Intervention de Georges Othily

Réunion du 31 juillet 2007 à 10h00
Contrôleur général des lieux de privation de liberté — Discussion d'un projet de loi

Photo de Georges OthilyGeorges Othily :

Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, le 10 février 2000 était constituée la commission d'enquête sénatoriale sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France, présidée par notre collègue Jean-Jacques Hyest. Pour ma part, je dois dire la fierté qui fut la mienne d'avoir été l'un de ses membres tant ses travaux seront remarquables et, il faut bien le dire, très vite remarqués et salués par tous, aussi bien pour la clarté de son diagnostic sans concession que pour l'audace de ses propositions.

En effet, le 29 juin 2000, son excellent rapporteur, le président Guy-Pierre Cabanel, faisait connaître les conclusions de la commission d'enquête et dévoilait ainsi le contenu de son rapport au titre on ne peut plus explicite : Prisons : une humiliation pour la République.

Les travaux de cette commission et l'état des lieux alarmant dressé dans son rapport demeurent d'une très grande actualité et permettent toujours de connaître et de comprendre la situation réelle et dramatique de l'univers carcéral dans notre pays, qui - faut-il le rappeler ? - est aussi celui des droits de l'homme.

Ce rapport fera honneur à notre Haute Assemblée et sera très vite connu sous le nom de « rapport Cabanel ». Si j'osais, je dirais qu'il fut un best-seller de notre littérature parlementaire. Et il demeure encore aujourd'hui, sept ans plus tard, une véritable référence, mieux, une lecture obligée avant toute réforme sérieuse de notre système pénitentiaire.

Alors, madame le garde des sceaux, quand votre projet de loi instituant un contrôleur général des lieux de privation de liberté a été déposé sur le bureau de notre assemblée, je me suis tout naturellement replongé dans le rapport Cabanel. Voici ce que j'y ai lu à la page 203 de son premier tome : « Le constat accablant dressé par votre commission d'enquête sur la situation des contrôles exercés sur l'administration pénitentiaire exige une réponse énergique et rapide. » Puis, plus loin : « Il apparaît indispensable que la France se dote d'un organe de contrôle externe des établissements pénitentiaires, doté de très larges prérogatives et pouvant effectuer des visites très complètes des établissements. Cet organe pourrait également servir de relais aux recommandations formulées par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants, dont les visites ne sont pas assez régulières pour qu'un véritable suivi puisse avoir lieu. Les rapports de cet organe de contrôle seraient soumis au Parlement. »

C'était la première fois qu'on évoquait dans notre pays la création d'un contrôleur général.

Démentant une fois de plus les préjugés, qui, décidément, ont la vie très dure, les sénateurs avaient fait preuve d'énergie et de rapidité puisque le 26 avril 2001 ils adoptaient les conclusions modifiées du rapport de la commission des lois, dont j'avais eu l'honneur d'être le rapporteur, sur la proposition de loi déposée le 30 novembre 2000 par Jean-Jacques Hyest et Guy-Pierre Cabanel relative aux conditions de détention dans les établissements pénitentiaires et au contrôle général des prisons.

Mais six ans après son adoption par notre Haute Assemblée, ce texte est hélas ! toujours en attente d'examen sur le bureau de l'Assemblée nationale. On ne saurait toutefois imaginer un seul instant que cela s'explique par un manque d'énergie de la part de nos collègues députés.

La proposition de loi Hyest-Cabanel a pour objet d'instituer un contrôleur général des prisons « chargé de contrôler l'état, l'organisation et le fonctionnement des établissements pénitentiaires ». Celui-ci disposerait de pouvoirs très étendus : droit de visite à tout moment dans les établissements pénitentiaires, droit d'accès à tous les locaux de ces établissements, droit de s'entretenir avec toute personne et d'obtenir toutes les informations nécessaires. En outre, le contrôleur général pourrait proposer au Gouvernement toute modification de nature législative ou réglementaire et établirait chaque année un rapport qui serait rendu public.

On le voit, le texte de la proposition de loi adoptée par le Sénat en 2001 est très proche, dans le dispositif qu'il vise à mettre en place, de celui que vous nous proposez aujourd'hui, madame le garde des sceaux, à la réserve près que votre texte étend, très opportunément il faut bien le reconnaître, ce même contrôle à tous les lieux de privation de liberté, en ne le limitant pas aux seules prisons, même si celles-ci constituent les lieux où l'impératif d'un contrôle indépendant est le plus urgent.

