis 2002, notamment dans le domaine de l'emploi.
De ce point de vue, il aurait été bon, monsieur le ministre, puisque ce débat d'orientation budgétaire est l'avant-dernier de la législature, qu'un bilan soit dressé par vos services. M. le rapporteur général, pour sa part, semble préférer la pédagogie.
Les moins-values fiscales, estimées par les uns à 4 milliards d'euros et entre 5 milliards et 10 milliards d'euros par les autres, en particulier par la commission des finances, ne sont rien d'autre que le résultat des décisions prises par le Gouvernement en faveur de la baisse de l'impôt sur le revenu et dont les plus hautes tranches ont tiré profit.
Je tiens à souligner que, pour ce qui nous concerne, nous avons toujours condamné ces baisses d'impôt.
La conjoncture économique montre que, malgré les cadeaux fiscaux multiples et variés dont ont bénéficié les entreprises et les ménages les plus aisés, la croissance est en panne, le chômage représente toujours 10 % de la population active.
En outre, des tensions fortes demeurent dans le domaine du logement. Certains investissements immobiliers ont, certes, été favorisés, mais l'on reste très loin d'une sécurisation du parcours locatif des demandeurs de logement.
Sans doute est-ce une affaire de choix, me direz-vous, monsieur le ministre, mais il reste que rien n'a été résolu ! Bien au contraire, les incitations fiscales accordées aux investisseurs immobiliers sont la preuve, s'il en était besoin, que, cette fois encore, l'argent public a été gaspillé.
Quand la société Gecina, s'engouffrant dans le statut sur mesure nouvellement créé, économise plus de 400 millions d'euros d'impôt sur les sociétés, que fait-elle ? Elle crée, bien évidemment, une tension spéculative sur le marché immobilier de nos grandes villes, et notamment dans la capitale, tension qui frappe sans pitié tant les locataires modestes que bon nombre de personnes issues des classes moyennes et qui se croyaient à l'abri de la férocité du marché.
Voilà comment l'argent public vient au secours du dérèglement du marché et favorise ses travers. !
Nous pourrions faire autrement et autre chose en matière de logement.
Je conclurai en indiquant que, le moment venu, lors de la discussion du projet de la loi de finances pour 2006, nous nous ferons, une nouvelle fois, les porte-parole des aspirations réelles des Françaises et des Français, qui n'ont pas, dans leur très grande majorité, je tiens à le dire, monsieur le ministre, l'impression de « vivre au-dessus de leurs moyens » !
Au mépris affiché pour les légitimes demandes de la population de ce pays, nous opposerons clairement une alternative consistant en une autre utilisation de l'argent public, porteuse de développement économique et social et de croissance, seul moyen, faut-il le rappeler, de réduire durablement les déficits publics, plus sûrement que toutes les politiques de rigueur et d'austérité que le Gouvernement a défendues et qu'il a encore l'intention de mettre en oeuvre.
Ce ne sont là, bien sûr, que quelques éléments, mais qu'il nous paraissait intéressant de rappeler à l'occasion de la discussion de ce débat d'orientation budgétaire.