Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y onze ans déjà - le 4 août 1994 exactement -, était promulguée la loi relative à la langue française, plus connue sous le nom de « loi Toubon », du nom de son promoteur, alors ministre de la culture et de la francophonie.
J'ai eu l'honneur de rapporter ce projet de loi devant notre Haute Assemblée, au nom, déjà, de la commission des affaires culturelles. Le Gouvernement avait choisi de le présenter d'abord devant le Sénat, et nous en étions évidemment honorés.
Il s'agissait de rendre efficace un dispositif de protection de l'usage du français en France destiné à succéder à la loi dite « Bas-Lauriol », votée jadis à la quasi-unanimité par le Parlement mais dont l'application était très limitée et qui était donc devenue obsolète.
Je m'attendais de nouveau à un moment d'unanimité autour de la cause de notre langue commune. Il n'en fut rien : M. Toubon et sa loi furent brocardés, suspectés de vouloir se livrer, peut-être avec autoritarisme, à une Saint-Barthélemy des termes étrangers entrés dans notre langue.
Il est utile d'affirmer de nouveau ici avec force que le problème de la langue française n'est pas essentiellement de retrouver sa pureté, mais de veiller à ce que des domaines entiers de l'activité humaine ne cessent pas, même en France, d'être exprimés en français.
Si le français chez nous cesse d'être communément utilisé par le monde scientifique, par la communauté financière, s'il n'est pas présent dans les nouvelles technologies, croit-on vraiment qu'il conservera longtemps son statut de langue à rayonnement international ? Croit-on vraiment qu'il continuera à être appris, aimé dans le monde entier ?
A travers le statut de notre langue, ce qui est en cause c'est l'image que nous nous faisons de notre culture, de notre capacité à dialoguer avec les autres, à inventer, à faire vivre des concepts qui traduisent notre perception des valeurs.
Nous éprouvons des difficultés à percevoir ce lien entre l'importance attachée à la place du français en France et son maintien ou son déclin à l'étranger, alors qu'il est évident.
Une telle loi dérange, car elle n'a d'efficacité que si elle est effectivement appliquée. Et nous sommes pris ici entre deux exigences contradictoires : nous sommes attachés, bien évidemment - et très profondément -, à la liberté d'expression, celle qui permet à chacun de s'exprimer dans sa langue avec les mots de son choix, mais nous sentons aussi la nécessité de sanctionner l'abandon de l'usage de notre langue quand, en se généralisant, ce délaissement porte atteinte au statut, voire à l'existence de la langue.
Parce qu'ils étaient minoritaires ou très menacés dans leurs Etats respectifs, les Flamands, les Catalans, les Québécois, à l'encontre respectivement du français, de l'espagnol et de l'anglais, ont adopté - et imposé - des politiques linguistiques très strictes... mais qui se sont révélées efficaces. Nous ne sommes pas - ou pas encore ? - dans leur situation, mais nous devons veiller à l'application de la loi sur la langue.
Constatons d'abord avec satisfaction qu'après l'avoir brocardée nos compatriotes sont sur le point d'accepter la loi Toubon : les associations de consommateurs ont maintenant pleinement conscience de la nécessité de garantir aux acheteurs une bonne information en français, qu'il s'agisse de l'étiquetage ou du mode d'emploi des produits. Un sondage réalisé par la SOFRES en 2000 montrait que 93 % des personnes interrogées jugeaient utiles, voire très utiles, les dispositions de la loi Toubon relatives à l'obligation d'assurer l'information du consommateur en français. C'est un fait que nous devons conserver à l'esprit, à l'heure où la Commission européenne exerce des pressions pour amener notre pays à atténuer cette règle et à admettre que les consommateurs pourraient tout aussi bien être informés par des pictogrammes !
Le rapporteur que je suis ne saurait accepter une telle régression, et il invite le Gouvernement à ne pas céder aux pressions excessives exercées sur ce sujet par la Commission.