Dans la tradition française, le scrutin à deux tours tient une place considérable. Les Français le connaissent bien et y sont très attachés parce que, au premier tour, il leur permet de s’exprimer librement, les débats étant riches, mais, au second tour, ils reportent leurs suffrages en fonction des deux ou trois forces en présence pour exprimer un vote plus utile, plus définitif.
Ne vous en déplaise, nos premiers tours font en partie la vitalité de notre vie démocratique !
Il y a une raison à cela : depuis le Second Empire, le scrutin majoritaire uninominal à deux tours n’a pas connu d’exception dans l’histoire électorale française.
Le Parlement a pu parfois, et passagèrement, adopter des modes de scrutin proportionnel ou majoritaire, plurinominal ou uninominal, mais, dès lors qu’il s’agissait d’un scrutin majoritaire uninominal, il comportait deux tours. Il en allait d’ailleurs systématiquement de même pour toutes les autres élections majoritaires uninominales : celles des conseillers généraux et des sénateurs, pour lesquels étaient même prévus trois tours de scrutin, la majorité absolue étant exigée pour être élu au premier ou au deuxième tour.
La référence faite aux travaux de la commission Vedel dans l’exposé des motifs du projet de loi relatif à l’élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale est inexacte.
Certes, la commission Vedel avait proposé un mode de scrutin mixte, proche du système allemand, dans lequel l’électeur disposait de deux voix. C’est loin d’être le cas, en l’état, dans le dispositif proposé pour la désignation du conseiller territorial.
Par ailleurs, le Conseil d’État a émis un avis plus que réservé sur le mode de scrutin projeté pour la désignation du conseiller territorial, qui serait, selon lui, de nature à porter atteinte à l’égalité : tous les conseillers territoriaux ne seraient pas élus selon le même mode de scrutin.
Il en serait de même pour la sincérité du suffrage. Ce mode de scrutin pourrait avoir comme conséquence de permettre qu’une liste ayant recueilli au niveau régional moins de votes qu’une autre puisse néanmoins recueillir plus de sièges qu’elle !
Vous admettrez que ce mode de scrutin est pour le moins curieux. Il ne suscite d’ailleurs guère l’adhésion au sein même de la majorité, on l’a vu.
En effet, le président de notre assemblée, M. Gérard Larcher, a récemment déclaré que le Président de la République, le Premier ministre ainsi que la majorité étaient tombés d’accord pour former un groupe de travail sur le mode de scrutin des conseillers territoriaux. Il était temps !
Une décision aussi tardive peut paraître étonnante, alors même que l’on sait qu’en 2003, Nicolas Sarkozy, ministre de l’intérieur, plaidait avec talent devant cette assemblée contre ce mode de scrutin : « Le scrutin le plus simple, c’est incontestablement le système anglais, scrutin uninominal majoritaire à un tour. Il est d’une simplicité biblique, mais d’une brutalité sauvage ! » Et Nicolas Sarkozy de conclure que l’application de ce mode de scrutin ne convenait pas à notre pays. Notre Président aurait-il oublié depuis les idées qu’il développait alors ?
C’est pourquoi, mes chers collègues, nous vous invitons à soutenir cet amendement qui, dans la perspective du débat sur le projet de loi n° 61, vise à fixer autant que faire se peut les limites dans lesquelles les propositions du Gouvernement et de sa majorité devront se situer.