Dans le cadre de la commission d'enquête sénatoriale de 2000, j'ai pu véritablement prendre la mesure des conditions de détention alarmantes qu'imposent nos établissements pénitentiaires. Depuis lors, je n'ai cessé d'utiliser le droit dont disposent les parlementaires, depuis le 15 juin 2000, de visiter à tout moment les prisons, aussi bien en France métropolitaine qu'en France équinoxiale et, plus précisément, en France d'outre-mer.

De plus, en tant que rapporteur pour avis du budget de l'administration pénitentiaire pendant six ans, mes très nombreuses visites dans les lieux de détention m'ont permis de mesurer combien les choses n'ont pas ou ont trop peu évolué pendant toutes ces années.

Pire ! Je dirais même que mon expérience semble très proche de ce qu'a été celle de la secrétaire d'État à la condition pénitentiaire entre 1974 et 1976, Hélène Dorlhac, expérience qu'elle a racontée dans son ouvrage d'une grande actualité, Changer la prison, où elle évoquait son « voyage au bout de l'enfer ».

De nombreux passages de son livre n'ont perdu aucune actualité quand je les compare à ce que j'ai pu voir ces dernières années.

Par exemple, je pourrais faire miennes ces quelques lignes sur la surpopulation carcérale, véritable problème générateur de bien des risques pour le détenu comme pour la société : « Dans certaines cellules, écrivait Hélène Dorlhac, on trouve quatre ou cinq prisonniers au lieu d'un seul ; de cette promiscuité naît trop souvent la contagion de perversion. Surtout lorsque de nouveaux arrivants, souvent jeunes et délinquants primaires, côtoient les vieux habitués des prisons. La prison reste encore une véritable école du vice. Une hiérarchie se crée, avec ses caïds. C'est l'exploitation des plus faibles par les plus rusés [...]. La prison est un microcosme de notre société dont les tares sont exacerbées. » Et elle constatait que « l'on ne refait pas un être social dans un cadre asocial », avant de plaider en faveur d'une « humanisation de la prison qui ne saurait pour autant être synonyme de laxisme ».

Ce principe doit aussi être le nôtre.

Trente ans après ces observations de la secrétaire d'État à la condition pénitentiaire, le 15 février 2006, c'est-à-dire l'année dernière, mes chers collègues, était rendu public le rapport du commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe sur le respect effectif des droits de l'homme en France.

C'est d'ailleurs sur la base de ce rapport du commissaire Gil-Robles, et sur l'initiative du président Jacques Pelletier, que nous avions discuté le 11 mai 2006, dans cet hémicycle, une question orale avec débat sur le respect des droits de l'homme dans notre pays.

Faut-il dès lors rappeler qu'à la lecture de ce rapport il apparaît que la plus grande atteinte aux droits de l'homme dans la République française reste - et de très loin - l'intolérable situation de nos prisons ? Le constat dressé en 2006 par le rapport Gil-Robles sur l'état de nos établissements pénitentiaires rejoint malheureusement les conclusions de la commission d'enquête Hyest-Cabanel de 2000.

De la lecture de ces rapports, il ressort que l'institution d'un contrôleur général des lieux de privation de liberté, et tout particulièrement des prisons, est une excellente initiative qu'il convient de saluer, madame le garde des sceaux. Elle relance ainsi la démarche amorcée par les travaux des sénateurs Hyest et Cabanel.

Les amendements proposés par la commission des lois et résultant de la très fine expertise de notre excellent rapporteur - et pour cause ! - permettront, une fois adoptés, de renforcer davantage le statut, l'autorité et l'indépendance du contrôleur. Je pense par exemple à sa nomination par le Président de la République après consultation du Parlement ou encore à l'élargissement des conditions de sa saisine aux autorités administratives indépendantes comme le Médiateur de la République ou la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, la HALDE, qui, dans le cadre de leurs compétences, sont amenées à connaître la situation de personnes détenues.

Toutefois, l'instauration de cette nouvelle autorité de contrôle ne peut permettre de faire l'économie d'une grande loi pénitentiaire, si souvent repoussée faute de moyens budgétaires mais peut-être plus encore faute d'une forte volonté politique, celle qu'il faut comme préalable pour faire basculer l'opinion publique. De ce point de vue, il y va de la place des prisons dans notre société comme, jadis, de l'abolition de la peine de mort !

