Monsieur le Premier ministre, nous ne pensions pas que la méthode Coué inspirerait votre première intervention au Sénat. Au-delà des mots, au-delà des formules, vos propositions concrètes, monsieur le Premier ministre, ne relèvent effectivement que d'une impulsion libérale.
Le 29 mai, le peuple a clairement exigé qu'un coup d'arrêt soit porté au libéralisme, en Europe comme en France. Vous répondez par une pirouette que le choix n'est pas entre libéral et social. Mais que proposez-vous d'autre que les vieilles recettes, mille fois servies, du MEDEF ou de la CGPME ?
Vous remettez en cause l'un des principaux socles de notre modèle social, le contrat à durée indéterminée, en créant un contrat de nouvelle précarité, ce contrat de nouvelle embauche doté d'une période d'essai de deux ans qui dépasse le délai maximum d'un CDD à dix-huit mois et fait disparaître du même coup le paiement de la prime de 10 %, dite de précarité.
Dois-je vous rappeler, monsieur le Premier ministre, que la caractéristique première d'une période d'essai est de démunir un salarié de la quasi-totalité de ses droits, notamment en matière d'indemnité, face à l'arbitraire patronal ?
Est-ce cela, pour vous, lever les obstacles à l'embauche ? Est-ce cela préserver le modèle social français ?
Les droits syndicaux sont et seront de plus en plus bafoués, le code du travail est et sera de plus en plus démantelé. Voilà votre objectif !
Vous ne l'avez pas dit, mais vous avez cédé aux sirènes les plus libérales de votre majorité parlementaire et vous avez fermé la porte au nez de la majorité, large, de notre peuple.
Le chèque emploi entreprise constitue votre autre trouvaille, déjà annoncée par M. Borloo, comme le contrat de nouvelle précarité avait été annoncé par M. de Virville.
Le chèque emploi entreprise, c'est la généralisation de l'insécurité dans le travail. Cette méthode fait disparaître l'idée même de contrat de travail. Ces chèques ne comportent pas de feuille de paie en bonne et due forme, ouvrant ainsi la voie à des heures supplémentaires non déclarées.
Chacun sait également que les chèques emploi entreprise généreront pour les salariés des droits à congés payés et à la protection sociale au rabais. Les salaires seront tirés vers le bas. Les travailleurs pauvres seront de plus en plus nombreux.
Comment ne pas voir que ces chèques seront une bénédiction pour les employeurs de la restauration et du bâtiment, qui pourront masquer ainsi le travail illégal en affichant une volonté supposée d'utiliser ce moyen de paiement ?
Le chèque emploi, c'est la fin du contrat de travail, c'est la réduction de la protection sociale au strict minimum, c'est le sous-emploi.
Par ailleurs, en remettant en cause les seuils de source de garantie sociale, vous comblez une nouvelle fois le MEDEF, pour qui la suppression des seuils constitue depuis des années un vrai cheval de bataille.
Où est le social ? Où est la pondération du libéralisme ? Ces trois axes d'action contredisent d'emblée votre propos !
Vous me répondrez que la relance de l'emploi vaut bien quelques sacrifices. Mais ce que les Français n'acceptent plus, c'est que les sacrifices soient toujours demandés aux mêmes : baisse du pouvoir d'achat, précarisation de l'emploi, logements de plus en plus chers et indécents, offre du service public en chute libre, alors que des profits faramineux sont annoncés régulièrement. A cet égard, rappelez-vous les 32 milliards d'euros de bénéfice des cent premières entreprises du CAC 40 sur un seul semestre en 2004 ou la retraite en or des PDG des grandes entreprises.
Votre discours, monsieur le Premier ministre, n'est en rien porteur de cette aspiration à la réduction des inégalités, au partage des richesses et, par là même, d'une participation de tous à la bataille pour l'emploi, que vous préconisez pourtant avec une belle ferveur.
Votre plan pour l'emploi se limite à un traitement social du chômage, à des mesures d'accompagnement, à la flexibilité. à outrance, dans un seul intérêt : celui de l'employeur, celui des actionnaires.
Vous n'oubliez d'ailleurs pas de culpabiliser, de stigmatiser les chômeurs, les titulaires des minima sociaux, alors qu'il faudrait montrer du doigt ceux qui profitent de la misère des autres.
La faiblesse de votre propos sur la redynamisation de notre économie, sur la préservation et la promotion de notre appareil industriel et de notre agriculture, met en exergue l'absence de propositions audacieuses pour appuyer la lutte pour l'emploi et la croissance.
Nous considérons, pour notre part, que la puissance publique doit tenir une place déterminante pour susciter l'investissement dans l'emploi en budgétant directement de grands chantiers et en créant les conditions pour drainer l'épargne vers l'emploi et la détourner ainsi de la spéculation financière.
Or, surprise : la seule mesure de financement d'un nouvel investissement pour l'emploi que vous préconisez consiste à relancer les privatisations, notamment celle des autoroutes.
Drôle de conception de la puissance publique ! Curieuse conception de l'Etat que de le priver d'outils économiques et financiers !
Comment ne pas s'étonner d'ailleurs de cette privatisation des autoroutes qui, à notre sens, favorisera fatalement le tout-routier au détriment du développement du fret ferroviaire ?
Donnez un signe, monsieur le Premier ministre, lancez un premier grand chantier en imposant le financement de la ligne Lyon-Turin. Voilà qui serait du véritable volontarisme au service d'un développement durable, respectueux de l'environnement et, bien sûr, source de croissance et de créations d'emplois.
Nous attendions ce type de mesures. Vous avez préféré nous sortir la panoplie du parfait libéral.
Même si le style est différent, même si les bons mots de M. Raffarin ont disparu, il n'est pas surprenant que vous ayez salué avec emphase un bilan dévastateur puisque vous continuez sur la même lancée.
L'annonce de la poursuite de la privatisation de France Télécom dès le lendemain du puissant verdict anti-libéral rendu par le peuple, l'annonce, aujourd'hui, de l'ouverture du capital de GDF le 23 juin prochain...