Intervention de Pierre Laffitte

Réunion du 2 décembre 2006 à 15h45
Loi de finances pour 2007 — Écologie et développement durable

Photo de Pierre LaffittePierre Laffitte :

Plus récemment, mon collègue socialiste Claude Saunier et moi-même avons réalisé un rapport dans le cadre de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques intitulé Changement climatique et transition énergétique : dépasser la crise.

Après avoir parcouru le monde et procédé à plus de mille heures d'auditions, nous avons constaté que le problème du changement climatique était extraordinairement grave et que ses effets se feraient sentir dans un avenir beaucoup plus proche de nous qu'on ne l'imaginait.

Ce rapport est un cri d'alarme. Il a d'ailleurs évoqué, six mois avant le rapport Stern, les coûts considérables des dégâts liés au réchauffement.

Ces coûts atteignent d'ores et déjà 1 % du produit intérieur brut mondial et nous pensons qu'ils atteindront dans moins de quinze ans 6 % de ce même produit intérieur brut mondial, ce qui implique une récession à l'échelle de la planète.

Cela signifie surtout qu'une part non négligeable de l'humanité sera soumise au stress hydrique - en d'autres termes, elle « crèvera de soif » -, tandis qu'une autre part, ou la même à d'autres moments, sera victime d'inondations, comme c'est déjà le cas au Bangladesh, dans le sud de la Chine ou en Inde à certaines périodes de l'année, avec des milliers et des milliers de morts. Cette situation conduira inéluctablement à une émigration massive.

Cette émigration massive, sommes-nous préparés à la recevoir ? Où vont en effet aller tous ceux qui mourront de soif ? Là où on ne meurt pas de soif, donc dans les zones actuellement tempérées, qui elles-mêmes, dans leur partie méridionale, risquent d'être touchées par un manque d'eau de plus en plus fréquent.

Nous avons déjà un aperçu de cet avenir. Si les Maliens tentent de passer, dans des conditions très difficiles, vers les Canaries pour gagner ensuite l'Europe, c'est parce qu'ils sont obligés de partir de chez eux ! Or de plus en plus de populations seront contraintes d'émigrer.

L'office parlementaire des choix scientifiques et technologiques examinera le 28 mars un rapport consacré à une autre question fondamentale : la biodiversité.

Pour l'élaboration de ce rapport, nous conduisons actuellement toute une série d'études. Nous allons en Grande-Bretagne dans deux jours, nous avons fait une visite aux États-Unis... Partout, nous avons constaté que les scientifiques et les agronomes s'intéressaient très vivement aux nécessaires évolutions liées aux transformations profondes que connaît le monde agricole et, plus encore, à celles qui tiennent à l'urbanisation. Celle-ci constitue probablement, avec le changement de climat, une des menaces majeures pour la biodiversité.

Il y a là une priorité nationale.

D'ailleurs, me semble-t-il, l'opinion publique commence à bien le comprendre, peut-être même mieux que beaucoup de hauts fonctionnaires et de politiques. Vous avez donc, madame la ministre, de pouvoir « surfer » sur une dynamique populaire très importante : vous avez l'opinion publique avec vous !

Permettez-moi de vous faire part, à cet égard, de mon expérience personnelle. Je participe souvent à des discussions dans les fêtes de village et, chaque fois que je fais un petit exposé sur ces questions, je constate un intérêt puissant de la part de tous les auditeurs, en même temps d'ailleurs qu'une assez bonne connaissance du phénomène.

Je ne parlerai pas ici de l'indispensable transition énergétique dans le bâtiment et les transports. Je voudrais aborder le problème concernant la politique de l'eau.

Nous avons déjà introduit - grâce à vous, madame la ministre - la notion de changement climatique dans la dernière loi sur l'eau. Il sera important de faire en sorte de développer massivement les recherches scientifiques dans ce domaine, car le développement des sciences de l'eau est probablement la plus grande priorité.

Comme le dit Nicolas Hulot, il faut sortir l'écologie scientifique de l'isolement. En particulier, il faut non seulement susciter des recherches beaucoup plus importantes, mais encore obtenir un effet de masse en favorisant les croisements entre les divers travaux, qu'ils soient financés par votre ministère ou par ceux de la recherche, de l'industrie, de l'agriculture, de façon à renforcer considérablement notre capacité de recherche.

Désormais, il nous est également possible de développer en même temps la recherche et ses applications, grâce, en particulier, aux réseaux thématiques de recherche avancée, les RTRA, qui ont été institués par la loi de programme pour la recherche.

Personnellement, j'ai l'intention de constituer un réseau thématique de recherche avancée sur le thème « Climat et Eau ». Celui-ci serait destiné principalement à fédérer des chercheurs et des organismes, dans le cadre fixé par la loi de programme, afin que des recherches communes puissent être menées par des universités, des établissements de recherche, tels que l'Office international de l'eau, le BRGM, ou Bureau de recherches géologiques et minières, le CEMAGREF, ou Centre national du machinisme agricole, du génie rural, des eaux et des forêts, le CNRS, ou Centre national de la recherche scientifique, des écoles d'ingénieurs, dont l'École des mines de Paris, des organes de gestion et d'étude, tels que les SAGE, les schémas d'aménagement et de gestion des eaux, des agences de l'eau, des industriels, comme EDF, Veolia ou Suez, enfin des PMI, des petites et moyennes industries, notamment celles qui appartiennent au secteur de l'observation de la terre, tous ces acteurs recevant l'appui de l'État et des collectivités locales.

Initialement, ce RTRA serait chargé d'étudier de façon précise le cycle de l'eau dans les zones les plus menacées, c'est-à-dire les régions méditerranéennes de la France, de l'Italie et de l'Espagne, afin de pouvoir combiner et mieux définir les mesures de prévention. Ces dernières sont bien connues. Il est nécessaire, en particulier, de savoir où créer des retenues collinaires, de façon à augmenter les ressources hydriques, ou des bassins de rétention des crues. Il est important également de mieux connaître les précipitations. En bref, de nombreux domaines sont concernés.

Un ouvrage remarquable, Les eaux continentales, qui vient d'être publié par l'Académie des sciences, sous la direction de M. Ghislain de Marsily, détaille les mesures de prévention qui ont été édictées par les organismes les plus divers. Elles sont déjà connues. Il s'agit désormais de les mettre en oeuvre.

Pour cela, il est nécessaire, me semble-t-il, de mobiliser le public, l'éducation nationale - celle-ci est encore très réservée, et il faudrait donc l'inciter à accomplir un effort beaucoup plus important -, et les collectivités locales, qui commencent à s'intéresser à ces questions.

De même, il convient de développer les processus qui, dans une économie de marché, pilotent les évolutions nécessaires aux grandes industries. Mes chers collègues, il faut établir un plan à quinze ans, qui fixerait un calendrier précis et, par exemple, interdirait progressivement les voitures qui émettent plus d'une certaine quantité de CO2 par litre d'essence utilisé. Ensuite, les industriels se débrouilleront !

Si nous établissons une programmation suffisamment longue, l'industrie et la technologie suivront. Nous pourrions également instituer une taxe sur le carbone, qui serait augmentée progressivement, afin de fournir l'argent nécessaire au financement des recherches.

Enfin, il serait nécessaire, me semble-t-il, de mieux coordonner les actions de l'État et des collectivités locales en la matière.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion