Intervention de Valérie Pécresse

Réunion du 25 mai 2011 à 14h30
Débat sur l'état de la recherche en matière d'obésité

Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche :

Madame la présidente, madame le rapporteur, chère Brigitte Bout, mesdames, messieurs les sénateurs, avant toute chose, permettez-moi de vous dire que je me réjouis tout particulièrement que l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques ait inscrit à l’ordre du jour de la Haute Assemblée un débat sur l’état de la recherche en matière d’obésité.

Grâce aux travaux approfondis conduits par le rapporteur Brigitte Bout, nous disposons désormais d’une analyse qui, j’en suis certaine, fera référence sur le sujet. La très grande qualité des conclusions que vous avez présentées, madame la sénatrice, offre un excellent point d’appui à nos discussions d’aujourd’hui comme elles ne manqueront pas d’alimenter la réflexion collective tout au long des mois qui viennent.

Vous l’avez-vous-même souligné : l’obésité est un fléau social qui progresse lentement mais de façon inéluctable. Ce sont vos mots, et, naturellement, je partage le constat que vous venez de dresser.

Les chiffres sont suffisamment alarmants pour qu’on les rappelle : l’obésité chez les adultes français augmente de 5, 9 % par an, elle touche désormais plus de 15 % de nos compatriotes et 16 % des enfants sont en surpoids ou obèses, soit quatre fois plus qu’il y a cinquante ans.

Les conséquences sont particulièrement lourdes et préoccupantes, tant sur le plan sanitaire avec la recrudescence des diabètes, des maladies cardiovasculaires ou de certains cancers que sur le plan social et psychologique avec les discriminations et les stigmatisations que l’obésité peut entraîner.

J’ajoute que nos concitoyens ne sont pas égaux devant cette maladie qui frappe beaucoup plus largement et bien plus durement les catégories les plus défavorisées de la population.

Vous l’avez donc très justement dit : l’obésité n’est pas un mal spécifiquement français, mais, contrairement à ce qui a pu longtemps être dit ou écrit, c’est un mal qui a fini par toucher la France, au même titre et dans les mêmes proportions que les autres pays européens.

Pourtant, bien connu en apparence et installé dans les consciences collectives, le développement de cette pathologie reste très mal compris, quant à ses causes, bien sûr, mais aussi quant à la manière de le traiter ou de le prévenir.

La raison de ce paradoxe est simple : jusqu’à aujourd’hui, nous n’avons pas fait de l’obésité un objet d’études à part entière, en tout cas pas au même niveau d’exigence et de rigueur scientifique que nous l’avons fait pour d’autres maladies.

L’obésité est en effet une pathologie que nous peinons encore non seulement à traiter, mais à reconnaître comme telle, car nous nous en faisons trop souvent une représentation sommaire, voire simpliste.

Aux yeux de beaucoup, cette maladie mal comprise apparaît comme le fruit d’un simple déséquilibre : d’un côté, l’abondance alimentaire et, avec elle, la tentation de trop ou de mal manger et, de l’autre, la sédentarité qui accompagne la vie urbaine et la tertiarisation de l’économie, avec, à la clef, l’idée qu’il suffirait d’une discipline individuelle pour rééquilibrer la balance entre apports nutritionnels et dépense calorique.

C’est bien cette vision d’une obésité qui serait tout à la fois un mal social et surtout le signe d’une faiblesse de la volonté propre à l’individu qui triomphe lorsque nous qualifions d’« américanisation » le quasi-doublement de la proportion d’obèses dans la population française en un peu plus de dix ans.

De cette vision simpliste nous devons aujourd’hui nous libérer pour nous donner les moyens de comprendre l’obésité et de prévenir efficacement ses formes pathologiques. Car il n’y a pas une mais des obésités, que nous devons apprendre à distinguer soigneusement, de la même manière qu’il n’y a pas une cause unique, mais des causes multiples de l’apparition de cette pathologie.

