Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, ce texte vient en discussion au Sénat alors que l'examen du projet de loi sur la récidive et l'adoption, récente, de textes à caractère répressif replacent la question des conditions de détention en France au coeur des débats.
L'absence de grâce collective du 14 juillet s'inscrit également dans ce cadre. S'ajoute à ce contexte un fait malheureusement incontestable, à savoir que les prisons, en France, sont surpeuplées. Pour environ 50 000 places opérationnelles, on comptabilise plus de 60 000 personnes écrouées. Dans bien des cas, la vétusté et l'insalubrité des prisons rendent les conditions de détention intolérables, même si le personnel pénitentiaire s'efforce de bien faire fonctionner nos lieux de détention.
Depuis déjà quelques années, de nombreux rapports ont souligné cette situation. Je n'en citerai que deux : le rapport de Guy Canivet, alors Premier président de la Cour de cassation, dont les conclusions ont été publiées en mars 2000, et celui de Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois du Sénat et rapporteur du présent texte, qui a été publié en juin 2000 à la suite de la commission d'enquête sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France.
Madame le garde des sceaux, devant l'urgence de la situation, vous avez été amenée à installer, le 11 juillet dernier, un comité d'orientation restreint en vue de l'élaboration d'un projet de loi pénitentiaire que vous entendez présenter à l'automne.
Mais, avant d'attaquer ce vaste et indispensable travail législatif, vous nous proposez aujourd'hui d'adopter la création d'un contrôleur général des lieux de privation de liberté. Bien entendu, nous souscrivons pleinement à cette initiative, et ce pour deux raisons essentielles.
D'abord, elle permet à la France de se mettre en conformité avec des textes européens et internationaux, en particulier avec le protocole facultatif additionnel à la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, signé par la France le 16 septembre 2005. À cet égard, il faut regretter que notre pays soit l'un des derniers États signataires à ne pas avoir ratifié ce texte.
Ensuite, ce texte reprend les conclusions du rapport Canivet qui proposait en particulier la création d'un « contrôle général des prisons » indépendant, confié à un contrôleur général assisté d'un corps de « contrôleurs des prisons ».
Nous sommes d'autant plus satisfaits que cette idée avait fait l'objet d'une proposition de loi que M. le président de commission des lois, aujourd'hui rapporteur de ce texte, avait présentée et que le Sénat avait adoptée en avril 2001.
L'objet du présent projet de loi est plus large puisque, outre les établissements pénitentiaires, le contrôleur peut visiter l'ensemble des lieux de privation de liberté. Sont donc également concernés les centres de rétention administrative, les lieux de garde à vue, les dépôts des palais de justice, en tout plus de 5 000 lieux. Nous ne pouvons que nous en féliciter.
Avec ce projet de loi, on pose donc la première pierre d'un vaste édifice qui abordera la problématique des prisons dans son ensemble. On ose enfin ouvrir les portes des prisons et regarder ce que vous avez appelé, monsieur le président de la commission, « une humiliation pour la République ».
Ce texte soulève cependant quelques réserves et appelle quelques explications qui feront l'objet soit d'amendements, soit de demandes de précisions que les différentes personnalités entendues par la commission des lois ont évoquées.
En premier lieu, la procédure de désignation ne nous semble pas satisfaisante au regard de la nécessité de nommer dans cette éminente fonction une personnalité dont l'autorité morale et l'indépendance ne sont pas contestées. Nous proposerons donc de compléter le dispositif en précisant que le décret nommant le contrôleur général est pris en Conseil des ministres, après avis des commissions des lois de l'Assemblée nationale et du Sénat. Cet amendement s'inscrit d'ailleurs dans la droite ligne de ce que souhaite le Président de la République dans le cadre de la réforme des institutions.
Ensuite, nous nourrissons quelques doutes et interrogations sur les dispositions liées aux pouvoirs du contrôleur. D'une manière générale, le dispositif encadre ses interventions de manière excessive, avec le risque de pouvoir limiter trop facilement ses pouvoirs et son influence.
D'abord, nous souhaitons supprimer les alinéas qui prévoient que le contrôleur doit prévenir les responsables des lieux visités avant son intervention, sauf dans certains cas particuliers. Or on ne sait pas très bien ce que vise cette expression. Il nous semble que cette condition risque de limiter l'intérêt des contrôles. C'est pourquoi, comme cela avait été voté en 2001 par le Sénat, nous proposerons de modifier ce système en inversant tout simplement sa logique : la visite inopinée deviendrait la règle, même si l'on peut penser que, par correction, dans la plupart des cas, le contrôleur annoncera sa visite.
Un autre point d'inquiétude a trait aux règles relatives au secret. La crainte est qu'en se retranchant derrière le texte dans sa rédaction actuelle on puisse trop facilement opposer au contrôleur général le secret de la défense nationale, le secret de l'enquête et de l'instruction ou l'atteinte à la sécurité des lieux et limiter ainsi ses investigations. C'est pourquoi nous vous proposerons là aussi d'inverser la logique du dispositif : les responsables des établissements ne pourraient plus opposer le secret au contrôleur et c'est le contrôleur lui-même, ainsi que ses collaborateurs, qui serait tenu de respecter le secret de la défense nationale, le secret de l'enquête et de l'instruction ou le secret professionnel applicable aux relations entre un avocat et son client.
S'agissant des prérogatives attribuées au contrôleur général, nous nous étonnons du peu de cas qui est fait des relations entre ce dernier et les responsables des lieux visités. Il doit, nous semble-t-il, être expressément fait mention de son droit de communiquer ses observations et ses recommandations aux chefs d'établissement.
En contrepartie, afin que ces observations soient réellement utiles, nous proposerons que les responsables des lieux visités répondent au contrôleur en indiquant quelles mesures ils entendent prendre au regard de ses observations. Ce dispositif ne constitue pas une innovation, il existe dans de nombreux systèmes de contrôle.
Le contrôleur général doit également pouvoir informer d'autres autorités telles que la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, la HALDE, le Défenseur des enfants ou la Commission nationale de déontologie pour la sécurité, la CNDS, lorsqu'il a connaissance de faits qui lui semblent justifier leur saisine. Le rapporteur proposera un amendement spécifiant que le contrôleur peut saisir la CNDS, mais il nous semble opportun qu'il puisse également saisir la HALDE et le Défenseur des enfants.
Enfin, nous proposerons de reprendre, comme le rapporteur, une des dispositions votées en 2001, à savoir que le contrôleur général porte sans délai à la connaissance du procureur de la République les faits laissant présumer l'existence d'une infraction pénale, conformément à l'article 40 du code de procédure pénale.
Parallèlement, le contrôleur général doit pouvoir porter sans délai à la connaissance des autorités ou des personnes investies du pouvoir disciplinaire les faits de nature à entraîner des poursuites de ce type.
Parallèlement à ces amendements que nous présenterons au nom du groupe de l'UC-UDF, je souhaite, madame le garde des sceaux, que vous m'apportiez une précision.
L'article 5 du projet de loi dispose que « toute personne morale » dont « l'objet est le respect des droits fondamentaux » peut s'adresser au contrôleur général. Cette expression me semble assez vague et peu usitée dans notre ordonnancement juridique actuel. Je souhaite donc savoir précisément qui peut, ou ne peut pas, saisir le contrôleur général des lieux privatifs de liberté. Il semble, à la lecture du projet de loi, que toute personne physique puisse le saisir.