Madame le garde des sceaux, la hausse continue de la population carcérale depuis 1980 n'a pas été compensée par la construction d'établissements modernes et dignes d'un État de droit. Elle n'est pas plus compensée par un véritable redéploiement de la population carcérale : malades psychiatriques en établissements de soins spécialisés, détenus âgés en hospices spécialisés, détention provisoire redevenue l'exception comme en dispose la loi, application du bracelet électronique à la détention provisoire, développement important des peines alternatives à l'emprisonnement.

L'enfermement est toujours, depuis 1791, au centre du dispositif judiciaire. C'est la peine majoritairement prononcée. Les centres d'éducation renforcée, le service civil à long terme, la prison à domicile et tant d'autres peines substitutives à l'emprisonnement doivent être expérimentés.

Comme le souligne l'Observatoire international des prisons, l'indignité des prisons françaises provient essentiellement du fait que les détenus sont privés de l'exercice de leurs droits les plus élémentaires. Qu'en est-il de l'arbitraire des commissions de discipline ? De l'isolement de longue durée ? De l'insuffisance draconienne de l'offre de soins psychiatriques, alors que les pathologies mentales sont surreprésentées ?

La construction de nouvelles prisons ne peut être qu'un préalable à une refonte totale de notre politique pénitentiaire et du dispositif judiciaire. Un détenu est volontairement retiré de la place publique pour protéger la société, mais cela ne lui ôte pas sa qualité intrinsèque de personne humaine, ni sa dignité. Se préparer à se réinsérer dans la société une fois sa peine purgée est indissociable du droit légal à la rédemption et à la réhabilitation de tous ceux qui, à un moment ou à un autre, ont enfreint les règles posées par la collectivité.

La France ne peut continuer à entretenir des établissements où se fabrique légalement la désocialisation d'individus et se renforce leur propension au crime. Les dispositifs de surveillance alternatifs à la privation de liberté doivent être développés. C'est déjà le cas du bracelet électronique, initié par notre ancien collègue Guy-Pierre Cabanel, et dont le régime a été récemment renforcé. Favoriser l'aménagement des peines, notamment par l'usage de la libération conditionnelle, me semble également devoir être développé.

M. Jean-Jacques Hyest évoquait déjà il y a six ans la transformation des prisons en asile. Des études ont montré qu'en prison les taux de pathologies psychiatriques sont jusqu'à vingt fois supérieurs à ce qu'ils sont dans la population générale. Or il n'existe que quelques centaines de places en unités pour malades difficiles, souvent détournées de leur finalité. Ce chiffre est évidemment insuffisant. Et, sur ce sujet, je me réjouis de l'amendement de notre rapporteur, M. Hyest, au présent projet de loi, qui vise à étendre le champ du contrôle à l'ensemble des établissements psychiatriques, y compris ceux qui sont sous statut privé.

Madame le garde des sceaux, l'intervention du Médiateur de la République dans le système pénitentiaire a également été renforcée le 25 janvier dernier, avec la signature d'une convention entre le Médiateur de la République et le garde des sceaux pour généraliser l'intervention des délégués du Médiateur dans les établissements pénitentiaires, garantissant un meilleur accès au droit pour l'ensemble des détenus et renforçant ainsi la mission du Médiateur auprès d'un public spécifique.

En plaçant ainsi le Médiateur à l'écoute des personnes détenues dans le but de faciliter le règlement amiable des différends qui peuvent les opposer aux administrations, on facilite leur réinsertion. Ce dispositif, qui doit être maintenu et réaffirmé, ne pourrait-il pas être renforcé dans le projet de loi en gestation à la Chancellerie ? Faciliter l'intervention des délégués du Médiateur dans les prisons me semble primordial.

Le grand chantier pénitentiaire s'ouvre de nouveau avec le projet de loi instituant un contrôleur général des lieux de privation de liberté, autorité indépendante imaginée en France dès 2000 par les sénateurs Jean-Jacques Hyest et Guy-Pierre Cabanel. Et c'est pourquoi, sous le contrôle du président de la commission des lois, je me permets de suggérer le nom de M. Guy-Pierre Cabanel pour occuper le premier poste de contrôleur général.

Ce texte constitue donc une première étape qui laisse présager une réelle volonté politique du Gouvernement d'agir et d'en finir avec une très grave humiliation pour notre République. Parce qu'« une société, disait Albert Camus, se juge à l'état de ses prisons », préparons au plus vite et tous ensemble une grande loi pénitentiaire qui mette enfin nos actes citoyens et politiques en accord avec nos principes philosophiques et juridiques. C'est la raison pour laquelle, dans sa grande majorité, le groupe du RDSE soutiendra votre projet de loi.

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