Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je le dis clairement d'emblée, en matière carcérale, s'agissant de la France, je suis un pessimiste actif.
Voilà cinquante-cinq ans que j'ai, pour la première fois, mis les pieds dans la maison d'arrêt de Fresnes, comme avocat stagiaire, venu en mobylette et trempé de pluie. Cela fait trente-cinq ans que je ne cesse de lutter pour l'amélioration des prisons. Je n'ai pas le sentiment que, dans ce domaine, les nombreux efforts que j'ai vus autour de moi, portés par tant de femmes et d'hommes de coeur, aient véritablement abouti à ce que nous souhaitions.
Il y a trop d'exemples de rapports internationaux, trop de constats faits par les commissions parlementaires, pour ne pas s'interroger sur la condition singulière du monde carcéral en France, en dépit de tous les efforts accomplis par les personnels pénitentiaires. Ceux-ci, je tiens toujours à le rappeler, assument, au sein de notre société, une fonction très difficile, dans des conditions souvent pénibles, parfois dangereuses, mais dont la communauté nationale ne leur sait pas suffisamment gré.
Pourquoi ce pessimisme en ce qui concerne la mesure qui nous est soumise ? Il suffit, à cet égard, de prendre le calendrier, car ce n'est pas d'hier que, de toute part, on réclame l'instauration d'un contrôle général des prisons, tant s'en faut !
En 1998 - cela fera bientôt dix ans -, la demande a été formulée, pour la première fois, par l'Observatoire international des prisons, à la suite des événements de Beauvais.
Nous avons eu, depuis lors, de nombreux rapports parlementaires.
Ainsi, en 2001, l'excellent rapport de la commission d'enquête sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires, présidée déjà par M. Hyest, intitulé : « Prisons : une humiliation pour la République ».
L'Assemblée nationale, sous la présidence de notre ami M. Mermaz, a également déposé un long rapport à ce sujet, concluant à la nécessité d'instaurer un contrôle général des prisons.
Par ailleurs, à la demande de Mme Guigou, alors ministre de la justice, la mission présidée par M. Guy Canivet, Premier président de la Cour de cassation, a déjà dressé un tableau de la situation et défini les conditions de l'institution d'un contrôleur général des prisons.
Pour autant, les différentes propositions de loi qui ont été déposées, celle de M. Hyest, votée à l'unanimité par le Sénat en 2001, celle de Mme Lebranchu, en 2004, ont-elles prospéré ?
On trouve toujours du temps pour faire une succession de lois sur la récidive, afin d'accroître à coup sûr la surpopulation carcérale, mais jamais pour faire venir devant le Parlement le texte que nous demandions, à savoir une grande loi pénitentiaire, qui réglerait notamment la question du contrôle extérieur - c'est nécessaire - des prisons et, plus généralement, des lieux de détention.
Aujourd'hui, nous sommes enfin saisis de ce texte ! Je souligne l'adverbe « enfin » car cette mesure marque le terme d'une longue attente et elle est consécutive à une pression internationale et aux engagements internationaux pris par la France.
Notre éminent collègue M. Othily, qui consacre, avec beaucoup de coeur, un temps considérable à ces questions pénitentiaires - et on doit l'en remercier ! -, a rappelé que notre pays avait fait l'objet de rapports internationaux extrêmement critiques, d'où l'« humiliation pour la République » évoquée par le rapport du président Hyest.
Je souligne qu'il existe une déclaration, remontant à 1998 - bientôt dix ans ! - du Parlement européen, demandant à tous les États membres de procéder à l'instauration d'un tel contrôle et que, à son tour, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a formulé une telle recommandation en 2004.
En définitive, si nous sommes saisis aujourd'hui par Mme le garde des sceaux - et nous lui en savons gré -, c'est tout de même parce que la France est tenue par des obligations internationales.
En effet, La France a enfin signé, en 2005, le protocole additionnel à la convention des Nations unies de 2002 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. La France s'étant engagée à le ratifier avant la fin du premier semestre de 2008, il lui fallait bien instaurer ce contrôle.
Tenue par ses obligations internationales, ayant attendu si longtemps après tant de sollicitations, de demandes provenant de tous les côtés - magistrats, avocats, organisations professionnelles, y compris l'administration pénitentiaire elle-même -, la France envisage enfin d'instituer ce contrôleur général, à compétences étendues.
Certes, nous nous en réjouissons, mais le texte qui nous est présenté avance trop frileusement vers ce que doit être ce contrôle.
Très simplement, quelles sont les conditions pour qu'un tel contrôle soit efficace ?
Condition évidente : l'indépendance de l'autorité administrative indépendante qui exerce le contrôle. Cela est assuré. Mais cette indépendance doit s'accompagner de pouvoirs et d'une saisine larges. Nous aurons l'occasion de faire quelques observations sur cette dernière.
Trois exigences sont essentielles pour que ce contrôleur général puisse effectivement assumer la mission qui lui est impartie, faute de quoi cette instance ne serait qu'un trompe-l'oeil ou un placebo.
C'est donc à la mesure des qualités et des exigences que je vais énumérer que nous saurons si nous sommes en présence de la simple satisfaction formelle à une exigence internationale ou de la volonté politique, réclamée depuis si longtemps, d'instaurer en France un véritable contrôle des lieux de détention, pour en finir avec une situation que nous connaissons tous et qui a été unanimement dénoncée sur toutes les travées tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale.
Il s'agit, en premier lieu, de l'autorité de la personne qui assumera cette haute fonction. À cet égard, si le texte fixe les conditions juridiques de la nomination, il ne formule pas d'exigence, supposant que cela ira de soi et que l'on dépassera le célèbre vers de Voltaire, selon lequel « l'amitié d'un grand homme est un bienfait des dieux ».
Nous en sommes convaincus, mais je préfère, pour ma part, rappeler l'exigence figurant précisément dans la Convention internationale que j'évoquais à l'instant et aux termes de laquelle les membres sont « choisis parmi des personnalités de haute moralité ayant une expérience professionnelle reconnue dans le domaine de l'administration de la justice, en particulier en matière de droit pénal et d'administration pénitentiaire ou policière, ou dans les divers domaines ayant un rapport avec le traitement des personnes privées de liberté ». Telle est la première exigence.
En deuxième lieu, cette personnalité étant nommée par décret du Président de la République, et non pas en Conseil des ministres, ce qui poserait des problèmes de loi organique, ...