Intervention de Jacques Legendre

Réunion du 10 novembre 2005 à 15h45
Emploi de la langue française — Adoption des conclusions du rapport d'une commission

Photo de Jacques LegendreJacques Legendre, rapporteur :

Notre premier objectif est de garantir que les prescriptions linguistiques posées par l'article 2 de la loi Toubon relative à la protection du consommateur s'appliquent bien au monde du numérique et du commerce électronique, dont le développement est spectaculaire.

Faut-il compléter la loi pour préciser que les prescriptions de l'article 2 sont applicables aux messages informatiques dès lors qu'ils ne sont pas exclusivement conçus pour des personnes de nationalité étrangère ?

La commission ne l'a pas jugé nécessaire, car les termes actuels de la loi sont suffisamment généraux pour couvrir aussi le monde du numérique, comme le confirme d'ailleurs la circulaire d'application de 1996. Le problème nous semble résider davantage dans l'application de la loi que dans sa lettre, sous réserve d'une actualisation ponctuelle, qui fait l'objet de l'article 1er.

Celui-ci confirme que les obligations de la loi Toubon relatives à la publicité s'appliquent bien à toute forme de publicité par voie électronique, de façon à lever l'ambiguïté qui pourrait résulter de l'entrée en vigueur de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique. Dorénavant, en effet, celle-ci réserve la qualification de communication audiovisuelle aux seuls services de radio et de télévision et érige en notion distincte la communication publique par voie électronique. L'article 1er de la présente proposition de loi a donc pour objet de compléter les mots « publicité parlée, écrite et audiovisuelle » par les mots « ou par voie électronique ».

Le premier alinéa de l'article 2 a pour objet de compléter l'article 3 de la loi Toubon qui, dans sa rédaction actuelle, impose le français dans la formulation des inscriptions sur la voie publique, mais en dispense, par omission en quelque sorte, les enseignes. Cette exception, dictée par le respect de la liberté du commerce, a pu contribuer à alimenter un certain laxisme dans l'application de la loi. D'où l'éviction du français, et parfois même de l'alphabet latin, de la façade de certaines de nos rues.

Soucieux de préserver le droit du commerçant de choisir librement la dénomination sous laquelle il exerce son activité, la commission a retenu un dispositif souple imposant la traduction ou, à défaut, l'explicitation des termes étrangers utilisés dans la formulation d'une enseigne, cette notion d'explicitation étant, je le reconnais, nouvelle.

Encore cette obligation ne s'imposera-t-elle que lorsque les termes de l'inscription seront susceptibles de contribuer à l'information du consommateur, afin de proportionner la contrainte à l'objectif d'information.

Le second alinéa de l'article 2 confirme que l'obligation d'employer le français pour l'information des voyageurs s'impose dans les transports internationaux, dès lors qu'ils ont pour provenance ou destination le territoire national.

Certes, cette obligation résultait déjà implicitement de la rédaction actuelle de l'article 3 de la loi Toubon, qui vise tout « moyen de transport en commun ». Mais les tentations récurrentes de certaines compagnies aériennes de s'affranchir de cette prescription justifient qu'elle soit réaffirmée dans la loi de façon à la fois solennelle et explicite.

Les articles 3 et 4 ont pour objet d'imposer aux dénominations sociales des sociétés inscrites au registre du commerce les mêmes obligations de traduction ou d'explicitation que celles qui sont envisagées pour les enseignes, afin de ne pas laisser le français disparaître complètement du nom que les entreprises se choisissent.

Pour améliorer le respect effectif des dispositions de la loi Toubon, la commission vous suggère, avec l'article 5 de la proposition de loi, d'étendre aux associations régulièrement déclarées et agréées de défense des consommateurs la capacité d'exercer les droits reconnus à la partie civile et déjà dévolus aux associations de défense de la langue française.

Sur ce point, la commission s'est écartée du dispositif élaboré par l'auteur de la proposition de loi, qui préconisait d'autoriser, sous certaines conditions, les agents assermentés des associations de défense de la langue française et des consommateurs à constater les infractions commises en violation de plusieurs dispositions de la loi Toubon. Votre rapporteur avait examiné avec sympathie cette disposition, mais la commission n'a pas voulu s'engager dans cette voie, considérant que ces pouvoirs de police devaient rester l'apanage des agents publics.

