Intervention de Françoise Laborde

Réunion du 25 mai 2011 à 14h30
Débat : quelle ambition pour la petite enfance dans notre pays

Photo de Françoise LabordeFrançoise Laborde :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la question qui nous est posée aujourd’hui, à l’initiative du groupe CRC-SPG, est très ouverte : quelle ambition pour la petite enfance dans notre pays ?

Les enjeux soulevés par cette interrogation ont été évoqués à cette tribune par d’autres avant moi, sous des angles différents. Pour ma part, j’ai choisi d’évoquer plus particulièrement la problématique des modes de garde des plus jeunes enfants, qui est au cœur des préoccupations quotidiennes d’un grand nombre de nos concitoyens.

En effet, pouvoir concilier vie privée et vie professionnelle en trouvant un mode de garde pour ses jeunes enfants relève désormais du parcours du combattant pour les familles, tout particulièrement pour les ménages les plus modestes. Comble du paradoxe, ces derniers se voient obligés de faire le choix de sacrifier l’emploi de l’un des deux parents, très fréquemment celui de la femme, pour pouvoir assurer la garde de l’enfant en bas âge.

De fait, il n’y a pas suffisamment de structures d’accueil dans nos campagnes, non plus que dans nos villes, où celles qui existent sont surchargées.

L’une des solutions dont disposent les parents qui travaillent est donc le congé parental. Alors que, dans son principe, il repose sur le libre choix, il est aujourd’hui vécu non seulement comme une contrainte mais, pis, comme une cause de précarisation, « un sas vers l’inactivité alors qu’il devrait n’être qu’une parenthèse », selon Brigitte Grésy.

Madame la secrétaire d’État, dois-je vous rappeler qu’un tiers des bénéficiaires du congé parental s’arrêtent de travailler parce qu’ils ne trouvent pas de mode de garde alternatif ? Le constat est amer : avoir des enfants demeure un frein trop important à la carrière des femmes.

Pourtant, dans son discours du 13 février 2009 sur la politique familiale, le Président de la République s’était engagé, je vous le rappelle, à mener une politique ambitieuse en faveur de la petite enfance. Il annonçait alors la création d’au moins 200 000 offres de garde supplémentaires d’ici à 2012, pour répondre aux besoins de l’ensemble des familles.

Où en sommes-nous aujourd'hui ? D’après le Haut Conseil de la famille, au cours de l’année 2009, 20 000 places d’accueil ont été créées au sein des crèches et 21 200 enfants supplémentaires ont été gardés par une assistante maternelle. Nous sommes donc encore très loin de l’objectif fixé par le Président de la République, alors que 2012, c’est demain !

C’est d’autant plus grave que le besoin réel d’accueil non satisfait est plutôt évalué à 400 000 places. Le compte n’est pas bon !

Dans ce contexte, il est hautement regrettable que l’effort n’ait pas porté davantage sur le développement de l’accueil collectif, qui demeure le mode de garde préféré des parents. Il offre en effet des conditions professionnelles sécurisantes et stimulantes pour la socialisation des enfants.

Le besoin croissant d’équipements collectifs destinés aux enfants de moins de trois ans s’explique aussi par une baisse de la préscolarisation de ces enfants. En dix ans, le taux de scolarisation à l’âge de deux ans est passé de 35 % à 15 % et cette tendance ne devrait malheureusement pas s’inverser. En effet, alors même que la France enregistre le taux de natalité le plus élevé d’Europe, des milliers de postes d’enseignant ont été supprimés et la mise en place des jardins d’éveil, dont le bilan est par ailleurs mitigé, a accéléré le processus.

Nous avions été nombreux à exprimer nos craintes à l’égard de cette nouvelle structure. Je le répète aujourd’hui : elle représente une forme de privatisation de l’école maternelle, un nouveau transfert de compétences vers les collectivités territoriales, vaches à lait reconnues, et, au final, un désengagement de l’État du secteur de la petite enfance. Sa conséquence directe est le renforcement des inégalités territoriales.

La scolarisation des enfants dès l’âge de deux ans comporte de nombreux avantages et, par conséquent, rencontre un certain succès auprès des parents. En effet, il a été démontré que, plus tôt un enfant est scolarisé, plus grandes sont ses chances d’accéder au collège sans redoubler. C’est sans doute la raison pour laquelle trois groupes parlementaires ont déjà déposé des propositions de loi relatives à cette problématique, notamment pour rendre l’école obligatoire dès l’âge de trois ans et instituer un droit, ou une obligation, selon les groupes, à la scolarisation dès l’âge de deux ans.

L’accueil des tout-petits en école maternelle, cette belle exception française que le monde entier nous envie, est malheureusement devenu un sujet délicat à cause de la politique de pénurie menée depuis plusieurs années. La restriction du nombre de postes n’est pas favorable à un accueil de bonne qualité.

La formation soulève une autre question : contrairement ce qui se passe en Espagne et en Suède, où le métier de professeur en école maternelle est considéré comme une spécialité, en France, les professeurs des écoles sont habilités à enseigner aux enfants âgés de deux à onze ans. Ils peuvent ainsi travailler indifféremment dans une école maternelle ou une école élémentaire au gré des postes vacants, et passer de l’une à l’autre à tout moment de leur carrière.

Le contenu de la formation donne aux enseignants des connaissances orientées vers les disciplines générales de l’enseignement primaire. Cette formation n’est pas du tout adaptée au cadre de la maternelle et ne permet donc pas la mise en place d’une pédagogie individualisée centrée sur le petit enfant.

Ces lacunes sont frappantes également en ce qui concerne la détection et la prise en charge des enfants précoces ; la plupart d’entre eux se retrouvent d’ailleurs confrontés à l’échec scolaire, ce qui est un comble !

Je voudrais enfin évoquer la question de l’accueil en milieu scolaire ordinaire des enfants présentant un handicap.

La loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, affirme le droit de chacun à une scolarisation en milieu ordinaire et à un parcours scolaire continu et adapté. Toutefois, dans les faits, les moyens mis en place ne permettent pas de garantir ce droit dans des conditions acceptables, que ce soit pour les élèves ou pour les enseignants.

L’exemple des enfants autistes illustre cette contradiction, dans la mesure où la plupart de ceux qui sont en âge d’être scolarisés sont privés de ce droit : 20 % seulement accèdent à l’école ordinaire et 30 % sont accueillis en instituts médico-éducatifs ou en hôpitaux de jour. Où sont les autres ?

Scolariser ou accueillir un enfant autiste est un réel défi pour les parents. Certes, 68 % des enseignants estiment que la place de ces enfants est plutôt dans un institut spécialisé, mais l’école leur permettrait d’accéder aux méthodes d’apprentissage indispensables à une meilleure socialisation. Pour autant, leur intégration à l’école ne peut réussir que si sont mobilisés des moyens humains adaptés, si les professeurs sont mieux formés au handicap, les effectifs allégés et davantage d’assistants réellement recrutés pour seconder et accompagner les enfants et les professionnels.

Madame la secrétaire d’État, des solutions existent pour favoriser une meilleure prise en charge de la petite enfance, mais il faut vouloir les mettre en œuvre. Cela nous ramène à la question initiale : quelle ambition pour la petite enfance dans notre pays ? Nous attendons votre réponse !

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