Il pratique le retrait stratégique, mais il n'est pas certain que je sois ce soir conduit à une telle issue !
D'abord, pourquoi avoir déposé cet amendement ?
J'occupais, en 1999, la place de notre collègue Patrice Gélard, et j'étais le rapporteur du projet de loi constitutionnelle modifiant les articles 88-2 et 88-4 de la Constitution. En résumé, il nous avait alors semblé raisonnable de rendre obligatoire la communication au Parlement des projets ou propositions d'actes de l'Union européenne comportant des dispositions de nature législative, et facultative la communication des autres projets ou propositions d'actes.
Il nous avait en effet semblé que le Gouvernement et le Parlement devaient se faire mutuellement confiance. Je suis d'ailleurs toujours partisan de la pratique de la confiance dans les institutions, en quelque sorte à l'anglaise. C'est mieux que de tout réglementer de manière rigide, article après article. Je pensais donc que nous pouvions nous faire confiance.
Le Gouvernement avait d'ailleurs pris l'engagement à l'époque, dans une circulaire, de communiquer au Parlement tous les documents susceptibles de l'intéresser. S'il pouvait arriver qu'un document ne soit pas transmis au Parlement de manière spontanée, celui-ci pouvait l'obtenir sans difficulté. Dans la pratique, disons-le, et la délégation du Sénat pour l'Union européenne peut l'attester, cela a très bien fonctionné.
Puis est survenue l'affaire de la Turquie, et, s'il y eut bien communication, non sans difficultés, d'ailleurs, ce ne fut pas au titre de l'article 88-4 de la Constitution. Résultat ? Pas de vote, et donc pas de vote de résolution !
Vous le savez, je m'inscris personnellement dans la ligne du Président de la République et ne suis pas de ceux qui tirent la sonnette d'alarme parce que l'Union européenne engage des négociations d'adhésion avec la Turquie. Je suis donc d'autant plus à mon aise pour dire que, s'agissant d'une question si considérable, compte tenu de ce que nous savons, notamment de l'importance de la population turque, il me paraissait évidemment souhaitable et de l'intérêt général - y compris de l'intérêt de ceux qui souhaitaient l'ouverture de ces négociations -, qu'il y ait ici, au Sénat, et à l'Assemblée nationale, un débat sans contrainte et conclu par le vote d'une résolution énonçant les conditions, selon nous, essentielles pour toute négociation avec la Turquie, conditions d'ailleurs admises par tous.
Très honnêtement, je ne vois pas du tout en quoi le vote d'une telle résolution aurait gêné l'action des gouvernements et de ceux qui négocient dans l'immédiat et dans l'avenir. Nous savons en effet ce qu'il en est de ces résolutions et ne nous faisons que peu d'illusions sur leur caractère contraignant.
Rappelons que, dans des démocraties comparables, notamment en Grande-Bretagne, les Parlements ont des pouvoirs considérablement supérieurs aux nôtres. Il serait d'ailleurs souhaitable de faire procéder à une étude approfondie de droit comparé sur ce point. On serait alors étonné de constater que ces Parlements assument ce genre de responsabilité avec beaucoup plus d'efficacité. En Allemagne, il existe même une commission mixte dont certaines préconisations s'imposent au Gouvernement. Je n'évoquerai pas le cas du Danemark, qui, je le reconnais, n'est pas vraiment comparable au nôtre.
Des réticences du Gouvernement, de son refus, incompréhensible selon moi, de nous permettre de voter une résolution, il m'était apparu qu'il fallait tirer les enseignements, car il est des circonstances dans lesquelles le Parlement doit être mis en état d'exiger la communication de projets ou de propositions d'actes de l'Union européenne, dès lors que l'importance de la question le justifie.
Une proposition en ce sens a été faite à l'Assemblée nationale, mais je dois dire que je n'y souscris pas. J'ai en effet été attentif aux réflexions de M. de Rohan sur cette question. Nous ne devons pas en arriver au harcèlement et exiger, à tout propos et assez souvent pour des motivations politiques et non de fond, la communication au Parlement de projets d'actes de l'Union européenne. Ce serait effectivement négatif.
Pour être tout à fait précis, je m'inspire de l'expérience que nous avons maintenant des dispositions de la Constitution permettant à soixante députés ou à soixante sénateurs de saisir le Conseil constitutionnel : elles ont été dévoyées, si bien que le Conseil est saisi à tout propos. C'est devenu pratiquement un tic ! Nous risquerions de connaître la même dérive s'agissant de la communication au Parlement de projets d'actes de l'Union européenne, dont certains n'useraient que pour « ennuyer » le Gouvernement, si je peux recourir à cette plaisante litote. Or cela ne doit pas servir à cela.
C'est la raison pour laquelle j'ai imaginé une formule qui me paraît véritablement très fiable : c'est au président de l'une ou de l'autre des deux assemblées, non pas seul mais sur proposition de sa conférence des présidents, qu'il appartiendrait de demander au Gouvernement la communication des projets d'actes de l'Union européenne.
La conférence des présidents me paraît en effet être l'instance la plus responsable, puisque qu'elle réunit à la fois les représentants techniques - les présidents des commissions - et les responsables politiques des assemblées - les présidents des groupes politiques -, auxquels il faut ajouter les vice-présidents, personnalités si importantes, vous en conviendrez, monsieur le président.