Cela aurait l'avantage de permettre, dans un climat, souhaitons-le, apaisé - vous y contribuerez, monsieur le président-rapporteur -, de doter la France d'un véritable contrôle général conforme à ses engagements internationaux.
Le Sénat s'honorerait en ouvrant ainsi la voie à un autre regard des pouvoirs publics et de l'opinion sur les libertés, trop souvent bafouées hypocritement, malgré d'innombrables professions de foi non suivies d'effet.
Si le présent projet de loi a été amendé par la commission des lois, il l'a été trop timidement. Certaines dispositions ont quand même été retenues, par exemple pour le contrôle des établissements psychiatriques, pour le futur statut du contrôleur général, pour la saisine du procureur de la République ou l'indépendance financière du contrôleur. Cependant, quid de la réalité des moyens financiers mis à sa disposition ? Le Gouvernement parle de dix-huit emplois seulement, alors que tout le monde s'accorde à penser que le minimum serait de quarante et un. On peut donc se poser des questions ! La commission des lois a aussi décidé qu'il y aurait lieu de veiller à une bonne coopération avec les organismes internationaux. Ces choses vont dans le bon sens.
Nous apprécions aussi le voeu, même s'il ne s'agit que d'un voeu, selon lequel le choix de la première personnalité appelée à exercer de telles fonctions devra asseoir le magistère moral de cette autorité. Toutefois, nous attendrons pour voir.
Cependant, nous déplorons que le projet de loi, tel qu'il nous arrive de la commission des lois, ne soit pas accompagné d'une étude d'impact, ce qui aurait permis d'apprécier l'ampleur des tâches qui attendent le futur contrôleur général et des moyens qu'il conviendrait de mobiliser. Est-ce parce que le Gouvernement et sa majorité répugnent à voir dresser le tableau de la situation provoquée depuis cinq ans dans les prisons, dans les zones d'attente ou les centres de rétention administrative, dans les lieux de garde à vue ou les dépôts des palais de justice par l'effet des lois répressives Perben et Sarkozy ?
Une étude d'impact aurait d'abord permis de prendre pleinement conscience de la surpopulation carcérale, que le récent projet de loi renforçant la lutte contre la récidive, dont vous portez la responsabilité, madame la ministre, risque d'aggraver. En effet, au 1er juin 2007, on comptait plus de 60 000 détenus pour 50 000 places. Des prévisions font même état de 80 000 emprisonnements à l'horizon de 2017, d'où des conditions de vie d'ores et déjà effrayantes dans nos prisons et une montée des violences entre détenus et, parfois, à l'égard du personnel pénitentiaire.
Une étude d'impact aurait ensuite permis d'apprécier la situation réservée aux immigrés dits en situation irrégulière dans les zones d'attente et les centres de rétention administrative - véritables geôles de la République -, situation qui s'est aggravée avec le démantèlement du droit d'asile à la suite du vote de la loi du 10 décembre 2003.
Devant la gravité extrême de la situation, nous souhaitons que le contrôle satisfasse pleinement aux obligations établies par le protocole des Nations unies. Mais alors, pourquoi ne pas reprendre les dispositions de la proposition de loi de MM. Hyest et Cabanel, adoptée ici même en 2001, et les conclusions de la commission d'enquête du Sénat sur les conditions pénitentiaires ? Pourquoi cette reculade ?
Nous ne pouvons ainsi nous satisfaire de la procédure de nomination du contrôleur général. C'est là un point fondamental à nos yeux. Le Gouvernement aurait-il déjà oublié son engagement et celui du Président de la République d'associer pleinement le Parlement à la nomination des membres des autorités indépendantes ? Même si l'on nous objecte qu'un comité Théodule sur l'évolution des institutions vient d'être mis en place, cela ne saurait nous satisfaire.
Si une autorité garante des libertés et de la dignité des personnes échappe à cet engagement, voilà qui augure très mal de la suite. Comment le Sénat pourrait-il se contenter d'un avis simplement consultatif des commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat ? Comment accepter une telle négation des droits du Parlement ?