Certes, l’obésité est pour une part une maladie sociale, mais c’est aussi une pathologie comportementale, qui met en jeu des prédispositions génétiques et des mécanismes physiologiques. Et toutes les formes d’obésité ne mettent pas en jeu ces différents facteurs de la même manière.

C’est pourquoi l’approche nutritionnelle, aussi essentielle soit-elle, ne peut pas être l’alpha et l’oméga de l’analyse scientifique de l’obésité. Comme toutes les approches d’un phénomène complexe, elle a vocation à se combiner avec toutes les autres pour nous offrir une vision complète et approfondie du surpoids et de l’obésité.

C’est précisément dans cet esprit que le Président de la République a lancé un vaste chantier autour de l’obésité : pour rassembler nos forces de recherche concernées par cette pathologie et nous donner toutes les chances de mieux la comprendre pour demain, mieux la traiter et mieux la prévenir.

Vous m’avez, à plusieurs reprises, interrogée sur l’état d’avancement du plan obésité annoncé il y a un an maintenant par le Président de la République et dont la présidence a été confiée au professeur Arnaud Basdevant.

Permettez-moi d’abord de vous dire que les différents ministères concernés ont défini une stratégie commune et collaborent efficacement depuis plusieurs mois déjà. Dans le cadre du programme national pour l’alimentation piloté par le ministère de l’agriculture et du programme national nutrition santé 3 orchestré, lui, par le ministère de la santé, certains axes du plan obésité bénéficient d’ores et déjà de l’action du Gouvernement : je pense en particulier aux mesures mises en œuvre pour améliorer la qualité de l’offre alimentaire et l’accès à une bonne alimentation. C’est le cas, par exemple, des restaurants universitaires, où mon ministère a mis en place des campagnes de communication, mais aussi des ateliers cuisine en lien avec le Centre régional des œuvres universitaires et scolaires, le CROUS.

Au titre de la seule recherche, le premier temps fort de ce plan obésité fut l’organisation, les 24 et 25 mars dernier, d’un colloque exceptionnel qui a réuni autour du professeur Arnaud Basdevant, dont je tenais à saluer l’excellent travail, des chercheurs et des experts venus de l’ensemble des champs du savoir : de la recherche biomédicale à la génétique et aux neurosciences en passant par les sciences humaines et sociales. C’était la première fois en France qu’une concertation scientifique aussi large était tenue sur une telle pathologie.

De ces heures de réflexion communes est née une vision profondément renouvelée de l’obésité aboutissant à trente propositions d’actions prioritaires qui consacrent ensemble l’importance décisive de la transdisciplinarité.

Car pour comprendre l’évolution des maladies chroniques comme l’obésité, nous devons être capables de prendre en compte l’ensemble des déterminants sociaux et individuels des décisions et des comportements qui ont cours tout au long du développement de la pathologie. Cela est d’autant plus vrai que les facteurs génétiques, physiologiques, environnementaux et comportementaux non seulement s’additionnent mais ne cessent d’interagir entre eux et de former des systèmes qui, pour être mis en lumière, supposent de forger de nouveaux concepts, de nouvelles méthodes et des instruments communs d’analyse.

C’est pourquoi je me réjouis tout particulièrement qu’à l’issue de ce colloque des collaborations fécondes aient vu le jour. Je pense en particulier aux groupes de travail qui ont été mis en place entre les différents instituts de nos deux alliances de recherche thématique dans le domaine de la santé et dans celui des sciences humaines et sociales : l’alliance AVIESAN et l’alliance ATHENA.

Ensemble, nos chercheurs ont d’ores et déjà tracé les contours de programmes scientifiques conjoints, au carrefour de la biologie, de l’imagerie médicale et des sciences humaines et sociales. D’autres projets de recherche verront bientôt le jour, notamment en économie, en sociologie et en psychologie sociale : l’analyse des effets des campagnes d’information de santé publique sur les comportements de consommation en sera l’une des priorités d’études, en lien étroit avec les enjeux de prévention et les différentes propositions que vous avez évoquées tout à l’heure, madame la sénatrice, qu’il s’agisse, par exemple, de la publicité à la télévision ou sur différents médias. Vous avez notamment parlé de la charte du Conseil supérieur de l’audiovisuel. Cette question sera traitée dans le programme national nutrition santé, ce qui permettra de réfléchir à son évolution.

Madame la sénatrice, vous m’avez également interrogée sur l’Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé, l’AVIESAN. Je peux d’ores et déjà vous dire que le deuxième temps fort du plan présidentiel sera la création, avant la fin de l’année, d’une fondation scientifique consacrée entièrement à l’obésité. Portée par l’AVISEAN, elle permettra de coordonner l’ensemble de nos programmes de recherche, comme ceux que j’évoquais à l’instant, et de mettre en œuvre les axes et les priorités stratégiques définis dans le cadre du plan.

En matière de recherche sur l’obésité, la transdisciplinarité doit devenir la règle et c’est pourquoi je compte beaucoup sur ces futurs partenariats au sein de la fondation pour élargir autant que faire se peut le champ des collaborations entre nos différents chercheurs.

Au-delà du plan présidentiel qui permettra de fédérer nos forces de recherche, je souhaite procéder devant vous à un rapide état des lieux de nos programmes de recherche consacrés à l’obésité et des moyens qui leur sont réservés.

Dans le cadre des financements courants prévus par l’Agence nationale de la recherche, l’ANR, de nombreux appels d’offre concernent naturellement l’obésité, que ce soit d’ailleurs au titre du programme « biologie-santé » ou du programme « écosystèmes et développement durable ». Parmi les plus ambitieux, je pense notamment aux appels PNRA – programme national de recherche en alimentation et nutrition humaine – et ALIA – alimentation et industries alimentaires.

J’ajoute que d’autres projets scientifiques et parmi les plus remarquables ont été retenus dans le cadre de la programmation blanche de l’ANR qui finance des projets totalement créatifs conçus par nos chercheurs eux-mêmes.

Au total, ce sont ainsi près de 22 millions d’euros qui, entre 2005 et 2010, sont allés à la recherche sur l’obésité, ce qui place notre pays parmi les premiers contributeurs européens dans ce domaine.

Avec le plan d’investissements d’avenir qui, vous le savez, consacre 22 milliards d’euros à l’enseignement, à la recherche et à l’innovation, des perspectives bien plus vastes encore s’ouvrent désormais à nous. Car une large part de cette somme ira à la recherche médicale, et la première vague d’appels à projets vient de le démontrer : les ambitions de nos chercheurs en matière de lutte contre l’obésité figurent parmi les plus remarquables.

J’en veux pour meilleure preuve le projet d’institut hospitalo-universitaire cardiologie-métabolisme et nutrition, l’IHU ICAN, qui vient de voir le jour : il donnera naissance à un véritable pôle international de recherche et de soins sur les maladies cardiométaboliques comme le diabète, les insuffisances cardiaques et l’obésité. Il sera situé à Paris, à la Pitié-Salpêtrière, et unira les expertises scientifiques et médicales des équipes de l’université Pierre et Marie Curie et de l’hôpital Pitié-Salpêtrière. Cet IHU permettra l’émergence d’un véritable continuum de recherches et de soins : du laboratoire jusqu’au chevet des patients.

Tel qu’il fut présenté par les chercheurs eux-mêmes lors de leur candidature aux investissements d’avenir, l’objectif de l’IHU est de faire basculer la recherche sur l’obésité et les maladies cardiovasculaires dans l’ère de la médecine prédictive et de prendre en charge les patients à l’échelle de leur vie tout entière, depuis l’identification des susceptibilités individuelles jusqu’au traitement des récidives et des complications en passant par la prévention et le diagnostic précoce.

Sur le plan clinique, cela se traduira par des traitements personnalisés, adaptés aux déterminants génétiques, mais aussi psychologiques et sociaux des malades. C’est dire les espoirs immenses que nous fondons aujourd’hui sur ce projet exceptionnel qui sera demain le fleuron de la recherche française en matière d’obésité.

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