L'article 6 apporte une retouche à l'article L. 122-39-I du code du travail, tel qu'il résulte de l'article 9 de la loi de 1994. Cette disposition rend obligatoire l'emploi du français dans la rédaction de « tout document comportant des obligations pour le salarié, ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire à celui-ci pour l'exécution de son travail ». Elle tempère cette règle par deux exceptions portant respectivement sur les documents destinés à des étrangers et sur les documents reçus de l'étranger.

Cette seconde exception paraît aujourd'hui trop largement définie : qu'ils proviennent ou non de l'étranger, les documents rédigés en langue étrangère sont également susceptibles d'être une source d'incompréhension et de gêne pour les salariés français ; en outre, la mondialisation, la multiplication des groupes internationaux et le développement des communications électroniques contribuent à une augmentation sensible du nombre des documents reçus de l'étranger.

Pour éviter que l'exception prévue par la loi de 1994 n'ouvre une brèche trop importante dans un dispositif qui répond, entre autres, à des préoccupations de sécurité dans le travail, nous proposons de la restreindre aux documents provenant de l'étranger et destinés à des salariés qui soient véritablement à même de les comprendre, dans la mesure où leur emploi nécessite une parfaite connaissance de la langue concernée.

L'article 7 a pour objet d'inciter les entreprises à réfléchir à leur politique linguistique et d'ériger les pratiques linguistiques en élément du dialogue social à l'occasion de la présentation devant le comité d'entreprise d'un rapport sur l'utilisation de la langue française.

Nous proposons de ne rendre ce rapport obligatoire que dans les entreprises et les groupes de plus de cinq cents salariés, qui disposent des structures adéquates et qui ne rencontreront donc pas de problèmes pour ce faire. Dans les autres sociétés, la présentation d'un tel rapport serait facultative et répondrait à une demande expresse du comité d'entreprise ou des délégués du personnel.

L'article 8 vise à imposer une rédaction en français des convocations et des procès-verbaux des comités d'entreprises, de façon, bien sûr, à garantir la bonne information des salariés.

Enfin, avec l'article 9, nous proposons de compléter l'article 22 de la loi Toubon pour prévoir que le rapport annuel au Parlement sur la langue française peut donner lieu à un débat parlementaire, les différentes administrations concernées par ses dispositions étant tenues de contribuer à sa réalisation.

Au moment de conclure cette intervention liminaire, je voudrais dire avec force combien le débat de ce jour me paraît « politique », au meilleur sens du terme.

En veillant au respect de notre langue chez nous, nous proclamons aussi notre respect de toutes les langues, qui sont l'expression de la diversité humaine. Si nous voulons faire respecter l'usage du français, nous devons, en contrepartie, respecter toutes les autres langues. C'est pourquoi nous nous sommes tous mobilisés pour soutenir l'adoption à l'UNESCO de la Convention sur la diversité culturelle. Car nous savons bien qu'il n'y a pas de diversité culturelle si la diversité linguistique est remise en cause.

Les vingt-cinq pays de l'Union européenne ont approuvé cette convention à l'UNESCO. Puisse l'Union européenne s'en souvenir quand elle habille un respect de façade de l'égalité des langues européennes derrière un recours de moins en moins dissimulé à l'anglais comme langue de communication usuelle.

Cette préoccupation qui est la nôtre a aussi une dimension politique parce qu'elle tend à répondre à ce que l'historien Pierre Nora a qualifié de « non-dit national » au lendemain du rejet, le 29 mai, du projet de Constitution européenne.

Je partage son analyse et je voudrais, ici, en citer quelques passages.

Interrogé sur une possible crispation nationale, M. Nora répond : « Les Français ne veulent plus mourir pour la patrie, mais la France est devenue une notion patrimoniale. La nation à laquelle les Français sont attachés, au XXIe siècle, s'enracine dans des formes culturelles. Pensez au succès [...] que connaissent [...] les Journées du patrimoine ! Mais dans patrimoine il y a patrie, et c'est l'épaisseur de cette nouvelle relation à l'identité nationale qui n'a été ni enregistrée ni prise en compte par les gouvernants. » Et il ajoute : « La langue [...] est certainement un élément fondamental de l'expression nationale. »

Aujourd'hui, en adoptant la proposition de loi présentée par M. Marini et amendée par notre commission, nous démontrerons notre volonté de donner à notre langue toute sa place au coeur de notre identité et de lui garder aussi ce rôle irremplaçable d'instrument de notre présence et de notre dialogue avec le monde.

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