Il est temps de rompre avec le type de nomination de tant d'organismes et de conseils, qui foisonnent et dont les prétendues prérogatives empiètent sur les droits de la représentation nationale. Nous avons aujourd'hui l'opportunité de mettre un terme à cet abaissement du Parlement en faisant preuve d'un minimum de responsabilité et d'audace.
De plus, puisque le contrôleur général aura vocation à s'occuper de quelque 5 500 lieux privatifs de liberté, nous ne pouvons nous satisfaire du flou qui entoure la nomination et les pouvoirs des contrôleurs destinés à l'assister, flou qui peut faire craindre que ce nouvel organisme ne dispose pas des moyens nécessaires à l'accomplissement de missions nombreuses et excessivement variées. Pourquoi ne pas aller vers une spécialisation des contrôleurs et un rôle de coordination dévolu au contrôleur général ?
Nous devons constater, par ailleurs, le silence, plutôt l'omission sur le contrôle des lieux de détention situés à l'étranger et placés sous une autorité civile ou militaire française.
Tout aussi graves nous apparaissent les restrictions apportées aux visites du contrôleur général et des contrôleurs. Ces visites, quoi qu'ait dit Mme la ministre, doivent absolument pouvoir s'effectuer à tout moment du jour et de la nuit, éventuellement, bien sûr, de façon inopinée, sans restriction d'aucune sorte comme c'est le cas pour les parlementaires.
Toute personne retenue doit également pouvoir saisir le contrôleur et obtenir de s'entretenir avec lui. De même, celui-ci doit pouvoir entendre toute personne intervenant dans un centre privatif de liberté, chaque fois qu'il le jugera nécessaire.
Enfin, les pouvoirs d'investigations du contrôleur général doivent être illimités. La commission n'a fait qu'un geste en se bornant à supprimer la référence à la sécurité des lieux. Toutes les restrictions énumérées par le projet de loi - du prétendu secret de la défense nationale à la sûreté de l'État - risquent d'aboutir à des entraves insupportables et arbitraires, alors que le contrôleur général est lui-même tenu au secret professionnel pour les informations qu'il recueille.
De même, si nous ne voulons pas que les rapports du contrôleur général viennent seulement garnir les rayonnages des ministères sans avoir de suite, il importe que le ministre de la justice, une fois informé, soit tenu de répondre.
Enfin, le contrôleur général doit formuler et rendre publics non seulement des avis, des recommandations, des propositions, mais aussi des injonctions, surtout lorsqu'il s'agit, dans la détention ou dans l'enfermement, d'atteintes aux droits fondamentaux des personnes privées de liberté. Il n'a jamais été dans notre intention d'empiéter sur le pouvoir juridictionnel, qui, bien entendu, est maître de la détention.
Madame la ministre, mes chers collègues, si nous voulons vraiment conférer au contrôleur général le statut et les moyens qui lui permettront d'agir, et non pas de faire semblant, il convient que la commission des lois se remette au travail, dans l'esprit, au demeurant, de la proposition de loi votée en 2001 sur l'initiative de MM. Hyest et Cabanel, en prenant en compte également les engagements formulés par le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale.
En effet, ce qui nous est proposé aujourd'hui, c'est un contrôle général a minima. Le Gouvernement s'est largement préoccupé d'encadrer et de contrôler les faits et gestes du contrôleur général, comme s'il était déjà suspect !
Quoi qu'il en soit, il restera ensuite, pour rendre le présent projet de loi opérationnel, à voter une loi pénitentiaire et à donner aux ministères de la justice, de la santé, de l'intérieur, les moyens de faire face à leurs obligations. Ce devrait être l'objet de nos travaux cet automne.
En tout état de cause, donner à notre pays un véritable contrôleur général des lieux privatifs de liberté, ce serait déjà s'engager sur la voie de la réforme.